mardi 24 février 2015
Une mission de l'Etat
Comme c’est l’hiver, comme il neige, comme des vacances scolaires ont eu la bête idée de se tenir à cette période, les télévisions ont consacré ce week-end l’essentiel de leurs journaux aux embouteillages, phénomène qu’elles révèlent plusieurs fois par an. Sans doute par pudeur, leur coût, proprement exorbitant, a été passé sous silence : deux mille euros par an par foyer possédant une voiture, soit une facture de 17 milliards d’euros pour la France. Selon les spécialistes, la construction de nouvelles routes et la modernisation permettraient facilement de réduire une telle charge. Voilà toutefois qui semble délicat, notamment à cause de l’opposition prévisible des écologistes. Aussi une seule solution : l’Etat, si protecteur, doit d’urgence interdire les embouteillages.
Et le César de la politique est attribué à...
Voici l’autre palmarès des César.
Meilleur acteur : Manuel Valls pour son rôle dans Je continue à réformer comme si de rien n’était.
Meilleure actrice : Martine Aubry pour son formidable rôle muet dans le remake de The Artist.
Meilleur second rôle masculin : Nicolas Sarkozy, dans le film Ma candidature n’a rien d’obligatoire.
Meilleur second rôle féminin : Marine Le Pen, pour son apparition dans Ma candidature est obligatoire.
Meilleur espoir masculin : Emmanuel Macron dans Je continue à réformer comme si de rien n’était.
Meilleur espoir féminin : Julie Gayet dans Les coulisses du pouvoir.
Meilleur scénario original : François Hollande pour Mes promesses de 2012.
Meilleure adaptation : François Hollande pour ce qu’il en a fait…
Meilleure musique : Jean-Luc Mélenchon (paroles d’Alexis Tsipras).
Meilleur montage : Marine Le Pen, pour la qualité de ses trucages.
Meilleur court-métrage : Benoît Hamon pour Mes quatre mois au ministère de l’Education nationale.
Meilleur premier film : Emmanuel Macron pour La French, une première œuvre encourageante sur le social-libéralisme à la française.
Meilleur documentaire : Thomas Thévenoud pour Enquête sur un mal du siècle : la phobie administrative.
Meilleur film étranger : Arnaud Montebourg, pour Narcisse et le miroir brisé, film américain coréalisé avec Aurélie Filippetti.
Meilleur film : La famille Bélier, une œuvre sur la surdité en politique.
Le prix du meilleur réalisateur n’a pas été décerné, et un César d’honneur a été attribué à Angela Merkel en récompense pour l’ensemble de son œuvre, et dans l’espoir que son jeu inspire un jour la France.
lundi 23 février 2015
Grèce: Hollande salue «un bon compromis», Tsipras se félicite
Après l'accord sur le sauvetage financier de la Grèce, le président français a salué un compromis qui permet à l'Europe «de montrer de la crédibilité, et de la solidarité». Le premier ministre grec évoque lui «un abandon de l'austérité».
Après trois réunions des ministres des Finances de la zone euro en moins de 10 jours, les grands argentiers de l'Europe sont parvenus à un accord sur le sauvetage financier de la Grèce. Dès ce matin, le président François Hollande et le premier ministre grec, Alexis Tsipras, ont salué l'accord arraché lors de cet Eurogroupe.
Samedi matin, en marge d'une visite au salon de l'Agriculture, François Hollande a qualifié de «bon compromis» l'accord visant à prolonger de quatre mois, sous conditions, le financement européen de la Grèce, en évitant un risque de sortie de l'euro. «Sur le dossier de la Grèce, nous avons cherché la bonne solution», a-t-il expliqué.
«La bonne solution, c'était de prolonger le financement permettant à la Grèce d'assurer sa transition et de pouvoir honorer ses engagements». «La bonne solution, c'était aussi de lui laisser le temps pour que ses réformes soient engagées et que le respect des électeurs grecs soit aussi préservé», a-t-il encore précisé.
L'Europe s'est engagée à prolonger le financement de la Grèce de quatre mois, mais sous de strictes conditions, soumises à examen dès la semaine prochaine. «L'Europe, elle doit montrer de la crédibilité, elle doit montrer aussi de la solidarité. De la crédibilité parce que nous devons montrer que nous avons des règles et qu'elles valent pour tous les pays (...) De la solidarité, parce que quand il y a des pays qui souffrent, il est légitime que nous puissions les accompagner tout en leur demandant de respecter leurs engagements», a expliqué François Hollande.
«La Grèce a fait beaucoup d'efforts ces dernières années. Il y a eu beaucoup de sacrifices qui ont été demandés», a-t-il affirmé. «Maintenant il faut donner du temps, mais en même temps toujours respecter les engagements, car ce sont les contribuables français, allemands et européens qui ont permis que la Grèce puisse s'en sortir». «Nous cherchons avec (la chancelière allemande) Angela Merkel toujours le bon compromis, la bonne solution. Et quand la France et l'Allemagne arrivent a se mettre d'accord, c'est toute l'Europe qui en sort renforcée», a-t-il conclu.
De son côté, Manuel Valls a déclaré à des journalistes, en marge d'une réunion de dirigeants socio-démocrates européens à Madrid: «C'est un bon compromis, comme l'a souligné le président de la République». «On donne du temps à la Grèce pour mettre en oeuvre les engagements qui sont ceux de la Grèce. Il faut aider la Grèce à rester dans la zone Europe, c'est sa place», a-t-il ajouté.
Le premier ministre grec, Alexis Tsipras, a lui déclaré que l'accord conclu revenait à annuler les engagements pris par les gouvernements précédents en matière d'austérité. «Hier, nous avons franchi une étape décisive en abandonnant l'austérité, les plans de renflouement et la troïka», a-t-il dit lors d'une allocution télévisée. «Nous avons gagné une bataille, pas la guerre. Les difficultés, les véritables difficultés (...) sont devant nous», a-t-il ajouté.
L'accord conclu vendredi lors d'une réunion des ministres des Finances de la zone euro ouvre la voie à une prolongation de quatre mois de l'aide financière à Athènes mais oblige le gouvernement Tsipras à adresser d'ici lundi soir à ses partenaires une liste des réformes qu'il s'engage à mener.
«L'accord d'hier avec l'Eurogroupe (...) annule les engagements du gouvernement précédent en matière de coupes dans les salaires et les pensions de retraite, de licenciements dans le secteur public, de hausse de la TVA sur l'alimentation et les médicaments», a précisé Alexis Tsipras.
Le monde entier n'est pas Charlie
La démonstration d'unité du monde occidental contre le terrorisme ne doit pas faire illusion. Le mal est profond et entretenu par de grands pays.
