Tous deux sortent au moment où le monde de la finance est dans la tourmente. Mais il n’est pas le seul. Les structures politiques, nationales et, enfin, supranationales, comme l’Union européenne et le FMI, chancellent également. Nos grandes certitudes vacillent. Ajoutez à cela les secousses qui agitent le monde arabe et le tableau est quasi complet. Ce qui est étrange, c’est de voir les experts et les élites de la société aussi démunis face à cette situation.
Ce qui semble évident, c’est que nous sommes aux prises avec un démon dont nous ne sommes pas vraiment sûrs du nom – et nous n’avons aucune idée de la façon de le terrasser. En un mot, le monde tremble, et rien n’indique pour l’heure que les secousses s’apaiseront dans un futur proche. Comme pour la crise financière, aucun expert n’avait prévu la révolution arabe. Encore aujourd’hui, nous voyons des articles d’analyse maladroits ressassant le même refrain: comment avons-nous pu être aussi aveugles?
Tout ce que nous voyons, en vérité, c’est que nous n’en voyons pas le bout. Si le monde lui-même n’est pas menacé de disparition (contrairement à ce que l’on a voulu nous faire croire ce mois-ci), le système que nous connaissons l’est.
Bien que Tomáš Halik [prêtre catholique tchèque, intellectuel et sociologue] nous ait appris que ce qui ne tremblait pas n’était pas robuste, la question demeure: nos racines sont-elles vraiment solides? Où se situe le seuil de résistance de notre système et quels chocs peut-il encaisser avant de voler en éclats? Des secousses mineures sont supportables, et font même partie de la vie et de tout système. Cependant, les dernières secousses enregistrées ne sauraient être qualifiées de "mineures". Le tremblement, ou plutôt l’implosion inflationniste, est même palpable dans les domaines de la philosophie et des sciences sociales.
Nous sommes tous garants de la dette grecque
L’école de la déconstruction postmoderne, me semble-t-il, a fait beaucoup de tort à la philosophie et, d’une certaine manière, s’est auto-déconstruite. Le philosophe est aujourd’hui tellement loin de la vie réelle et tellement immergé dans une réalité simulée (modélisée) qu’il n’a souvent rien de constructif à dire sur les événements en cours. Quand les vraies grandes questions arrivent sur le tapis, eh bien, il ne se passe rien, les puits de science laissent les politiques le bec dans l’eau.La question, au fond, est de savoir comment nommer le système en vigueur. Le concept de dette nationale s’est écroulé car nous savons, depuis belle lurette maintenant, que la dette grecque n’est pas seulement la dette grecque. À partir du moment où l’Europe s’est mise à trembler, la dette grecque est devenue la dette allemande, et la dette française – en un mot, notre dette à tous, et dont nous sommes tous les garants. Finalement, même les prêts souscrits auprès d’établissements de crédit d’États souverains sont aujourd’hui tacitement garantis par tous les autres pays.
Nous vivons avec un concept de faillite qui est lui-même en faillite – autrement dit, dans une situation dans laquelle la faillite n’est admise que du bout des lèvres, car l’admettre ouvertement aurait des répercussions dévastatrices sur les autres pays. Ce qui était séparé autrefois (comme l’Europe et la Chine) est aujourd’hui lié, et de manière quasiment indissoluble. Des pays lointains sont aujourd’hui voisins grâce à la mondialisation, ce qui a ses avantages, souvent portés aux nues, mais aussi certains inconvénients – car quand nous faisons naufrage, c’est tous ensemble. Cela ne s’est jamais produit auparavant dans l’histoire. Le résultat est que notre système de responsabilité et de garanties mutuelles doit être revu. Comment? C’est précisément l’enjeu.
Ou bien l’Europe se serrera les coudes et luttera de concert, État ou pas État, dette ou pas dette, ou bien le monde se déconnectera du réseau et fera un pas en arrière dans la mondialisation. Le scénario dans lequel un État laisse s’accumuler ses dettes tout en se soustrayant à ses responsabilités est donc intenable. Jusqu’à présent, ce sont des économies de taille modeste qui ont fait faillite.
C’est une chance, mais ce ne sera sans doute pas toujours le cas à l’avenir. Et, dans cette éventualité, il serait judicieux de prévoir un plan B ou un plan C européen – ce que, j’en ai peur, nos responsables politiques n’ont pas dans leurs cartons. Je serais curieux de voir leur mine déconfite quand sonnera l’heure et qu’il ne sera alors plus temps d’agir.
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