vendredi 4 octobre 2013
Valls et son contraire
Valls et son contraire
François Hollande préfère l’ambiguïté : il n’en sortirait qu’à son détriment – toute sa politique dément les déclarations de Manuel Valls. Son choix est aussi dicté par la tactique.
Le réchauffement idéologique est en train de faire craquer les glaces du politiquement correct à gauche. La polémique sur les Roms n’en est qu’un révélateur. Certes, la précampagne pour les élections municipales et européennes de 2014 n’y est pas pour rien, mais comme les scrutins vont ensuite se succéder en 2015 (régionales) puis en 2016, avec la primaire de la droite, le débat n’est pas près de s’essouffler et c’est bien ce qui hante les élus de gauche : ils ne vont pas pouvoir y échapper.
Ministre de l’Intérieur et ministre des élections, Manuel Valls est bien placé pour le comprendre. Les résultats de toutes les élections partielles, les études d’opinion et les réactions du public en direct lui révèlent l’ampleur d’une colère qui ne faiblit pas. À la révolte contre l’impôt se mêle l’angoisse de voir porter atteinte à la culture et à l’identité des Français à travers toutes sortes de projets : cette insécurité s’ajoute à l’autre, la quotidienne, l’insidieuse, celle des mille cambriolages par jour. Alors, il parle.
Valls commence par torpiller la réforme pénale de Christiane Taubira (celle qui consiste à vider les prisons en ne faisant plus exécuter les peines inférieures à cinq ans) dans une lettre adressée au président de la République et qui est publiée dansle Monde. « Moi, dit-il au même moment, je suis pour une exécution ferme des peines de prison, même les plus courtes. »
Il récidive au séminaire gouvernemental qui se tient, le 19 août, à l’Élysée. Il y est question de l’état de la France en 2025 ; il prend la démographie comme sujet, ce dont personne n’a prévu de parler, et il évoque les enjeux liés à l’immigration et à l’islam, en soulignant notamment le défi que posent les populations à fort taux de natalité venant d’Afrique. « La France et l’Europe doivent démontrer que cette religion […] est compatible avec la démocratie »… Ces propos, écrit le Parisien du 20 août, jettent « un froid polaire » parmi les ministres.
Troisième attaque, celle-ci vise les Roms, dont la présence dans des camps insalubres insupporte les communes concernées. « Il est illusoire de penser, dit-il le 24 septembre sur France Inter,qu’on règle le problème des Roms à travers uniquement l’insertion » ; il n’y a d’autre solution « que de démanteler progressivement les camps et de reconduire ces populations à la frontière ». Cette fois, c’est sans doute trop pour les vigiles de l’orthodoxie. Ceux-là l’accusent d’avoir franchi « la ligne rouge », de courir derrière Marine Le Pen, etc. Et Cécile Duflot profite des journées parlementaires de son parti pour dénoncer les propos de son collègue, lequel « s’est aventuré au-delà de ce qui met en danger le pacte républicain ». Elle en appelle au président de la République, comme Christiane Taubira avant elle.
Alors, qui a raison ? Est-ce lui ou Taubira, lui ou Cécile Duflot ? Quand on est ministre de ce gouvernement, a-t-on ou non le droit de s’exprimer comme cela ? Le fait-il avec l’accord de François Hollande — mais si c’est le cas, comment peut-il se laisser insulter par Cécile Duflot ? Le président de la République laisse au premier ministre le soin de bredouiller un rappel au calme.
François Hollande préfère l’ambiguïté : il n’en sortirait qu’à son détriment — car toute sa politique dément les déclarations du ministre de l’Intérieur. Mais c’est aussi chez lui un choix dicté par la tactique : il tient autant à Valls, son ancien directeur de campagne de la présidentielle, qu’à Christiane Taubira et Cécile Duflot. Quand Delphine Batho, alors ministre de l’Écologie, se plaignait de son budget, il ne lui a pas fallu plus d’un déjeuner avec Ayrault pour s’en séparer : son poids politique était nul. Tandis qu’il sait que Taubira, Duflot, Montebourg et Hamon ont constitué un petit groupe qui pèse sur la gauche de sa majorité. Il ne veut pas voir Taubira lui refaire, en 2017, le coup qu’elle avait fait à Jospin en 2002 (en se présentant à la présidentielle, elle avait placé Le Pen devant lui) ; quant à Duflot, il en a besoin pour maintenir un semblant d’ordre chez les Verts (qui représentent entre les 2,3 % de Joly à la présidentielle et leurs 4,3 % aux législatives) dans la perspective des élections à venir.
Les membres du gouvernement peuvent donc continuer à s’insulter en public. Sauf que les élus socialistes savent ce que cela leur coûte, car en ne disant rien, le chef de l’État couvre aussi bien les déclarations de l’un que celles de l’autre. Une confusion qui ne fait qu’entretenir l’exaspération de l’opinion. On ne peut vouloir une chose et son contraire.
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