L'image est historique : la France unie pour condamner la barbarie et communier sur ses valeurs fondamentales. Avec à ses côtés ses principaux alliés solidaires dans l'épreuve. Mais dans les camps de Daesh à Rakkah (Syrie), dans les sanctuaires d'al-Qaida au Yémen, dans les madrasa (écoles coraniques) du Pakistan, la démonstration n'a pas impressionné grand monde. À Peshawar, il y a même eu une manifestation de soutien aux tueurs conduite par un imam local. Et l'autorité musulmane chargée de conseiller le gouvernement égyptien vient de dire tout le mal qu'elle pensait de la une, pourtant bien anodine, de Charlie Hebdo à paraître ce mercredi, tout comme l'Iran, qui a condamné une couverture "insultante".
Il ne faut pas se bercer d'illusions : entre le Nil et l'Euphrate ou au fin fond du Pakistan, les opinions publiques - quand elles ont entendu parler de Charlie Hebdo - continuent de considérer que le journal a commis un grave blasphème. Au coeur du cortège parisien figuraient des représentants de la Turquie et de l'Arabie saoudite, deux pays qui se caractérisent par leur ambiguïté. Le premier a permis à Daesh de se renforcer en fermant les yeux sur le transit des combattants islamistes sur son sol. Le second, l'Arabie, est bel et bien la matrice idéologique des courants fondamentalistes modernes.
L'Arabie saoudite. Vers 1740, le prédicateur Muhamed Abdel Wahhab (1703-1792) commence sa campagne pour une purification de l'islam, un retour aux sources du VIIe siècle. Il veut chasser les idolâtres, combattre les superstitions, le culte des saints et le chamanisme qui subsistent dans la péninsule arabique. Mais l'accueil est plutôt frais et il se fait chasser de partout, notamment de Bassora, aujourd'hui en Irak. Il comprend que le goupillon ne lui suffit pas et qu'il lui faut un sabre. Il se réfugie dans le Nedj (la région de Riyad) et, en 1744, scelle un pacte avec le chef de guerre Muhamed Ibn Saoud. Les deux hommes lancent les Ikhwan (les frères) dans un djihad pour convertir les récalcitrants à la nouvelle doctrine.
Remarque : à la même époque s'épanouissait en France un certain Voltaire, dont on a beaucoup parlé ces temps-ci...
La conquête complète de l'Arabie actuelle sera parachevée par leurs héritiers en 1924-1925 avec la prise de La Mecque et du Hedjaz. La légitimité de l'Arabie est donc avant tout religieuse, et Riyad a irrigué idéologiquement et financièrement la plupart des courants fondamentalistes qui ont servi de couveuses aux futurs djihadistes. Les Saoudiens ne savent plus aujourd'hui comment faire rentrer le djinn maléfique dans la bouteille. Mais toucher aux fondements du wahhabisme, c'est ébranler les bases mêmes du royaume.
Le Pakistan est aussi un exemple emblématique. Il a été fondé, comme l'Arabie, sur une légitimité exclusivement religieuse au moment de la partition de l'Inde en 1947. Il s'agissait de regrouper les musulmans dans un état homogène. Cette rivalité avec l'Inde perdure et explique l'obsession du Pakistan à contrôler ce qu'il considère comme son arrière-cour, sa profondeur stratégique : l'Afghanistan. L'ISI, les services spéciaux de l'armée pakistanaise, a longtemps été à la manoeuvre sur les deux dossiers-clés du Cachemire, disputé entre l'Inde et le Pakistan, et de l'Afghanistan. Peshawar a servi de base arrière pour le djihad contre l'occupant soviétique avec l'argent des Saoudiens, l'aide des Occidentaux et l'afflux de combattants arabes galvanisés par les prêches des imams. Parmi ces volontaires : un certain Oussama ben Laden, rejeton dévoyé d'une riche famille saoudienne. C'est là que le djihad a connu une nouvelle jeunesse. Puis l'ISI a soutenu les talibans afghans. Mais si ces derniers restent encore liés au Pakistan, les talibans pakistanais ont, eux, engagé une épreuve de force avec Islamabad, et le récent massacre de 132 enfants d'officiers est sans doute un acte de rupture irréversible.
Si des États constitués, gouvernés et organisés - Turquie, Arabie, Qatar, Pakistan - posent problème, la situation est pire dans les zones sahéliennes de non-droit, en Irak ou en Syrie. Daesh, al-Qaida historique : peu importe le label, car l'affiliation des terroristes est désormais à une idéologie plus qu'à une organisation. Il faut se faire une raison : les mentalités n'évoluent pas aussi vite que la téléphonie mobile.
La droite patauge dans la semoule !
Le parti socialiste se déchire, mais l'UMP peine à définir une stratégie crédible face au Front national. Une chance pour François Hollande ?
Les socialistes vont subir de sévères raclées lors des prochaines élections départementales et régionales. Mais François Hollande est encore loin d'avoir perdu par avance la présidentielle de 2017, la "mère de toutes les batailles" pour reprendre une phraséologie imagée du regretté linguiste Saddam Hussein.
Certes, le PS est en miettes : il n'arrive pas à amorcer le tournant réformiste que les sociaux-démocrates allemands ont, eux, effectué lors du congrès de Bad Godesberg en... 1959 ! Plus d'un demi-siècle de retard : c'est un peu longuet pour une mise à jour... Pourtant, François Hollande surnage. L'image régalienne du président reprend quelques couleurs après les attentats de Paris et la gestion volontariste de la crise ukrainienne en compagnie d'Angela Merkel.
François Hollande accroche des médailles à foison, passe presque quotidiennement des troupes en revue le regard fiché sur la France éternelle. À Istres, il défend le sanctuaire inviolable des forces nucléaires gaulliennes. Envolé, M. "petites blagues", le capitaine de pédalo, l'homme des synthèses mi-chèvre mi-chou. C'est désormais Zeus brandissant la foudre. Pour peu que la situation économique s'améliore d'ici deux ans et sans qu'il y soit pour grand-chose, le président peut entrevoir un opportun petit coin de ciel bleu.
En face, la droite patauge dans la semoule. Ses nombreux chefs font penser au prince de Soubise cherchant son armée à la lueur d'une lanterne au soir de la défaite de Rossbach (1757). L'UMP vote la censure contre une loi Macron, certes timide, mais qui va plutôt dans le sens de ce qu'elle préconisait. Comprenne qui pourra. Nicolas Sarkozy n'est pas dans le match. Le style onctueux ne lui va pas très bien. Le loup s'est transformé en cocker afin d'éviter de trop briser la porcelaine de l'UMP. Il paraît avoir renoncé à tondre la laine sur le dos du Front national dont l'électorat s'est cristallisé. Son ambition politique est claire : figurer au second tour face à Marine Le Pen afin de se retrouver dans la situation de Jacques Chirac en 2002. Mais ce n'est pas gagné. Car deux conditions sont à remplir : rassembler au premier tour un nombre de suffrages substantiel, et que François Hollande se "jospinise".
Alain Juppé est le favori des Français, mais pas vraiment de son propre parti. Les primaires risquent de lui être fatales, à moins qu'il ne franchisse le Rubicon et finisse par faire cavalier seul. Après tout, il y a un précédent : Giscard n'avait pas l'UDR derrière lui (sauf une quarantaine de dissidents menés par Jacques Chirac) quand il a devancé Jacques Chaban-Delmas en 1974 pour finalement être élu président au second tour. Juppé pourrait alors ratisser au centre et jusque sur les marges du PS. Mais la manoeuvre est risquée.
Reste François Fillon, un peu passe-muraille, qui tourne en rond comme sur le circuit du Mans qu'il affectionne. Puis quelques autres aussi, comme Bruno Le Maire, qui, plus jeunes, jouent sans doute le coup d'après.
Bien sûr, l'équation peut changer, une dynamique se créer mais, pour l'instant, la droite ne joue pas gagnante dans la course présidentielle, tout au plus placée.
L’éternelle retouche des photos du corps féminin
Une femme à moitié nue sur une plage : voilà ce que représente la première photographie retouchée avec le logiciel Photoshop. Une quinzaine d’années plus tôt, c’était le portrait de Lenna, une playmate suédoise, qui avait servi de fichier de travail à des chercheurs en imagerie numérique voulant compresser au mieux des photos scannées.
En 2015, alors que le fameux logiciel de retouche d’image Photoshop fête ses25 ans, de nombreuses images de femmes célèbres « au naturel » sont massivement diffusées sur Internet. Il y a peu, une photographie du mannequin Cindy Crawford, prise initialement en décembre 2013 pour l’édition mexicaine de Marie Claire, et publiée sans retouche le 16 février sur Twitter, a suscité un grand enthousiasme.
Des portraits de la chanteuse Beyoncé attirèrent ensuite l’attention. D’abord publiées, puis retirées, sur The Beyoncé World (l’un des plus importants blogs de fans de l’artiste), ces photographies sont présentées par les internautes comme « non retouchées ». Selon le Daily Mail, les clichés dateraient de 2011 et de 2013, et auraient été pris à l’occasion d’une campagne publicitaire pour L’Oréal.
Ni Cindy Crawford ni Beyoncé n’ont pour l’instant réagi aux « fuites », qui pourraient aussi être de simples outils de communication marketing. Mais la publication de ces photographies pose une nouvelle fois la question de la manipulation des images numériques, devenue omniprésente dans la sphère publique.
Toutes les images sont « retouchées »
D’un point de vue technique, rappelons d’abord que toute photographie est l’interprétation d’une scène. La pose du modèle, son maquillage, la lumière, le cadrage, l’exposition sont autant d’aspects qui influent sur le rendu final.
Cette réalité s’est accentuée depuis l’arrivée de la technologie numérique. Un capteur d’appareil photo numérique n’enregistre pas une image : il quantifie des niveaux d’intensité lumineuse, qui sont ensuite interprétés, soit par l’appareil lui-même, soit par un ordinateur, lorsque l’on développe un fichier brut (ou raw).
Avec ce procédé, toute photographie, devenue l’objet d’un traitement informatique, semble incapable de représenter le réel : elle ne fait que l’interpréter. « La photo numérique est une création », expliquait en 2011 au Monde Fred Ritchin, professeur de photographie et de culture visuelle à l’université de New York. « Le pixel n’a rien à voir avec le grain de l’argentique, c’est une mosaïque dont il est facile de modifier ou de retrancher un élément », déclarait-il.
La retouche numérique intervient ensuite pour accentuer ou corriger cette interprétation initiale. La fascination derrière la publication d’images soi-disant « non retouchées » révèle surtout que l’on cherche à croire à la dimension naturelle de la photographie. Alors qu’elle est, par essence, artificielle.
Pour Jérôme [le prénom a été modifié], directeur technique dans une agence de postproduction de renommée internationale, il est ainsi difficile de parler d’image non retouchée en ce qui concerne la photographie de Cindy Crawford. Selon lui, pour cette image, « les contrastes ont très bien pu être renforcés pour accentuer l’effet naturel ».
« 80 à 90 % de femmes »
L’agence de Jérôme traite principalement des commandes passées par des publicitaires ou des marques du domaine du luxe. On y pratique la retouche numérique de manière intensive. « Sur certaines images très retravaillées, c’est facilement 50, voire 75 % de la surface d’une photo qui peut être modifiée », précise Jérôme.
Il faut distinguer, dans son travail, plusieurs types d’intervention : la postproduction peut aller de la chromie, qui consiste à modifier les valeurs colorées et lumineuses, jusqu’à la retouche elle-même, où l’on intervient sur l’aspect géométrique de l’image. La peau est lissée, les boutons, les poils, les cernes ou les rides sont supprimés. Parfois, la retouche peut aller encore plus loin.
Pour la campagne d’une grande marque de luxe incarnée par une actrice américaine, il a fallu par exemple satisfaire à la fois l’annonceur et la star. « Au bout du compte, le corps et le visage de l’actrice provenaient de deux images différentes, réalisées lors de la même prise de vue », raconte Jérôme. Il est même arrivé à l’agence de devoir masquer le ventre arrondi d’un modèle qui avait posé à trois mois de grossesse.
Ces retouches concernent en grande majorité le corps féminin. « Entre 80 et 90 % des images que l’on retravaille représentent des femmes. » Et pour les photos qui représentent des hommes ? L’intervention est bien plus légère selon lui : « Les clients souhaitent un rendu plus brut quand il s’agit d’hommes, moins doux. »
« Ce qui importe, c’est le rendu »
Ce contrôle exercé sur l’image du corps des femmes célèbres n’est pas nouveau. Dans l’ouvrage Mythologies (Seuil, 1957), Roland Barthes consacrait un chapitre au visage de Greta Garbo, « visage non pas dessiné, mais plutôt sculpté, dans le lisse et dans le friable, c’est-à-dire à la fois parfait et éphémère ». Pour éviter de voir des images d’elle vieillissante, l’actrice aurait décidé de se retirer de la vie publique afin d’éviter que « l’essence se dégradât ».
En ce qui concerne spécifiquement la photographie, les questions posées par la retouche sont également aussi vieilles que le support lui-même, comme le rappelle André Gunthert, chercheur en histoire culturelle et études visuelles. Le phénomène a accompagné la photographie à travers toute son histoire, dans la mode, comme dans le reportage ou la propagande politique, comme le montrait déjà, en mai 1945, une photo prise sur le toit du Reichstag, à Berlin, mise en scène par le photojournaliste soviétique Evgueni Khaldeï.
Si, dans la photographie de presse, la retouche pose un réel débat éthique, les professionnels qui travaillent dans les domaines de la publicité, de la mode et de la retouche se sentent toutefois beaucoup plus libres. « Ce qui importe, c’est le rendu. La conformité avec la scène originale importe très peu », explique Jérôme lorsqu’il évoque le travail de son agence de postproduction.
Aucune loi en France
De quoi provoquer des questionnements sur la manière dont sont représentés les corps dans l’espace public. Certaines campagnes de publicité se sont déjà vues interdites de publication, comme ce fut le cas au Royaume-Uni en 2011. Mais, en France, malgré un débat à l’Assemblée en 2009, aucune législation n’oblige les annonceurs à signaler une quelconque intervention sur une image.
Ce débat dépasse toutefois largement le cadre du politique. En France, le magazine Causette revendique par exemple une certaine forme d’authenticité, en refusant tout type de retouche visant à masquer des imperfections dans ses pages. En 2006, le fabricant de cosmétiques Dove avait produit un court-métrage destiné à montrer l’intensité des retouches dans la publicité. Sa dénonciation était néanmoins devenue un argument marketing.
Hydra, Spetses et Poros, trois îles grecques envoûtantes
Elles s'enroulent toutes les trois autour de l'Argolide, ce «pouce» du Péloponnèse qui s'avance en mer Egée. Si leur architecture se ressemble, chacune d'elle affiche une atmosphère différente: alanguie pour Poros, chic et bohème pour Hydra, aristocratique pour Spetses. Est-ce la proximité du continent qui les distingue du dépouillement bleu et blanc de l'archipel voisin des Cyclades? Ces trois îles du golfe Saronique ont fait fortune avec la mer et ça se voit. Leur port compte parmi les plus beaux de Grèce tandis que le reste de ces îles est vierge.
Première escale Poros, la plus proche d'Athènes. A peine a-t-on le temps de goûter à la pleine mer que la terre se referme sur notre navire et nous voilà à voguer dans les rues du port. Poros signifie «le passage» et, de fait, seul un étroit chenal la sépare du Péloponnèse, enflammant l'imagination des poètes et des écrivains. «On entre à Poros en titubant et tournoyant comme un doux idiot ballotté parmi mâts et filets, dans un monde que le peintre est seul à connaître…», écrit Henry Miller dans l'une des pages les plus inspirées du Colosse de Maroussi. Soixante-dix ans plus tard, l'impression laissée par la géographie du port est la même. Sur la mer sans vagues de l'étroite passe remplie de voiliers et de caïques de pêche, des barques blanches font la navette avec le continent, tissant sans relâche un pont d'écume entre les deux rives. A juste titre, Poros s'enorgueillit d'être la seule île grecque reliée à toute heure du jour et de la nuit avec le continent. Ce qui permet de succomber facilement à la magie du théâtre d'Epidaure tout proche.
Poros distille un parfum de vieille Grèce: des tavernes traditionnelles et des bars vieillots qui s'égrènent sur le port, des boutiques un peu kitsch de souvenirs et ses maisons comme des cubes blancs coiffés de tuiles rouges qui dégringolent de la colline. Nul besoin de rester longtemps pour en faire le tour. Une heure suffit pour flâner sur son port, grimper sur son promontoire et s'échapper sur sa colline pour apprécier la vue plongeante et enchanteresse sur le chenal. Mais jeter l'ancre au moins une nuit sur l'île, c'est l'assurance de se ressourcer dans un monde sans mondanités face à une nature sublime. A quelques kilomètres du port, enfoui dans la pinède et dominant la mer à la verticale, l'hôtel Sirene Blue semble seul au monde. Y poser ses valises, c'est entrer dans un sas de décompression: une chambre minimaliste, un menu de sept oreillers et une vue tout simplement exceptionnelle sur la mer cristalline où les prairies de posidonies dessinent des nuages sombres au fond de l'eau, ainsi que sur les collines de l'Argolide qui viennent mourir en douceur dans la mer. On peut se rendre comme en pèlerinage au temple de Poséidon, moins pour les vieilles pierres éparses que pour le site évocateur qui surplombe la mer. Démosthène, l'orateur athénien farouche opposant aux Macédoniens, mit ici fin à ses jours sous la pression d'Antipater, le successeur d'Alexandre.
Un saut de puce et l'on rejoint Hydra. Aride, escarpée, rocailleuse: le bateau longe une montagne sauvage et austère qui se dresse dans la mer comme l'épine dorsale d'un monstre marin assoupi. Aucun signe de vie quand soudain son flanc s'ouvre, offrant un spectacle subjuguant: un port protégé par des bastions et entouré d'un amphithéâtre de maisons fortifiées ou blanches qui partent à l'assaut des hauteurs de l'île. Les caïques et les yachts qui dansent sur l'eau, la ribambelle de cafés qui s'alignent sur le quai, les caravanes d'ânes qui attendent patiemment leurs chargements, les chats qui se lèchent les babines devant la barque des pêcheurs… Toute la vie d'Hydra se concentre ici sur le port, tandis que le labyrinthe des ruelles remplies de bougainvillées et de jasmin invitent à flâner sans discontinuer. Hydra est unique: aucune voiture ni véhicule à moteur - à part le camion-poubelle - ni même de vélo ne vient abîmer sa tranquillité.
Et ce n'est pas seulement l'absence de pollution qui nous transporte, non, c'est le silence qui nous étreint et un rythme de vie paisible que l'on embrasse par la force des choses. Alors, depuis toujours, on se déplace à pied ou à dos d'âne. Même si parfois l'on cède à la facilité du bateau-taxi qui nous dépose en quelques minutes sur l'une des plages isolées de l'île. Une manière aussi d'échapper aux nuées de croisiéristes qui soudain se déversent sur les quais: aux heures les plus chaudes de la journée, ils visitent au pas de charge le port qui prend alors des allures de village-musée. Peut-être capteront-ils le parfum des stars qui sont passées sur l'île? Comme Sophia Loren qui, en jouant les pêcheuses d'éponges dans le film Ombres sous la mer, a lancé Hydra à la fin des années 50 aux côtés de Capri et de Saint-Tropez. Ou encore Leonard Cohen, qui a vécu ses plus heureuses années dans une maison perchée sur les hauteurs de la ville. A moins qu'ils ne cherchent ces capitaines d'antan qui ont fait la fortune de l'île?
