TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

mardi 19 avril 2011

Le tube et le dentifrice


Avec la déclaration conjointe des présidents américains et français, et du premier ministre britannique, les opérations militaires  en Libye semblent,  sans que les Parlements de ces trois  pays  en aient débattu,  entrer dans une nouvelle phase : il ne s’agit plus de protéger la vie de civils menacés,  comme le demandait   la résolution numéro 1973 du Conseil de Sécurité de l’ONU, mais de se débarrasser de Kadhafi. Cette stratégie, réaffirmée à Doha par les chefs d’Etat de la coalition,  ne semble pourtant pas faire l’unanimité : les dirigeants de l’Inde, du Brésil, de Chine,  de Russie et d’Afrique du Sud, réunis à Sanya  en Chine,  (dans une réunion historique, parce qu’elle constitue  la première manifestation  d’une  volonté stratégique   cohérente de ces cinq pays représentant la moitié de la population de la planète) s’y sont fermement opposés.  Et même les ministres des Affaires étrangères des pays de l’Otan, réunis à Berlin,  sont restés réticents.  Les Américains eux-mêmes ne sont semblent pas enthousiastes et  ont retiré la cinquantaine de chasseurs-bombardiers qui étaient en opération ; peu de pays se précipitent pour les remplacer.  Seuls Paris et Londres  prônent vraiment  l’intensification des opérations aériennes.  
 A supposer même qu’on arrive à les poursuivre, elles  ne suffiront  pas : sans une action au sol, il est peu vraisemblable que les révoltés  puissent renverser Kadhafi, ni même sauvegarder la fragile indépendance de la région de Bengazi. De fait, le Conseil national de transition, organe de commandement des révoltés, demande que la coalition lui fournisse des armes, pour mener leurs combats  au sol ;  certains Etats, plus ou moins discrètement, s’y sont déjà engagés. On peut le comprendre : c’est dans la logique de l’action engagée, au grand dam des responsables des budgets, sous  les pressions conjuguées de journalistes, de  diplomates, de militaires et de marchands d’armes.
  C’est oublier les leçons du passé   : en Afghanistan, les armes  fournies  par Washington  aux talibans pour les aider dans leur combat contre  Moscou ont été retournées contre les Américains dès   les troupes soviétiques vaincues. Déjà, on voit accourir en Libye, des deux cotés, des combattants volontaires, dont le seul intérêt est justement de se procurer des armes et de s’aguerrir   pour d’autres luttes.
Cet engrenage n’est pas propre à la Libye. On retrouve cela dans d’autres pays.  Par exemple, en Cote d’Ivoire, où les armes  distribuées aux combattants des deux camps vont maintenant se perdre dans la nature et se retrouver dans les mains les plus diverses, en particulier dans celles des groupes de l’AQMI, en Mauritanie, au Mali, au Tchad, ou ailleurs. On  le retrouvera aussi   partout  où des peuples ne réussiront pas à se libérer seuls d’un dictateur.
Plus généralement, quand le dentifrice est sorti du tube, il est impossible de l’y faire rentrer. Il ne faut donc surtout pas armer des groupes incertains. Mais comme on ne peut évidemment pas espérer gagner cette guerre   simplement avec des frappes aériennes, ni   s’arrêter de le faire pour  se résoudre à revenir ultérieurement bombarder les forces de Kadhafi dès qu’elles reprendront du terrain, il faudrait, en toute logique,  envoyer  des troupes  occidentales au sol, pour  gagner  cette bataille. Impossible ? Evidemment ! Il n’y a pas de solution ? Non, il n’y en a pas. Et on aurait du y penser avant.
j@attali.com

0 commentaires: