Le médecin est tenu au secret médical ; le juge au secret de l'instruction et le journaliste ? C'est toute la question qui se pose suite à la diffusion du magazine d'investigation "Les Infiltrés" sur France 2 mardi dernier. Laurent Richard, journaliste, s'est infiltré dans le milieu pédophile en se faisant passer pour une petite fille, et les a ensuite dénoncés à la police. Un journaliste peut-il, dans des circonstances extrêmes, dénoncer les criminels rencontrés dans le cadre de son enquête ?
Ce sont 23 personnes qui ont été arrêtées suite à la dénonciation du journaliste de l'agence Capa, Laurent Richard. "Certains pédophiles avaient l'intention d'abuser d'enfants ; d'autres étaient déjà passés à l'acte. La décision de signaler leurs pseudonymes aux policiers a été prise au cours de l'enquête dans un souci de protection des enfants. Moralement, il était impossible d'agir autrement. Si j'étais rentré chez moi sans rien dire, je n'aurai plus jamais dormi de ma vie.", justifie Laurent Richard.
Le droit de dénoncer, pas l'obligation
L’agence Capa explique que la loi contraint tout citoyen à dénoncer quand il s'agit d'affaires ayant trait à l'enfance. Maître Pierre-Olivier Sur, spécialiste en droit de la presse et l’un des avocats de France Télévision explique qu’il existe en France un principe selon lequel ne pas dénoncer les crimes est un délit. Mais que les journalistes n’y sont pas tenus. Qu’il existe effectivement une spécificité des affaires concernant l’enfance; que les journalistes ont alors le droit de dénoncer, mais en aucun cas l’obligation.
Le secret des sources, l'essence même du journalisme
Le secret des sources, qui permet d'instaurer une relation de confiance, est un gage de crédibilité du journaliste. Si ce secret n'est plus respecté, c'est la confiance du lecteur qui disparait. Aux yeux de Me Jean-Yves Dupeux, spécialiste du droit de la presse, la démarche relève d'un "regrettable mélange des genres". "En se faisant auxiliaire de police, le journaliste sort de son rôle, estime l'avocat. Son devoir est d'informer le public, mais son obligation déontologique, issue de toute la tradition de son métier, est de ne pas dénoncer ses sources."
Quelques contre-exemples
Après la diffusion d'un reportage sur la prostitution infantile il y a quelques semaines dans Envoyé Spécial (France 2), la police a voulu saisir les rushes. L'agence de presse Comiti a refusé de les leur remettre, en invoquant le secret des sources.
En 1975, la presse s'extasiait devant le New York Times qui préférait laisser un de ses journalistes (Myron Farber) en prison pendant 40 jours plutôt que de livrer à la justice ses notes confidentielles concernant un médecin qui assassinait ses patients. Les temps changent…
Information ou délation?
Tout journaliste en situation d'enquête peut et doit avoir des problèmes de conscience qu'il résout au cas par cas, en franchissant parfois certaines limites. Dominique Pradalié du Syndicat national des journalistes (SNJ) commente qu’il est "hypocrite de dire qu'il était contraint. Quand on enquête sur des pédophiles, on ne pense pas tomber sur des fraises des bois. Laurent Richard savait à quoi s’attendre." Alors où poser les limites ? Pourquoi ne pas décréter qu'en ces temps de crise un journaliste doit dénoncer à la police les criminels en col blanc à qui il aurait parlé ? Qui décide de la nature du crime à dénoncer ? Quand le secret des sources doit-il "sauter" et qui a le droit de passer outre ? Il semble qu'il y ait bien un mélange entre deux professions : journaliste et policier, comme le précise Dominique Pradalié : "Journaliste ou policier, les deux professions sont respectables, mais il faut choisir.
Claire Largillière
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