L'histoire d'Hydra est singulière. Longtemps abandonnée, l'île se peuple au XVe siècle d'Albanais orthodoxes venant du Péloponnèse. Sur cette île sans eau et infertile, le salut de ses habitants vient de la mer: ils deviendront de formidables pirates et marins. A la fin du XVIIIe siècle, l'île compte 27 000 habitants, une école de capitaines, des chantiers navals et une flotte d'une centaine de goélettes qui commerce jusqu'en Amérique. Les guerres napoléoniennes démultiplieront la fortune d'Hydra comme celle de Spetses qui partage la même tradition marine: leurs flottes ravitailleront à prix d'or en blé d'Ukraine la France asphyxiée par le blocus anglais. Puis les deux puissances navales s'illustreront dans la guerre d'Indépendance grecque, sacrifiant leurs navires et leur fortune à la cause nationale.
De cette période, il reste ces imposantes maisons d'armateur, comme celle de Lazaros Kountouriotis. Ce vaste édifice fortifié à la façade ocre orangé qui domine le port d'Hydra surprend par son raffinement intérieur: le dallage en damier de sa cour, ses plafonds en bois savamment sculptés, ses meubles anciens et sa collection de portraits rendent compte du niveau de vie des notables d'alors. Tandis qu'à nos pieds, les toits de la ville dégringolent en cascade jusqu'à la mer. Hydra fascine. Sa lumière. Son port bijou. Ses sentiers qui sillonnent une garrigue escarpée ou surplombent une mer au bleu bouleversant. Rien ne vient abîmer le regard. Au point que la beauté de l'île rejaillit sur ceux qui la contemplent. Ce n'est donc pas un hasard si Hydra est prisée par les artistes. L'Ecole des beaux-arts d'Athènes y possède une annexe qui accueillit des peintres comme Chagall, Khatzikyriakos-Ghikas, le pionnier du modernisme en Grèce, ou encore aujourd'hui le postimpressionniste Panayotis Tetsis. Tandis que le grand collectionneur Dakis Joannou a ouvert en 2009 une annexe de sa Fondation Deste pour l'art contemporain sur l'île. Ce dernier ne passe pas inaperçu quand il amarre dans le port son mégayacht décoré par Jeff Koons de motifs géométriques pop art.
La nouvelle génération d'artistes qui s'installe sur l'île prend parfois la relève d'un parent. C'est le cas d'Adam Cohen, le fils de Leonard. «Hydra est le lieu qui a le plus marqué mon enfance, mon esprit, ma mémoire, c'est un paradis pour gosses sans voiture ni danger», confie Adam qui s'y sent encore aujourd'hui protégé. Au point d'y avoir enregistré l'an dernier son quatrième album, We Go Home, en hommage à son père. Une manière aussi pour lui d'intégrer la sensibilité, l'énergie et la poésie du lieu dans sa musique. Sur la pochette, son fils de 7 ans à qui il veut transmettre cette petite graine de Grèce que lui a offerte son père.
Nouveau saut de puce, nouvel environnement. Face au quai de Spetses où l'hydroglisseur jette les amarres s'élève un petit palace centenaire fraîchement restauré: le Poseidonion Grand Hotel a été construit en 1914 sur le modèle du Carlton ou du Negresco sur la Côte d'Azur. L'établissement donne le ton de l'île: Spetses n'a pas la grâce sauvage et bohème d'Hydra ni la nonchalance débonnaire de Poros. Non, voilà une île élégante et enjouée, prisée par les armateurs et la haute société athénienne depuis qu'un homme visionnaire a métamorphosé le visage de l'endroit au début du XXe siècle.
Après avoir fait fortune dans le tabac aux Etats-Unis, Sotirios Anargyros revient sur son île natale avec le projet de la développer. Il en rachète la moitié et la couvre de pinèdes pour qu'elle redevienne la Pityoussa - l'île aux pins - de l'Antiquité au climat frais et salubre. Il invite l'aristocratie grecque à des parties de chasse qui durent d'août à octobre. Il construit un palace, le Poseidonion, et ouvre une route en corniche sur la mer qui fait le tour de l'île: elle dessert encore aujourd'hui le rivage ourlé de ravissantes plages aux eaux turquoise. Il crée même une école pour garçons sur le modèle du collège britannique d'Eton. Durablement, Spetses devient la résidence d'été de la bonne société grecque et de ses têtes couronnées. Ce n'est donc pas un hasard si Stavros Niarchos rachète à la fin des années 50 la petite sœur de Spetses, Spetsopoula, pour en faire son île privée.
Depuis une dizaine d'années, l'île fait tout pour briller sur la carte des destinations tendance et huppées de la Méditerranée. Quelques locaux, comme Christos Orloff et ses frères, restaurent avec audace leur propriété familiale, la transformant en hôtel frais et contemporain. Autour des deux cours pavées de galets dans la tradition de l'île, trois solides maisons aux chambres épurées et au mobilier sobrement design. Christos Orloff est un pur produit de l'histoire de Spetses. En gentleman formé à la prestigieuse école de l'île, il vient chaque matin saluer sa clientèle au moment du petit déjeuner. Le curieux patronyme de cette famille grecque remonte au XVIIIe siècle: il s'agit d'un titre offert par les Russes en remerciement de la bravoure d'un ancêtre qui, avec sa flotte, avait prêté main-forte à la Russie de la Grande Catherine pour trouver un débouché en Méditerranée.
Autre signe du renouveau de Spetses, la réouverture du Poseidonion, plus beau que jamais, sous la houlette d'un armateur épris de l'île, Antonis Vordonis. Il est à l'origine d'un des temps forts qui l'animent chaque été. Avec le Yacht Club de Grèce, il organise la Spetses Classic Yacht Race, une régate de vieux gréements qui rend hommage à l'histoire et à la tradition navale de l'île. Pendant quatre jours, le bras de mer qui sépare l'île du Péloponnèse se remplit des plus beaux bateaux de la Méditerranée, un ballet où les goélettes égéennes et les voiles latines croisent leurs mâts avec de prestigieux navires comme le Savannah, réplique modernisée des Classe J des années 30. Vainqueur à deux reprises de la régate dans sa catégorie avec une goélette et un hydraiki, un canot creux traditionnel d'Hydra revisité, Nikos Daroukakis, architecte naval, se réjouit du spectacle: «Ce n'est pas tant la course qui compte que ce rassemblement extraordinaire de bateaux et de personnes passionnées ; cela ne peut que créer des vocations.» Pantelis Korakis ne le contredira pas: la régate relance le carnet de commandes de son minuscule chantier naval.
Avec son père, il fait partie des sept familles prolongeant la tradition navale de Spetses. Dans la profonde baie échancrée du vieux port, les chantiers navals disputent leur place sur la grève aux bars et tavernes branchés dans un joyeux capharnaüm de madriers, de barques en construction, de poulies, d'amarres et de tables couvertes d'ouzo et de poulpe grillé.
Le vieux port est un enchantement: il faut marcher jusqu'au phare pour en apprécier tous les secrets. On avance sous l'œil des solides maisons spetsiotes, des palmiers au feuillage fou, de quelques cyprès élancés. Tout au bout, un bosquet de pins peuplé d'étranges animaux et de personnages mythologiques: un puissant taureau de fer, une chouette étonnée en tôle ondulée, une fière sirène qui se dresse sur sa queue de poisson métallique… Des œuvres tout en force de la sculptrice grecque Natalia Mela, la grande dame de Spetses, et une promenade offerte à l'île par sa mécène, Annette Schlumberger. Juste avant le phare, une dernière statue: la silhouette fine et élancée du jeune héros de l'île, Kosmas Barbatsis, qui défit en 1822 par le feu la flotte des Turcs. L'île a le sens de la fête et du spectacle. Pour commémorer cette victoire décisive, c'est toute la mer qui s'embrase dans des feux d'artifice la seconde semaine de septembre lors du Festival de l'armata. Dans un vacarme assourdissant de salves de feux colorés, la bataille navale est rejouée dans une commémoration enjouée des héros de l'Indépendance grecque.
Si proches et si différentes: voilà le charme des îles grecques. Poros, Hydra et Spetses ont en commun un port éblouissant et une tradition marine. Pour le reste, il suffit de les égrener avant de choisir celle sur laquelle on aimerait prendre racine.
samedi 21 février 2015
L’indépendance paye
L’Égypte nous aurait-elle acheté le Rafale si nous avions dû demander une autorisation pour les vendre ?
Valeurs actuelles, qui a toujours défendu les capacités militaires de la France, s’en serait voulu de ne pas rendre hommage comme il convient à l’action personnelle menée, depuis 2012, par Jean-Yves Le Drian pour maintenir celles-ci envers et contre tout : dans le contexte économique actuel, bien sûr, mais aussi et peut-être surtout face à ses propres amis, dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils entretiennent un rapport compliqué avec la chose militaire…
Mais quels que soient ses qualités et son patriotisme, l’actuel ministre de la Défense aurait-il pu convaincre l’Égypte d’acheter le meilleur avion du monde qu’est le Rafale sans l’héritage de la “France aux mains libres” légué par le général de Gaulle ? Lisez le dossier que nous consacrons à la fois à la personnalité de Jean-Yves Le Drian et à cette vente, qui constitue un tournant géopolitique majeur : vous découvrirez que l’élément déclencheur de cette réussite française tient à la rencontre de deux volontés d’indépendance. Celle de l’Égypte, lasse de demander aux États-Unis l’autorisation de se défendre contre l’islamisme — en l’espèce, le droit d’armer ses F-16, comme naguère le Royaume-Uni, hors d’état de disposer de ses missiles nucléaires Polaris sans la “double clé” américaine ; et celle de la France dont l’industrie de défense n’a jamais confondu coopération et sujétion. Cette réussite à la fois technique et politique méritait un coup de chapeau. Le voici.
Ils ne se quittent plus…
Depuis trois semaines, Angela Merkel et François Hollande se sont téléphoné presque tous les jours, tous deux convaincus qu’il fallait aboutir, et vite, à un règlement politique en Ukraine (Angela est allée dire à Obama qu’il ne devait surtout pas livrer d’armes).
Les attentats de Paris ont renforcé leurs liens : elle a été la première à lui téléphoner après la fusillade de Charlie Hebdo. On l’a vue, la tête tendrement posée sur l’épaule du président, à l’issue de la grande manifestation parisienne du 11 janvier. Sans doute l’émotion la submergeait-elle, on ne l’imaginait pas si câline. La photo a été qualifiée d’“historique” par plusieurs journaux allemands. Et ils se sont trouvés “raccord” sur le dossier grec lors de leur dîner à Strasbourg.
L’entente parfaite ! Angela Merkel a même déclaré au Bundestag : « Nous avons conscience que dans notre monde globalisé les destins de l’Allemagne et de la France sont indissociablement liés. » Une phrase qui faisait écho à celle de François Hollande : « Quand nous sommes ensemble, nous avons la capacité de la puissance. » Si vous ajoutez les dix-sept heures de négociations non-stop à Minsk pour arracher les accords de cessez-le-feu, dont ils sont sortis physiquement éprouvés, l’un et l’autre s’en souviendront, ce qui renforce les liens. Vendredi, la chancelière vient déjeuner à l’Élysée avant d’aller à Rome.
Cette flamme merkelienne est évidemment plus politique que sentimentale. Elle a besoin de François Hollande. Elle est très satisfaite lorsqu’il est en première ligne au Mali ou à l’offensive dans la guerre contreDae’ch en Irak, bref lorsqu’il assume des responsabilités dont elle ne veut pas. La France, faible politiquement sur le terrain diplomatique, l’obligerait à prendre un leadership pour lequel elle n’est pas candidate. Seule, elle aurait pesé moins lourd à Minsk, elle le sait. Le monde bouge, des mouvements anti-islam s’organisent en Allemagne. Comment combattre le terrorisme ? Aucun débat n’a été organisé au Bundestag. L’Allemagne serait le troisième exportateur d’armes : 5,85 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2013. Mais l’opinion allemande ne veut pas entendre parler de participation à la guerre.
Nicolas Sarkozy avait eu cette formule : « Sans la France, l’Allemagne fait peur, sans l’Allemagne, la France fait rire. » On comprend mieux pourquoi François Hollande a parachevé son changement de posture en “chef d’État, chef de guerre” et non plus “président, ministre des Finances” qui promettait, avec le succès que l’on sait, l’inversion de la courbe du chômage. Il s’est recentré sur ses domaines de crédibilité : la sécurité et l’international. Car sur le front économique, l’écart s’est encore creusé avec l’Allemagne.
vendredi 20 février 2015
Loi Macron : les leçons d’un psychodrame
L'éditorial. La manière dont l’essentiel de la droite s’est comporté, à cette occasion, va finir par lui revenir dans les jambes tel un violent boomerang qu’elle aurait elle-même lancé.
Jusqu’à présent, personne n’ignorait que la France souffrait d’avoir la droite la plus bête du monde. Désormais, nous savons aussi qu’elle a la gauche la plus incapable de se réformer. Mardi après-midi, à quelques minutes du vote très attendu de la loi sur la croissance et l’activité, défendue avec talent par Emmanuel Macron, le gouvernement s’est aperçu qu’il n’avait pas de majorité pour faire approuver ce texte. Et après une réunion extraordinaire du Conseil des ministres, il a donc décidé de faire adopter cette loi en engageant la responsabilité du gouvernement.
