TOUT EST DIT

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vendredi 17 janvier 2014

Les signaux (silencieux) qui ne trompent pas : l’Europe fait face à la catastrophe de la déflation


Pour la BCE, il n’y a pas de déflation en zone euro, il n’y en a jamais eu (pas même à l’hiver 2008-2009) et dans aucun des 18 pays de la zone (pas même en Irlande ou en Grèce). Le 18 novembre 2008, Trichet, en plein dans la pire spirale depuis 1937, déclarait : "We are not in a situation that characterises deflation. If I look at some facts and figures, I don't see yet any trace of deflation or negative inflation" (Nous ne sommes pas dans une situation caractéristique de déflation. Si nous regardons les faits et les chiffres, je ne vois pas encore la moindre trace de déflation ou d'inflation négative, NDLR).
Pour être un peu plus perspicace que nos autorités monétaires qui répliquent traits pour traits les discours de la FED de 1932 ou de la Banque du Japon des années 1990, voici quels sont les 12 indices sûrs d’un processus déflationniste significatif ; il me semble qu’ils sont tous à l’œuvre depuis fin 2007 en zone euro, raison pour laquelle je ne parlerai pas de « risque de déflation » comme madame Lagarde mais de déflation objective depuis 6 ans (et pour encore longtemps tant qu’une détente monétaire puissante n’aura été engagée par la BCE, ou contre la BCE) :
1er indice : la baisse marquée et durable du prix des actifs (en gros, immobilier + actions) :
Il ne faut pas se concentrer sur les seuls indices de prix à la consommation, surtout dans des économies financiarisées. Friedman nous incitait déjà à cette vision large des prix (“monetary policy is easy only when the prices of assets are rising faster than the prices of the goods they produce”). Or, le CAC n’est plus à 6500 points, l’immobilier US n’est pas encore dans un nouveau « boom » et si dans un pays comme la France sur un an (2013) les actions font +15% c’est plus qu’annulé par une baisse des prix immobiliers de 4%... En fait chez nous l’immobilier résidentiel est tel que le meilleur de la déflation est sans doute devant nous si la BCE ne capitule pas :
2e indice : une cible d’inflation qui n’est plus respectée par les banquiers centraux
Même aux USA, après 3 opérations de QE (quantitative easing), l’objectif de la FED des 2% par an (elle regarde le core PCE deflator) n’est pas respecté : ils serpent plutôt à 1,5% par an et encore :
Alors je ne vous parle même pas de la zone euro. La BCE le sait, qui prévoit une inflation à environ 1,3% en 2014 comme en 2015, donc comme en 2013. Mais elle ne fera rien pour revenir à 2%, ah ça non. Une injure sur le plan de la responsabilité démocratique, une nouvelle crispation indépendantiste.
3e indice : le chômage qui monte, qui monte :
Logique. Aucune inversion de courbe sans stabilisation préalable du PIB nominal à des rythmes moins dépressifs. A noter qu’en Europe c’est une spécificité de la zone euro. Perfide Albion, perfide Suède, perfide Pologne : ils ne jouent pas le jeu de la déflation, leurs taux de chômage sont stables ou baissent !
4e indice : les dettes qui (prises globalement) ne se réduisent pas :
C’est presque la définition de la déflation : en dépit des efforts pour se désendetter, les dettes subsistent et même progressent. Ou alors le secteur privé se désendette, mais sur le dos du secteur public (Japon), ou réciproquement. La déflation agit comme une bombe à neutrons dans les comptes, on ne la voit pas mais comme elle ruine les possibilités d’activité et de remboursement des dettes elle provoque des défauts ou du moins des destins à la Sisyphe, une longue servitude fiscalo-sociale. Ceux qui prétendent que la situation s’améliore en Espagne depuis 2 ans oublient de citer les NPLs (Non-performing loans, NDLR), la répression financière et la dérive boule de neige de la dette publique, par exemple. 
5e indice : une baisse du prix des matières premières et de l’or :
Tous ceux qui depuis l’été 2011 (la rechute de la zone euro, à la suite de la frappe BCE sur les taux) ont investis sur le pétrole ou sur le blé ou plus bêtement encore sur l’or, savent de quoi je parle.
6e indice : une monnaie trop chère :
Quand on ne crée pas assez de monnaie, cette monnaie tend à s’apprécier face aux autres (ces autres pays qui nous regardent comme des imbéciles). C’est l’histoire du Yen. C’est désormais aussi l’histoire de l’euro. Le problème ce n’est pas pour nos exportateurs, mais pour toute la collectivité : je ne résiste pas à citer Jacques Rueff, qui écrivait ceci dans les années dans les années 1950 :
«…la stabilisation de 1928 conduit à plusieurs conclusions de portée générale et de valeur permanente. La première, c’est qu’une opération d’assainissement financier ne peut se faire qu’à un niveau approprié de la monnaie (…) dans le cas où le niveau du change est tel que les prix intérieurs sont sensiblement supérieurs aux prix étrangers en monnaie nationale, ces forces [qui tendent à rétablir l’équilibre] sont celles qu’engendrent la dépression et le chômage. Elles tendent à provoquer la baisse des prix intérieurs et, notamment, celle des salaires nominaux. Mais dans le monde (tel qu’il est) les baisses de salaires, même si du fait d’une baisse concomitante des prix elles ne s’accompagnent d’aucune dégradation des niveaux de vie, éveillent de profondes résistances et suscitent d’âpres rancunes. En tout cas, elles ne sont consenties que sous la pression prolongée des nécessités. Elles ne peuvent donc intervenir qu’après une longue période de troubles économiques et de désordre sociaux. Qui veut faire une politique réaliste de prospérité et de paix sociale doit reconnaître le niveau existant des salaires comme le plancher immuable de toute politique financière constructive (…) En tout cas, à partir du moment où les hausses de salaires sont intervenues, la hausse correspondante des prix doit être considérée comme consolidée. Maintenir, après pareilles hausses, le change au niveau ancien, c’est organiser la dépression et s’obliger, soit à exclure par voie d’autorité tous achats à l’étranger, soit à accepter l’épuisement progressif des réserves de devises. En laissant subsister un déséquilibre qui ne peut s’atténuer que par des baisses de salaires, on suscite le malaise social et on prépare, pour le lendemain, d’inévitables « fronts populaires ». Tant qu’un tel déséquilibre existe, la dévaluation de la monnaie ne crée pas une situation nouvelle ; elle se borne à reconnaître la situation existante. Ce n’est donc jamais le jour où elle s’accomplit qu’une dévaluation est décidée, mais le jour où on laisse s’établir l’état de fait qui la rend indispensable (…) le devoir, pour un gouvernement qui veut rétablir la stabilité en sauvegardant la prospérité et la paix sociale, n’est pas de chanter des hymnes à une stabilité monétaire illusoire et en tout cas condamnée mais de reconnaître, par un changement de niveau monétaire, les erreurs passées, et de créer, sur la base ainsi établie, une situation dans laquelle on puisse assurer, à l’avenir, la stabilité de la monnaie ».
7e indice : le goût (trop) prononcé pour le cash :
Bien entendu, dans un monde d’inflation, rester cash est idiot, vos liquidités perdent de la valeur (à moins que les taux courts ne soient vraiment très hauts), vos billets fondent comme neige au soleil. Dans un monde de déflation, c’est l’inverse. Et puis dans un monde de déflation, que faire d’autre ? Où sont les opportunités ? Mieux vaux rester cash, ce qui est stérile pour l’économie, mortifère pour l’investissement. C’est bien notre situation actuelle, l'affaire des 346 milliards de trésorerie des entreprises et au passage la raison de l’échec programmé des initiatives françaises actuelles (si du moins on arrive à les financer) : les entreprises pleines de cash n’ont pas tant besoin d’une réduction des charges mais d’une hausse des perspectives d’activité (PIB nominal). Ce problème pourrait peut-être se traiter avec des taux négatifs (Suède 2009…), mais depuis plusieurs trimestres la BCE répond que c’est « à l’étude » et en fait peu probable et assez dangereux (ce qui, dans la langue de nos banquiers centraux, signifie : « nous vivants, c’est non »).
