Le président du Conseil constitutionnel a réuni quasiment tous les ministres vivants des gouvernements nommés depuis la Constitution de 1958.
Si Jean-Louis Debré n'existait pas, il faudrait l'inventer. Président duConseil constitutionnel et fils du père spirituel de la Constitution de la Ve République Michel Debré, il a réuni jeudi plus de deux cents ministres, d'hier et d'aujourd'hui, pour célébrer le 55e anniversaire d'une Constitution qui, depuis sa promulgation, le 5 octobre 1958, paraît bâtie à chaux et à sable : construite autour du général de Gaulle et avec lui, elle a survécu, après lui, à tous les changements de président ou de majorité.
vendredi 4 octobre 2013
"Debré donne un visage aimable à la politique !"
La Constitution a vu arriver, après Georges Pompidou - successeur immédiat de De Gaulle - et Valéry Giscard d'Estaing, qui s'en était déjà éloigné, le socialiste François Mitterrand, pour lequel la Constitution n'avait pas été taillée, mais qui, non seulement s'en accommoda, mais la mit à sa mesure. Puis Jacques Chirac, qui n'eut aucun mal, instruit qu'il était depuis longtemps par Georges Pompidou, à se couler dans le moule. Nicolas Sarkozy y entra à son tour, en donnant un tour nouveau, dans l'allure, l'énergie et le vocabulaire, à la fonction. Enfin, François Hollande, dernier en date des présidents, a mis sa "normalité" au service du texte constitutionnel.
La Constitution du 5 octobre aura connu la cohabitation, qu'elle n'avait jamais envisagée, et qui pourtant n'a pas fait chanceler les institutions : un président de gauche avec deux Premiers ministres de droite, un président de droite avec un Premier ministre de gauche, chacun a fini par retrouver ses marques. Elle a été vingt-quatre fois réformée, et notamment pour permettre l'élection du président de la République au suffrage universel, et amputer la longueur du mandat présidentiel, passé de 7 à 5 ans.
Le plus étonnant, dans tout cela, est que les ministres de tous les gouvernements nommés depuis 1958 dans leur presque totalité - à l'exception des morts, nombreux, évidemment - se sont retrouvés autour de Jean-Louis Debré jeudi dernier pour entendre François Hollande reprendre le flambeau du référendum populaire : celui-ci, adopté par la réforme constitutionnelle de 2008, attend toujours, depuis cette date, faute d'accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat, la loi organique qui le mettra en application. Ce devrait être chose faite avant la fin de l'année : ainsi François Hollande défend-il pour une fois l'engagement pris en 2007 par Nicolas Sarkozy, convaincu, comme l'était son prédécesseur, qu'il faut associer davantage les citoyens à la vie publique. Pas sûr cependant que dans un avenir plus ou moins proche, la perspective d'un référendum d'initiative populaire ou plus exactement d'initiative partagée ne rende pas la vie de tout président de la République, en poste ou à venir, plus difficile qu'elle ne l'est déjà. Ou tout simplement qu'il se révèle impossible à appliquer. Qu'importe, la modernisation n'a pas de prix.
Si forts que soient ses liens personnels avec Jean-Louis Debré, qui lui voue une sorte d'amitié filiale et lui rend visite avec fidélité le plus souvent possible, Jacques Chirac, retenu par ses problèmes de santé, n'était pas là. En revanche, l'absence de Nicolas Sarkozy, prévue, a un sens : celui-ci, membre de droit du Conseil constitutionnel puisque ancien président de la République, n'a pas apprécié, on s'en souvient, l'invalidation par les Sages des comptes de sa campagne de 2012 au point d'annoncer sa décision de démissionner du Conseil. Même si la démission d'un membre de droit n'est prévue par aucun règlement interne, il lui aurait été difficile de revenir sur les lieux du crime commis contre lui.
À voir tous ces anciens ministres et Premiers ministres s'accueillir les uns les autres avec un plaisir évident, deviser gaiement sous les ors du Palais-Royal, échanger leurs souvenirs avec amitié et bonhomie, on s'étonne à l'idée que les affrontements entre la droite et la gauche soient si violents dans la vie de tous les jours, au Parlement et ailleurs. Quel regard les Français porteront-ils sur cet anniversaire-surprise (Jean-Louis Debré a gardé ses invitations secrètes jusqu'à avant-hier) ? Y verront-ils le signe d'une démocratie courtoise, de genre anglo-saxon, et en effet moderne, ou bien certains d'entre eux condamneront-ils l'accord de façade entre des gens que tout oppose et qui se livrent de façon continue une bataille acharnée ?
Comme si, sur les travées de l'Assemblée nationale tous les coups étaient permis, et même, attendus, alors qu'autour de Jean-Louis Debré, on se congratule et on serre des mains ? Bref, quand donc les hommes politiques sont-ils sincères ? Au Conseil constitutionnel ou sur les tréteaux ? À la buvette du Palais-Bourbon, lorsqu'ils se retrouvent le temps d'un café une fois leurs discours sévères prononcés ou dans leurs meetings où ils enchaînent menaces et provocations ? Les deux sans doute, avec ce qu'on pourrait appeler des sincérités successives. Dommage en tout cas que la politique n'ait pas toujours le visage aimable qu'elle avait jeudi au Conseil constitutionnel autour de Jean-Louis Debré
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