TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

dimanche 25 octobre 2009

La menace de l'insécurité fiscale

Une loi favorable aux contribuables peut se retrouver vidée de son efficacité par une instruction fiscale. Il suffit que ce texte multiplie les exceptions et les conditions. Bouclier fiscal, dividendes, pacte Dutreil, etc.. L'actualité récente est malheureusement riche en exemples.
Apriori, les assujettis à l'impôt devraient se réjouir de la moisson de textes votés l'année dernière. Loi TEPA, loi de Finances rectificative, loi de Finances pour 2008 : grâce à ces textes, de réels efforts ont été accomplis dans le but d'alléger la pression fiscale, notamment au regard de l'ISF. La volonté de simplifier les procédures a été aussi clairement affirmée. Seulement, dans les faits, l'administration fiscale risque de complexifier les mesures adoptées par le gouvernement et le Parlement. Des textes, relativement limpides au départ, peuvent se voir affublés de longues instructions fiscales où chaque mot suscite des difficultés d'interprétation.

Du coup, pour bon nombre de particuliers, la situation devient paradoxale. D'un côté, ils se voient encouragés à alléger leurs impôts. De l'autre, l'attitude de l'administration leur commande de rester prudents, voire de ne pas bouger. C'est qu'en réalité, l'insécurité juridique et fiscale prévaut encore.

La preuve ? Les nombreux exemples relevés par les experts du Cercle des fiscalistes. Cette " task force " de spécialistes s'est fixé un double but : informer les contribuables et alerter les pouvoirs publics (lire encadré ci-dessous). Pour accompagner ces spécialistes dans leur mission, " Les Echos patrimoine " ont décidé de les réunir à intervalles réguliers.

La première rencontre s'est tenue le mercredi 9 janvier. Les participants à cette séance inaugurale étaient Philippe Bruneau, banquier, président du Cercle des fiscalistes, Pierre Berger, Luc Jaillais et Jean-Yves Mercier, avocats, Bernard Monassier et Michel Giray, notaires et Daniel Gutmann, professeur à la Sorbonne.

Les thèmes qui suivent ne sont qu'une sélection de leurs échanges. Mais les sources de contentieux sont déjà bien éloquentes.
1 L'assurance-vie à l'épreuve du bouclier fiscal

Depuis la loi TEPA, le seuil de déclenchement de ce dernier a été abaissé de 60 % à 50 %. Autrement dit, pour un particulier, l'addition de l'impôt sur le revenu, de l'ISF, de la fiscalité locale et des prélèvements sociaux ne doit pas dépasser la moitié de ses revenus imposables. L'éventuel trop versé peut donner lieu à restitution. Ainsi formulé, le principe mérite les applaudissements. Sauf que le diable se cache dans les détails.

Bon nombre de Français détiennent une grande partie de leurs avoirs dans des contrats d'assurance-vie. Tant que les sommes gagnées dans le cadre d'un contrat en unités de comptes ne sont pas retirées par l'épargnant, elles ne devraient pas être considérées comme des revenus... Puisqu'il court encore le risque de les reperdre. Mais dès lors que le souscripteur a placé sur le compartiment en euros une trop forte proportion des capitaux détenus dans un tel contrat l'adminis- tration veut remettre ce principe en cause.

" Les contribuables essuient des rejets sur ce fondement, observe Luc Jaillais. Et cela, même pour des contrats antérieurs à la création du bouclier. " Les experts du Cercle ne voient pourtant pas où se trouve l'entorse à la loi. D'autant que, comme l'explique Jean-Yves Mercier, " ces revenus risquent d'être imposés deux fois : d'abord tous les ans, ensuite l'année où le contrat sera dénoué ". Bernard Monassier relève pour sa part les notions éminemment subjectives contenues dans la nouvelle notice du bouclier fiscal, qui vise les contrats investis " quasi exclusivement " en euros ou investis en euros pendant la " majeure partie de l'année ". Luc Jaillais s'interroge sur le sens de cette expression : " Faut-il l'interpréter comme allant du 1er janvier au 31 décembre ou bien admettre les périodes glissantes sur douze mois ? "

En cette période détestable pour la Bourse, les épargnants qui choisissent la prudence en se réfugiant sur le compartiment réputé sans risques des obligations peuvent donc se trouver fiscalement punis d'avoir choisi une gestion sage !
2 Dividendes : le faux avantage du prélèvement libératoire

