Pour vivre riche et heureux dans une Grèce en crise, mieux vaut rester discret. L'idée de parler au président de l'Union des armateurs grecs - ou à un membre de cette Union - semble saugrenue à son assistante : "Seul, explique-t-elle, le président parle aux journalistes, et il ne parle que lors de conférences de presse." Qui sont rares.
"Nous aimons parler business, mais nous n'avons pas besoin de communiquer", relève Georges Gourdomichalis, armateur, quadragénaire, né à Londres mais revenu aux pays : "Tous les Grecs veulent retourner à la maison, comme Ulysse."Le bureau de M. Gourdomichalis est sans luxe particulier. Les maquettes de bateau, les marines au mur, et les exemplaires de la Lloyd's list indiquent la vocation du lieu. Une salle de conférences permet de parler avec les capitaines des bateaux.
M. Gourdomichalis est un petit armateur, représentatif de la majorité de la profession. Les trois quarts des armateurs grecs ont moins de dix bateaux.
"Les armateurs sont les chauffeurs de camionnettes de la mer, qui transportent n'importe quoi, n'importe où, pour n'importe qui", explique Nicolas A. Vernicos, l'un des rares armateurs aimant parler. Lui appartient à une famille d'armateurs originaire de Sifnos, dans les Cyclades, qui a développé une flotte de remorqueurs.
Ces armateurs sont fiers de la Grèce, mais pas à n'importe quel prix. "Je me suis installé ici par choix, explique M. Gourdomichalis. Le cadre légal est l'un des meilleurs du monde. Il y a une grande expérience professionnelle. Si ce cadre changeait, je pourrais revoir mon implantation. C'est un business mondial que je peux pratiquer aussi depuis Chypre ou Hongkong."
Le message a toujours été bien reçu par les divers gouvernements grecs. Aucun d'entre eux n'a jamais eu envie de voir ces armateurs - espèce sacrée et qui représente plus de 6 % du produit intérieur brut (PIB) - quitter le pays.
"Ce sont les entrepreneurs les plus intelligents du monde", s'enthousiasme Haris Pamboukis, qui a quitté le gouvernement fin août : "Ils demandent simplement de la stabilité et de l'anonymat." Et que l'Etat les aide à tenir leur rang de numéro un mondial du secteur.
Les armateurs ne veulent surtout pas qu'on coupe le "cordon ombilical" - l'expression est du président de l'Union des armateurs, Théodore Véniamis - qui les relie à l'Etat grec.
Ce cordon, c'est l'article 107 de la Constitution. En termes techniques, celui-ci renvoie aux dispositions d'une loi portant sur "l'imposition des navires, l'établissement d'une taxe pour le développement de la marine marchande, l'installation d'entreprises maritimes étrangères et la réglementation de matières connexes".
Cette loi indique que les armateurs ne payent pas d'impôts sur leurs bénéfices, mais seulement une taxe en fonction du tonnage du navire.
"Sans cette protection constitutionnelle, avec cette culture grecque de changer de lois et d'impôts tous les ans, aucune banque ou investisseur n'accepterait de nous prêter de l'argent, assure M. Vernicos. C'est un métier cyclique, avec des hauts et des bas. Si la Constitution ne protège pas notre investissement, c'est la réaction des marchés financiers qui nous obligera à changer de drapeau."
Un avocat d'affaires résume : "Je peux changer le régime fiscal d'un bateau en moins de sept heures."
Même si, dans les manifestations, les armateurs sont associés à la ploutocratie, le gouvernement des riches, leur statut privilégié ne fait pas débat en Grèce, beaucoup moins que les exemptions fiscales de l'Eglise.
"Cela n'a pas été discuté depuis très longtemps, ce n'est pas dans l'agenda politique", explique Georges Kastrougkalos, professeur de droit à l'université de Thrace et membre du groupe qui demande un audit sur la dette grecque.
"Ils ne payent pas d'impôts sur leurs activités en dehors de Grèce, comme c'est le cas dans d'autres pays, explique Michalis Chryssohoïdis, ministre du développement et de la marine marchande dans le dernier gouvernement Papandréou. C'est une industrie très importante, qui rapporte au pays entre 12 et 15 milliards d'euros par an. Et ils payent des impôts pour leurs immeubles, leurs maisons, y compris sur les investissements immobiliers offshore."
"A un taux prohibitif de 10 % par an, s'indigne M. Vernicos, ce qui a comme résultat de geler les investissements immobiliers internationaux en Grèce."
Si la Grèce dispose de la première flotte du monde, ses bateaux portent le plus souvent des pavillons libériens, chypriotes ou maltais. Seulement un sur quatre a le drapeau grec.
"Le choix du drapeau est une décision commerciale, explique M. Vernicos. Les bateaux à pavillon grec sont obligés d'employer un certain pourcentage de salariés grecs. Les armateurs sont aussi patriotes que les autres Grecs. Mais je préfère un bateau rentable qui appartient à des Grecs avec un pavillon des Kerguelen ou de Chypre plutôt qu'un bateau à pavillon grec qui appartient à une société qui a déposé son bilan, et qui ressemble à un "cercueil" emballé dans un drapeau grec."
Les relations entre les armateurs et le gouvernement de Georges Papandréou n'étaient pas bonnes. Ils n'ont jamais admis qu'on supprime ce qu'ils considèrent comme leur ministère, celui de la marine marchande.
Le ministre des finances, Evangelos Venizélos, avait aussi demandé, en septembre, un effort pour aider davantage le pays en crise. Les armateurs n'ont pas entendu.
Citant les fondations des plus riches armateurs, Onassis ou Niarchos, les investissements qui sont faits dans les musées, les hôpitaux, les îles, les armateurs trouvent qu'ils en font déjà beaucoup. M. Vernicos sort l'arme suprême : "Les armateurs sont les plus grands bienfaiteurs du pays et en particulier des îles d'où ils viennent.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire