TOUT EST DIT

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jeudi 7 août 2014

Immigration clandestine : comment l'Europe peut-elle faire face ?

La police aux frontières s'alarme de l'arrivée massive de clandestins en France via la fontière italienne. Pour Henri Labayle, l'Europe a les moyens de faire face à condition de faire preuve de davantage de solidarité et de renforcer l'espace Schengen. 
Une note confidentielle de la police aux frontières alerte sur l'arrivée massive d'illégaux érythréens via la frontière italienne. En plus d'autres nationalités. La pression de l'immigration deviendrait intenable à la frontière entre la France et l'Italie. Comment en est-on arrivé là? L'espace Schengen est-il une passoire?
Henri Labayle: La pression migratoire en provenance de l'Erythrée reflète les drames quotidiens de l'immigration. Depuis plus d'un quart de siècle et la séparation brutale avec l'Ethiopie, des centaines de milliers de personnes essaient de fuir par tous les moyens, ce petit pays de la Corne de l'Afrique, gouverné d'une main de fer par un régime parfois présenté comme la «Corée du Nord» africaine. Les pays voisins tels que l'Ethiopie ou le Soudan comptent ainsi des dizaines de milliers de réfugiés assistés par le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations Unies. Il faut le savoir, le sort de ces malheureux exilés entre les mains des mafias libyennes ou égyptiennes est abominable, dans notre indifférence générale bien sûr...
Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les érythréens fassent très souvent partie des candidats à l'entrée illégale en Europe, tentant au péril de leur vie la traversée maritime de la Méditerranée. Ils aboutissent ainsi sur les cotes italiennes et notamment à Lampedusa. Leur nombre a été quadruplé cette année, selon Frontex, l'Agence européenne en charge des frontières extérieures de l'Union. Aussi, que les services français de police alertent sur le risque d'une arrivée massive sur le territoire français est tout à fait vraisemblable et même «normal», serais-je tenté d'ajouter.
Quel processus a conduit à ces drames humains et à ce constat récurrent de notre impuissance à la fois à y mettre fin et en même temps à réguler les flux migratoires au plan national et européen? L'addition de multiples facteurs.
Le contexte géopolitique est le premier, sans aucun doute. Notre environnement immédiat a totalement été bouleversé, au Sud comme à l'Est, et il faut l'avoir à l'esprit avant toute autre chose. Regarder une carte de la déstabilisation des Etats africains, de la Mauritanie au Soudan est en soi une explication de la crise migratoire en provenance du Sud. Aussi, raisonner, comme on l'entend parfois, sur le registre «c'était mieux avant» est profondément ridicule. Avant c'était Hailé Sélassié ou Muhammar Khadafi et qu'ils ne soient plus là ne nourrit pas les regrets mais incontestablement les explications.
Lorsque Frontex dans son rapport d'il y a quelques jours sur l'analyse des risques migratoires signale qu'avec plus de 40 000 arrivées enregistrées, la route de la Méditerranée centrale a représenté cette année 38% des détections de la migration irrégulière au niveau de l'UE, elle se borne à rendre compte de la réalité. Réalité des multiples conflits et situations de violence qui, de la Syrie à la Corne de l'Afrique jettent sur la route par milliers des candidats à la survie. Car c'est bien de cela qu'il est question aujourd'hui à propos de la Syrie et même de l'Irak à l'instant où je vous réponds.
Au coeur de ce phénomène, un Etat, ou plus exactement, l'absence d'un Etat, la Lybie, occupe une place centrale. Elle n'est ni capable de gérer ses frontières ni à même de punir les passeurs et autres mafias qui organisent précisément ces trafics d'êtres humains ... Or, selon le ministre italien de l'immigration, c'est près d'un demi-million de personnes qui, aujourd'hui en Lybie, espèrent la traversée …
Plus largement, nous devons assimiler le fait qu'au Sud comme à l'Est (que s'y passera-t-il demain si la guerre dégénère en Ukraine?) rien ne sera plus comme avant et que le problème que l'Union affronte est d'une complexité infinie, qu'il n'est pas une crise passagère mais une donnée durable de notre environnement.
A cela, bien sûr, nous devons ajouter nos propres insuffisances et défaillances, à commencer par celles de l'Union européenne et de ses membres. L'égoïsme de ceux ci est une première explication, dans ce que le pape François appelle justement la «mondialisation de l'indifférence». Les nouveaux Etats membres de l'UE, où nul n'a vraiment le désir d'aller ou de demander l'asile, mais aussi ceux du Nord, attendent des Etats placés au contact de la pression (Malte, la Grèce, l'Italie, l'Espagne) des comportements efficaces. Ils se gardent bien de partager les charges et d'y prêter la main. Ce à quoi, ces derniers répondent en exigeant davantage de moyens ou de soutiens financiers.
Le discours italien est typique de ce point de vue, réclamant à corps et à cri une aide financière à la hauteur du virage que ses nouvelles autorités ont pris puisqu'elles assument leurs obligations humanitaires en ne renvoyant plus à la mer les candidats à l'exil avec l'opération «Mare Nostrum». Mais, dans le même temps, l'Italie ne respecte pas ses obligations européennes, par exemple en ne prenant pas les coordonnées et les empreintes digitales des arrivants et en les laissant ainsi disparaître dans la nature, c'est-à-dire dans les autres Etats membres, quand elle ne facilite pas cette disparition …
Les lois européennes autorisent-elles à renvoyer ces immigrés illégaux qui vivent parfois de véritables tragédies dans leur pays?
La réponse est clairement oui (c'est l'objet de ce que l'on appelle la «directive retour»), si ces immigrés ne relèvent pas d'une protection internationale c'est-à-dire de l'asile dans l'Union européenne.
Là encore, parlons clair pour éviter les procès en sorcellerie européenne: l'asile est un droit en vertu de notre Constitution et de la Convention de Genève de 1950, adoptée pour les raisons que l'on sait au lendemain de la seconde guerre mondiale. L'Union européenne a seulement pour ambition de rapprocher et d'harmoniser les droits nationaux en matière d'asile pour éviter le détournement de ce droit et «l'asylum shopping».
Comment l'Europe peut-elle agir concrètement pour mieux maitriser les flux? Cela passe-t-il par une réforme, voire une sortie de l'espace Schengen, comme Nicolas Sarkozy l'avait proposé durant sa campagne?
Elle agit déjà, mal ou insuffisamment mais elle agit, seule le plus souvent c'est-à-dire sans l'appui réel de ses Etats membres. D'abord en essayant d'éteindre les multiples foyers d'incendie qui surgissent à chaque crise internationale (les trois premières nationalités concernées en ce début 2014 sont l'Afghanistan, la Syrie et l'Erythrée, ce qui établit le lien entre crise et immigration). Ensuite en harmonisant les règles nationales et enfin en tentant en vain de convaincre les Etats membres de davantage de solidarité.
Que tout ceci passe par une réforme c'est certain, de Schengen peut-être et en particulier afin de sanctionner les Etats qui ne respectent pas leurs obligations. Cette réforme passerait inévitablement par davantage d'Europe car la grande leçon de ces deux décennies est qu'aucun Etat seul n'est à même, techniquement, de résister à la pression migratoire. Ce que les Etats Unis n'ont pas su faire, qui peut croire que nous serions capables de le réaliser individuellement? Ici et maintenant, la question d'une police européenne des frontières n'est plus un vain mot si nous voulons affronter lucidement les choses et parler réforme.
Quant à quitter le dispositif, ce n'est pas sérieux. Entendre les diatribes de David Cameron sur le sujet migratoire ne manque d'ailleurs pas de sel quand on sait, précisément, que son Etat a refusé d‘intégrer Schengen!!! En l'espèce, les autorités françaises seraient de toutes façons tenues par leur droit et celui de l'Union européenne d'accueillir sur le territoire français un demandeur d'asile, au moins le temps d'examiner le sérieux de sa demande et c'est d'ailleurs l'objet d'un enième projet de loi en cours.
La solution du co-développement souvent vanté par les politiques, mais rarement mise en place concrètement, vous paraît-elle réaliste?
Je crains que le bilan, ou plutôt l'absence de bilan, de Madame Ashton et de la politique étrangère de l'Union ne suffise comme réponse, négative, et je le déplore. Bien évidemment que l'immigration doit se discuter avec les pays d'origine et de transit des immigrés et la dimension externe de cette politique est cruciale. A la fois pour inciter à rester mais aussi pour obliger les Etats tiers à réadmettre leurs ressortissants lorsqu'ils sont l'objet de mesures d'expulsion. Mais encore pour aider les Etats voisins des zones de conflit à assumer le poids des réfugiés autrement tentés de se lancer dans l'exode…
Cette prise en charge internationale exige des efforts et de la compétence, tant de la part des Etats membres de l'Union, contraints à une lecture qui ne soit plus celle de leurs propres intérêts, et de l'Union européenne qui en fasse une priorité de sa diplomatie si celle ci existe un jour.
Le nouveau président de la Commission aura cette responsabilité, celle de faire en sorte que cette priorité largement exprimée dans les urnes lors des élections au Parlement européen se concrétise. Au risque autrement de pérenniser ces situations indignes du projet d'une société civilisée.

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