Libératoire ? Le terme paraît mal choisi pour Jean-Yves Mercier. L'avocat fiscaliste a multiplié les simulations. S'agissant de la fiscalité sur les dividendes, il n'a pratiquement pas trouvé de cas où il se révélerait plus avantageux d'opter pour le prélèvement libératoire forfaitaire de 18 %. Depuis le vote de la loi de Finances pour 2008, les actionnaires ont en effet le choix entre déclarer leurs gains et les voir taxés à la hauteur de leur tranche d'imposition, ou bien accepter un prélèvement à la source de 18 % (en réalité 29 % si l'on tient compte des prélèvements sociaux). L'avocat fiscaliste a pris le cas d'un contribuable, qui est en tout et pour tout propriétaire de 10 millions d'euros d'actions, qui lui procurent 400.000 euros de dividendes. S'il choisit le barème progressif, il se verra restituer les impositions qu'il a payées en sus de 108.400 euros, tandis que s'il opte pour le prélèvement, il devra payer 200.000 euros ! " Il n'est même pas certain que le législateur ait pris conscience de sa bourde ", observe Daniel Gutmann. En tout cas, ce texte, qui se voulait plus simple et plus équitable, n'est ni l'un ni l'autre. Du coup, les experts du Cercle doutent sérieusement que les recettes budgétaires escomptées à ce titre en 2008 soient effectivement obtenues.
3 Le pacte Dutreil : instrument économique ou moyen de contrôle fiscal ?

Dans une première lecture, les dirigeants d'entreprises familiales auraient tout lieu de se réjouir. Comme le calcule Michel Giray, notaire, cumulons une utilisation optimale de la loi TEPA, du pacte Dutreil de conservation des titres pendant quatre ans, d'une donation partage avant soixante ans et nous obtenons pour un couple avec deux enfants marié sous le régime de la communauté des biens " la possibilité de donner tous les six ans sans impôts, jusqu'à 4,8 millions d'euros ".

" Seulement, regrette Pierre Berger, avocat fiscaliste, ce dispositif a été dévié de ses fins. " L'engagement de conservation avait été conçu dans le but de pérenniser le tissu des PME françaises, car ce sont elles qui maintiennent l'emploi dans les régions. " Mais à l'usage, poursuit l'avocat, je ne sais plus à quoi il sert. Le législateur a certes proposé des assouplissements, mais l'administration réclame à côté une quantité de documents. Or s'il en manque un seul, l'avantage tombe. "

De même, au regard de l'ISF, le fait que l'entreprise devienne taxable dès lors qu'elle n'est plus un outil de travail : " C'est un frein à la transmission des entreprises. Le dirigeant se maintient déraisonnablement aux commandes. Tout cela n'est pas sain. "
4 L'outil de travail : de nombreux dirigeants vivent dangereusement

Ici encore, un principe simple se traduit par une réalité confuse. La notion de biens professionnels est déterminante pour les chefs d'entreprises familiales. C'est en son nom qu'ils s'estiment exonérés d'ISF. De fait, un article du Code général des impôts énumère quelques conditions assez simples : être dirigeant actif, contrôler au moins 25 % du capital ou à défaut, détenir une participation dont la valeur représente plus de la moitié du patrimoine. Mais, comme le note Philippe Bruneau, " c'est oublier l'instruction fiscale de soixante pages qui suit ". Elle énumère une liste impressionnante de conditions cumulatives. Qu'une seule ne soit pas respectée suffit à faire tomber l'avantage. Ceci explique une application complexe, voire une inquiétante montée des contentieux. " J'ai un client, relève Luc Jaillais, qui n'atteignant pas le seuil de 25 %, se retrouve tantôt taxable, tantôt exonéré, en fonction de l'évolution du cours de Bourse de sa société ! "
5 La porte ouverte à tous les abus... de droit

Les nombreux textes qui viennent d'entrer en vigueur devraient inciter les Français à revisiter leur patrimoine et les structures dans lesquels sont logés leurs avoirs. Seulement, un " voile inhibiteur ", pour reprendre l'expression de Philippe Bruneau, risque de les en dissuader, eux et leurs conseils. Ce voile, c'est le risque de se faire requalifier pour abus de droit. " Il faut savoir que la sanction est de nature pénale ", note Daniel Gutmann. Elle représente en effet 80 % des sommes en jeu.

Cela incite certainement les contribuables et leurs conseils à se maintenir en deçà de ce que leur permet le droit. Mais l'obstacle réside surtout dans la terrible subjectivité de la notion.

L'abus de droit est prononcé quand il apparaît qu'une opération a été menée dans le but exclusif de se soustraire à l'impôt. " Toute la difficulté, poursuit l'universitaire, consiste à distinguer les opérations fictives, donc illicites, des montages d'optimisation licites, réalisés de bonne foi. "

Or, une fois encore, cette source de contentieux concerne au premier chef les dirigeants de sociétés. Car, comme le note Bernard Monassier, " 80 % des cas d'abus de droit sont prononcés à l'encontre d'entrepreneurs en phase de structuration ou de transmission de titres avant cession. "
PROPOS RECUEILLIS PAR FRANÇOIS LE BRUN

0 commentaires: