« Le sens de l'humour peut prolonger la durée de vie. Son effet est positif sur la santé mentale et sur la vie sociale », avec une réduction de la mortalité de l'ordre de 20%. C'est l'étonnante conclusion d'une enquête menée en Norvège auprès de 55 000 personnes.
Étonnante sans être vraiment surprenante. Par la grâce d'un bon mot, d'un trait d'esprit ou tout simplement d'un modeste calembour, la relation sociale s'éclaire d'un sourire, d'un pétillement du regard, contribuant au charme de l'instant. C'est toute l'existence qui s'en trouve adoucie. Non que les problèmes disparaissent par miracle. Mais, en les mettant à distance, l'humour permet de s'en assurer une certaine maîtrise et de s'en protéger. Voilà pourquoi il constitue un puissant élixir de jouvence.
Les résistants à cette philosophie de l'existence n'y voient que légèreté et frivolité. Sur le premier point, ils ont raison. À ceci près que ce qu'ils tiennent pour travers est en réalité vertu: il ne s'agit pas de prendre la vie à la légère, mais d'en alléger les épisodes pénibles. Ainsi de ce chauffeur de taxi londonien qui, en pleine guerre, vient de traverser la capitale sous les bombes et dit à son passager à l'arrivée : « Nous avons eu de la chance. Pas de feux rouges ! » N'est-ce pas pour la même raison qu'au seuil de la chambre d'un malade, on prépare quelque formule prêtant à sourire ?
De la même manière, combien l'humour est-il précieux pour éviter le conflit d'une formule qui, ou bien signale le désaccord sans insister, ou bien le dépasse provisoirement. Un exemple. En 1906, le très anticlérical Clemenceau invite son voisin curé à élaguer les arbres donnant sur sa propriété. Le problème peut virer à l'aigre. Le curé s'exécute et Clemenceau se fend d'un bon mot de remerciement : « Mon père, je peux bien vous appeler 'mon père' puisque vous m'avez donné le jour. » Du tac au tac, le curé lui répond : « Je peux bien vous appeler 'mon fils' puisque, grâce à moi, vous avez vu le ciel. » Dans le contexte très tendu de la loi de séparation de l'Église et de l'État, un tel échange n'allait pas de soi.
Quant à la frivolité, elle n'est souvent qu'un trompe-l'oeil. Il s'agit en réalité d'une forme de pudeur. On donne l'impression de s'amuser de choses sérieuses, par dérision. Or, c'est l'inverse qui est vrai, comme l'a bien noté Nietzsche à propos de certains philosophes grecs : « Ils étaient superficiels, dit-il, par profondeur. » L'humour permet de conjurer, pour un temps, le tragique de la condition humaine, de s'en détourner sans le perdre de vue. En cela, il lui rend hommage comme, dira André Breton, « politesse du désespoir ».
Gardons-nous donc d'associer l'humour au rire. Tout ce qui fait rire n'est pas humour. La satire, la farce, l'ironie, la gaudriole peuvent amuser. Elles ne relèvent pas pour autant de son domaine, comme le démontrent, à l'envi, les prestations de prétendus « humoristes » qui ne sont souvent que des atrabilaires déversant à pleins seaux leur humeur noire. Où est la différence ? En ceci que, protestataire, contestataire ou ravageur ¯ voir l'humour juif ou dissident ¯, jamais l'humour ne se départit d'une élégance le prémunissant de l'aigreur, de la grossièreté ou de la calomnie qui ne constituent pas, elles, des brevets de vie prolongée. Vive le frais sourire de l'humour !
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