Bien sûr, les politologues vont pondre des pages d’exégèse sur l’utilisation par un pouvoir socialiste de ce très controversé article 49 alinéa 3 de la Constitution. Bien sûr, le recours à cette procédure n’aurait pas été nécessaire si une poignée de frondeurs n’avaient pas décidé de faire le forcing pour infliger un camouflet à un Manuel Valls qu’ils taxent de “social-libéral” comme si c’était la pire des injures. Bien sûr, derrière tout cela, c’est le congrès de Poitiers qui se prépare et Benoît Hamon qui espère bien ravir le parti à Jean- Christophe Cambadélis.
Mais il est malheureux que s’agissant d’un texte d’intérêt général, et non partisan, il ne se soit trouvé qu’une douzaine de députés de l’UMP ou de l’UDI prêts à éviter un tel psychodrame et surtout un tel spectacle donné au pays. Quel malheur pour la France de voir le procès en sorcellerie de cette loi dressé par la députée communiste des Hauts-de-Seine Jacqueline Fraysse, applaudie debout par la plupart des députés de droite ! Quelle aberration de voir mêlées dans le même conservatisme aveugle, des voix de l’extrême gauche et celle d’une droite qui se dit prête à gouverner en 2017 !
Comme l’a dit François Hollande, la loi Macron n’est pas « la loi du siècle ». Comme nous l’avons nous-mêmes expliqué dans Valeurs actuelles, ce n’est pas une panacée. Mais faut-il voir sans cesse le verre à moitié vide ? Ou bien était-il vraiment impossible, dans l’état où se trouve actuellement l’économie française, de voter une loi qui simplifie les procédures de licenciement (ce que réclame la droite depuis des années), qui rénove la justice prud’homale (ce que souhaitent les 2 millions d’entrepreneurs), qui permet de clarifier les modalités du travail dominical et qui déverrouille une quantité de cadenas qui bloquaient la croissance et l’activité économique ?
En s’essuyant les pieds sur ce texte, les députés ont montré qu’ils vivaient dans une bulle à mille lieues des préoccupations de leurs électeurs. Ils ont montré qu’il était plus important pour eux de renvoyer à ses chères études quelqu’un qu’ils n’ont jamais admis, parce qu’il a été banquier chez Rothschild & Cie, plutôt que de permettre à des dizaines de milliers de jeunes d’avoir accès à un emploi. Ils ont préféré caricaturer un texte plutôt que de rendre service à l’économie française, aux entreprises et à tous ceux qui créent de l’emploi. Ils ont préféré un quart d’heure de vengeance stupide à l’égard de la majorité actuelle à un texte qui aurait pu changer la face de notre économie au cours des dix années à venir.
En agissant ainsi, les députés ont montré qu’ils étaient finalement aveuglés par le syndrome Syriza, ce parti d’extrême gauche qui vient d’être porté au pouvoir en Grèce pour avoir joué sur la seule fibre populiste. Ils ont laissé croire, une nouvelle fois aux Français que comme en Grèce, il n’y avait finalement aucun problème à nier la réalité, les 10,3 % de taux de chômage, les 25 % de jeunes sans emploi, une dette de 2 050 milliards d’euros que nos petits-enfants devront encore rembourser dans cinquante ans et un déficit budgétaire qui continue de progresser, alors qu’il recule partout ailleurs en Europe.
Ce qui vient de se passer est lourd de conséquences pour la gauche, qui va devoir maintenant gérer ses fractures. En même temps, ce recours au 49-3 témoigne de la part de Manuel Valls de sa volonté de s’imposer coûte que coûte comme le réformateur qu’il avait promis d’être il y a onze mois en devenant premier ministre.
Mais la manière dont la droite s’est comportée à cette occasion va finir par lui revenir dans les jambes tel un violent boomerang qu’elle aurait elle-même lancé. Comment pourra-t-elle expliquer, une fois revenue au pouvoir, qu’il faut simplifier les licenciements, déverrouiller les rigidités de notre économie, faciliter le travail dominical, alors qu’elle aura tenté de bloquer la loi Macron ? Cette attitude irresponsable se paiera cher. Une fois encore, par la montée des extrêmes, de tous les extrêmes. De tous ceux qui refusent de regarder la réalité en face. Et qui, ce faisant, accentuent lentement mais sûrement le déclin de notre pays.
La Grèce au bord du drachme
Crise. Mélange de fables économiques : la cigale grecque voulait se faire aussi grosse que le boeuf. Elle a péché par vanité avec la complicité de l’Europe. Éclairage sur une crise à rebondissements qui pourrait aboutir à la sortie de la Grèce de la zone euro.
Prenez un shaker, mettez-y un pays qui, pour entrer dans la zone euro, a caché l’ampleur de sa dette et de ses déficits, champion de l’évasion fiscale, où la corruption est devenue un sport national. Rajoutez les conséquences économiques et sociales du ralentissement mondial lié à la crise des subprimes et deux grosses cuillerées de cure d’austérité sous l’égide d’un contrôle international, la troïka, en échange d’aides financières massives… Secouez le tout et vous obtiendrez un cocktail des plus explosifs : la Grèce à la veille des élections législatives du 25 janvier dernier.
Syriza les a emportées en rassemblant les voix des Grecs laminés par quatre années de crise et lassés par les malversations des conservateurs et des socialistes qui alternent au pouvoir depuis quarante ans. À la tête de ce parti de la gauche radicale, Alexis Tsipras, un populiste qui a fait campagne en promettant qu’une fois élu il réclamerait l’effacement de l’essentiel de la dette grecque, qui se monte aujourd’hui à 320 milliards d’euros, soit 175 % du PIB.
Devenu premier ministre, il plaide maintenant pour un réaménagement des engagements grecs en cherchant à s’affranchir d’une troïka jugée trop contraignante et directive. Avec Yanis Varoufakis, son ministre des Finances, il a engagé un bras de fer avec l’Europe en espérant qu’elle se pliera à ses exigences et que l’Allemagne, tenante de l’orthodoxie budgétaire, sera marginalisée. Ses armes ? Gesticulations et chantage. Il menace l’Europe de demander de l’aide à la Chine et à la Russie, et exige de l’Allemagne des réparations de guerre… La Banque centrale européenne (BCE) a aussitôt réagi en fermant aux banques grecques le canal qui leur permettait de se refinancer auprès d’elle, ne laissant en place qu’un dispositif d’urgence.
Statistiques lointaines
La moindre statistique sur la Chine donne le vertige. Ces gens-là étant assez nombreux, tout événement mobilise des foules considérables. Comme on célèbre actuellement le nouvel an et l’avènement de la chèvre, manifestation fort prisée des Chinois, il est prévu qu’ils se déplaceront 3, 6 milliards de fois à cette occasion. Déjà 295 millions de tickets de train et 42 millions de billets d’avion ont été vendus. Quant à ceux qui se souhaiteront la bonne année par texto, ils n‘ont pas à s’inquiéter : dix millions de messages seront transmis par minute. On fait certes pâle figure à côté d’eux. Mais le nombre n’a jamais triomphé. Nous avons notre revanche : nos vins surpassent sans mal leur alcool de riz et il est d’un ridicule achevé de manger du foie gras avec des baguettes.