8e indice : la crispation indépendantiste des banquiers centraux :
A la fois la cause et la conséquence de la plupart des cycles déflationnistes contemporains. Je fabrique 3 livres numériques sur ce thème, alors je compte sur vous chers lecteurs !!
9e indice : des taux d’intérêt à 0% mais qui restent trop hauts :
Paradoxe bien documenté depuis Wicksell, mais piège redoutable toujours oublié. Le raisonnement dominant reste nominal, seuls quelques économistes archi-minoritaires connaissent les implications de taux trop hauts à 0% (zone euro) ou trop bas à 10,5% (Brésil). Même s’ils sont très imparfaits, les agrégats monétaires larges (M3) permettent en cas de crise d’éviter ce piège des taux, mais qui les regarde ? En zone euro, M3 est à 1,4% sur 12 mois, contre une norme indicative BCE de 4,5%/an qui n’est plus respectée depuis des années… Logique : la BCE refuse d’augmenter sa base monétaire comme les autres banques centrales, et quant au crédit il est logiquement au point mort (pour emprunter pour dépenser ou investir quand votre banquier central vous dit de rester cash et massacre vos consommateurs potentiels ?). Notre niveau de création monétaire depuis 2008 est digne d’une vaste déflation :
10e indice : « budgétarisation », « financiarisation » et « structuralisation » des débats :
Toujours dans la diffraction du blâme opérée par les banquiers centraux indépendants : comme le généralissime Gamelin et comme Valmont, leur devise est « ce n’est pas ma faute ». C’est donc la faute des politiques (qui font des méchants déficits contracycliques, qui ne font pas assez de réformes, comme si tout cela avait le moindre rapport avec le mouvement général des prix), la faute des spéculateurs (de préférence anglo-saxons) vendus au grand capital, ou alors (en phase ultime, après une bonne décennie déflationniste) la faute de la démographie (imparable, au café du commerce). Regardez la presse des années 1930 : ce n’est jamais une affaire monétaire sous la responsabilité pleine et entière de la FED. C’est la rançon de nos « pêchés » des années 1920. C’est la faute de la « cupidité » des banquiers. C’est la faute du progrès technique, car comme chacun le sait « tout a déjà été inventé ». C’est la faute des juifs. Jolie transition pour l’indice suivant... 
11e indice : au bout de quelques années, la montée des partis extrémistes :
Après les « chocs de productivité » et autres politiques de l’offre en pleine crise déflationniste de la demande agrégée (Brüning 1931 et Hollande 2014, même combat), les gens finissent pas s’énerver (je les trouve très calmes en Italie, où le coup d’Etat de la BCE en 2011 contre des dirigeants certes critiquables mais élus reste un modèle du genre). Comme ils ne comprennent pas bien pourquoi ils sont devenus plus pauvres ou chômeurs (la déflation c’est sournois, et ne comptez pas sur les politiques pour vous expliquer du Fisher ou du Friedman ou du Rueff), ils ont tendance à défier les élites comme ils peuvent, dans les urnes d’abord (on verra en juillet avec les européennes) puis dans la rue. Les aristocraties monétaires finissent le plus souvent comme chez Pareto : au cimetière. Au mieux, l’agitation politique bloque les réformes et c’est le pourrissement, jusqu’à ce que les banquiers centraux cèdent (le plus souvent, quand on sacrifie leur indépendance), jusqu’à la dévaluation tant retardée. C’est le schéma anglais (1925-1931), américain (1929-1945), japonais (1989-2012). Au pire, ça donne des choses moins sympathiques (Allemagne 1933).   
12e indice : quand l’ordre allemand règne (la stratégie mercantiliste et non-coopérative étendue à tout un continent en dépit du bon sens et via la contraction des importations) : c’est bien le cas :
Nous allons tous crever de la déflation mais à notre mort les comptes extérieurs seront très positifs. Voilà une nouvelle rassurante pour bien commencer la 6e année de déflation en zone euro.  

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