Le nouveau ni-ni
Le suspense était inexistant : pas une voix n’a manqué à droite et à l’extrême-droite pour voter la censure, ni au Parti socialiste pour la rejeter. La logique procédurale a prévalu : aucune majorité ne s’est dégagée contre le gouvernement.
Nous voici donc à un tournant du quinquennat avec l’installation d’un étrange rapport de force : il n’y a plus de majorité pour soutenir les grandes réformes structurantes dont la France a besoin et que réclament ses partenaires, et il n’y en a pas contre non plus. Une sorte de nouveau ni-ni. Cela ne menace pas directement la survie du gouvernement : il peut parfaitement tenir en maniant l’arme du « 49.3 ». Mais cette pratique du coup de force permanent a des limites, si bien que le pouvoir sera naturellement enclin à s’autocensurer dans son action réformatrice pour éviter autant que possible de provoquer de nouveaux conflits.
En moins de trois ans d’exercice du pouvoir, François Hollande a perdu le soutien du Parti communiste, celui du Parti de gauche, puis celui des Verts d’EELV, et maintenant celui de la partie activiste de son propre parti. Pas de majorité, pas de chef non plus pour la diriger : Manuel Valls, celui qui, pour faire bouger la France, promettait de secouer le plus sa famille politique, est désormais contesté dans son rôle naturel de leader de la majorité. Même le Premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, le soutient du bout des doigts, avec ce qu’il faut d’ambiguïté pour le fragiliser.
Tout cela rend dorénavant le travail gouvernemental à peu près impossible, sauf à pratiquer la politique de l’eau tiède. Alors qu’un soupçon de croissance semble revenir de l’extérieur, alors qu’il reste d’immenses réformes à mener pour sortir la France du cycle dépenses publiques-impôts-chômage, c’est l’assurance d’une terrible perte de temps.
Un archaïsme absurde
Ci-joint une tribune publiée ce matin par le Figaro Vox, portant sur la confusion politique croissant qui se manifeste par l’usage de l’article 49-3 de la Constitution. Depuis toujours, je trouve cet outil qui permet au gouvernement de faire adopter sans vote un projet de loi par l’Assemblée nationale, particulièrement insolite. Il me semble symboliser, pas seulement le « parlementarisme rationalisé », mais le mépris du pouvoir législatif, c’est-à-dire, du suffrage universel. Il pouvait se comprendre en 1958, par la volonté d’instaurer un gouvernement fort et de réduire la toute puissance du Parlement. Il est incompréhensible aujourd’hui, dans un contexte de profond discrédit populaire de la politique en général. A quoi sert-il d’élire des députés si, en cas de désaccord avec le gouvernement, ce dernier peut s’affranchir de leur point de vue? Aujourd’hui, cet article 49-3 se présente comme un archaïsme humiliant pour les élus du suffrage universel et donc pour les électeurs eux-mêmes. Personnellement, son usage ne me donne pas du tout un sentiment d’autorité mais plutôt de faiblesse et de déni démocratique .
mardi 17 février 2015
La fin des fins
Ceux qui ne sont plus des perdreaux de l’année en sont encore tout retournés. Pour condamner les propos de Roland Dumas, beaucoup de politiques ont évoqué la formule de Chateaubriand, popularisée par de Gaulle : « La vieillesse est un naufrage ». Chacun ayant son avis sur l’aphorisme, pas question de trancher. Pour ma part, possédant quelques compétences en la matière vu mon âge, j’assure que ce temps-là est surtout celui des paradoxes. D’abord, plus on est vieux, plus on a l’impression d’être resté jeune. Ensuite, les tracas abandonnent leur statut d’ennuis pour celui - satisfaisant - d’occupations. Enfin, plus on sait, moins on peut. La démonstration ainsi faite, reste une vérité qu’on ne peut cacher et, somme toute, assez déplaisante : la vieillesse finit toujours mal.
Didier Raoult : sauver la France de la Conjuration des imbéciles
Tout n'est pas fini, mais le "peace and love" qui a illuminé ma jeunesse, c'est terminé. Il ne faut pas laisser la conjuration des imbéciles (pour paraphraser J. K. Toole) d'une génération, qui n'a pas compris les échecs marxistes et ceux des Lumières (l'universalité selon Rousseau), nous emmener dans la guerre civile en invoquant un idéal qui n'a pas su se substituer aux religions.
L'idée de la pensée rationnelle et universelle implose au XXIe siècle. Dans la pensée des intellectuels français du XXe siècle, une confusion extrême s'est faite entre les chercheurs et les vulgarisateurs. La contribution majeure de la France au monde, au cours du XXe siècle, se trouve dans la distance vis-à-vis du roman de l'histoire et dans la réhabilitation des cultures distinctes. Les chercheurs, passés par l'analyse des faits plutôt que par les émotions et les indignations, sont devenus des incontournables de la pensée universitaire en sciences humaines, mais ils ont été mieux compris aux États-Unis. Ce sont Foucault (psychiatrie, sexe et prison), Latour (relativité de la science), Deleuze (avec la dichotomie et le rhizome), Derrida (sur la déconstruction des évidences), Canguilhem (sur l'absence de normalité dans la santé), Bourdieu (sur la reproduction sociale), Lévi-Strauss (sur la complexité des sociétés étiquetées "primitives") et Lacan (sur la métaphore).
Dépasser les images d'Épinal
Tous ont introduit une analyse qui permet de mieux comprendre le monde tel qu'il est, et tel qu'il devient. Et pas en fonction du roman d'un temps passé idéalisé. La plupart de ces chercheurs ont eu une expérience internationale, en partie en Afrique, qui leur a permis de dépasser l'horizon hexagonal. Leur leçon est que la vision de la France mythique et de notre civilisation repose sur l'ignorance, et une simple nostalgie d'un temps passé, qui n'a jamais existé et qui a coïncidé avec notre domination du monde. Elle empêche de penser l'avenir. C'est la conjuration des imbéciles qui s'inventent comme passé des images d'Épinal.
La France n'est pas une abstraction, elle se situe à une époque précise, avec les gens qui y habitent. C'est sa langue et sa culture, qui se modifient et changent tout le temps, qui l'unissent. Elle doit s'accepter pour ce qu'elle est et pas comme certains rêvent qu'elle a été. Le respect de nos traditions doit perdurer mais ne doit pas nous figer.
Par chance, elle se peuple plus que les autres pays européens. Le français est la langue qui progresse le plus dans le monde. Reconnaître la population et la langue française, toutes deux métissées, sont des priorités si l'on veut donner à la France l'avenir qu'elle mérite.
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