Mehdi Thomas Allal : L’homogénéité culturelle et ethnique dans une société est au choix une illusion ou un idéal, seulement si vous êtes d’extrême droite. La désirer suppose le rejet de toute culture ou ethnie différente, en d’autres termes, faire preuve de racisme ou de xénophobie. En ce sens, c’est effectivement condamnable ! Aucune étude ne pourra se substituer aux textes constitutionnels et législatifs qui condamnent le racisme. Quant aux "causes physiologiques", méfions-nous catégoriquement des théories justifiant d'une manière ou d'une autre les préjugés. Il semble curieux, de la part d'une partie de la droite, de critiquer d'une part le prétendu "laxisme" et la "culture de l'excuse" dont bénéficieraient ceux qui commettent des infractions et, d'autre part, de recourir à cette même culture de l'excuse pour ceux qui se rendent coupables d'actes racistes. Je rappelle par ailleurs que ceux-ci ont explosé depuis plusieurs années. Il était donc urgent que la gauche, revenue au pouvoir, tienne un discours républicain et ferme pour condamner toutes les violences et toutes les formes de délinquance, y compris lorsqu'il s'agit d'actes racistes contraires à nos principes constitutionnels et aux valeurs universelles qui ont fait la grandeur de la France. Je rappelle enfin qu'en 1792, lorsque la France était assaillie par les monarchies européennes, comme pendant la Résistance et la Libération contre l'occupant nazi, des étrangers ont pris les armes pour la France. Certains d'entre eux ont été naturalisés Français au titre de leurs faits d'armes, ce qui démontre que notre identité nationale n'est pas fondée sur un critère ethnique, mais bel et bien sur des valeurs qu'il ne faut jamais abandonner, ni d'ailleurs considérer comme acquises.
Comment se justifient les Etats qui assument un contrôle strict de l'immigration ?
Fabrice Madouas : Rappelons d’abord que la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît tout à fait le droit aux États, "en tant qu’éléments du droit international, d’exercer le contrôle de l’entrée, du séjour, de l’expulsion des ressortissants de pays tiers" (arrêt Chahal, 1996). Bon nombre de pays mettent en œuvre un strict contrôle des flux migratoires pour des raisons économiques, la crise ne leur permettant plus de subvenir aux besoins des candidats à l’immigration (notion de "capacités"). La question se pose en effet : au vu de l’état de ses finances, du niveau de sa dette, de ses faibles perspectives de croissance et de l’aggravation du chômage, la France peut-elle continuer à délivrer plus de 190 000 titres de séjour chaque année ? On voit aussi que l’État ne parvient plus à faire face à l’afflux des demandeurs d’asile (plus de 61 000 l’an dernier), dont certains sont obligés de camper dans les rues, faute de places d’hébergement – cela est arrivé récemment à Clermont-Ferrand.
Nicolas Sarkozy avait tenté de mettre en œuvre une politique dite d’"immigration choisie", régulée par l’État, tout en combattant l’immigration subie, issue de l’entrée et du séjour clandestins. Il s’agissait d’instaurer une régulation quantitative des flux migratoires, en autorisant le gouvernement à fixer des objectifs sur le nombre des migrants qui entrent en France. Cette réforme s’inspirait du modèle canadien pour l’immigration de travail (création de la carte "compétences et talents") et des systèmes britannique et allemand en matière d’immigration familiale. Sa mise en œuvre n’a pas donné les résultats escomptés – mais était-ce possible dans le cadre contraignant de l’espace Schengen ?
Mehdi Thomas Allal : Aucun Etat ne ferme totalement ses frontières (même la Corée du Nord), purement et simplement parce que les flux migratoires représentent un phénomène naturel. Il est totalement utopique de souhaiter stopper totalement l’immigration comme le préconise, par exemple, le Front national. Rejet du métissage culturel, xénophobie, intégration impossible, volonté de préserver une forme d’homogénéité culturelle, peur quant à une insécurité qui serait causée par des personnes d’origine étrangère … les arguments en faveur d’un strict contrôle de l’immigration peuvent être nombreux. Si la maîtrise des flux migratoires est une question qui mérite réflexion, elle peut revêtir, lorsque pratiquée de façon extrême, une forme d'ostracisme... C'est pourquoi le contrôle de l'immigration doit s'effectuer dans le cadre de notre pacte républicain. Cette maîtrise des flux migratoires n'en est pas moins une préoccupation constante des dirigeants français et il serait mensonger de dire que François Hollande ou Manuel Valls feraient preuve d'un quelconque laisser-faire à cet égard. Le nombre de titres de séjour accordés reste en effet stable par rapport à la période précédente. Je note d'ailleurs que le Front national a abandonné sa doctrine du "zéro immigration" et reconnaît donc qu'un certain niveau d'immigration légale est nécessaire. En revanche, nous devons prendre davantage d'initiatives pour lutter contre les filières d'immigration clandestine, qui exploitent la misère des gens, et pour sanctionner très durement les employeurs qui ont recours à des sans-papiers. L'administration du travail est très active sur ces questions, mais il nous faut aussi mieux nous coordonner avec nos partenaires européens. Le renforcement des moyens de l'agence "Frontex", qui appuient les États dans la surveillance et le contrôle des frontières extérieures de l'Union européenne, doit par exemple être prioritaire, afin que l'Europe se protège mieux face à ces flux illégaux. Enfin, nous devons nous assurer que l'aide publique versée au titre du développement des pays pauvres soit mieux ciblée et soit surtout mieux utilisée sur place, de sorte que les travailleurs qui peuvent avoir la tentation d'émigrer trouvent aussi des opportunités dans leur propre pays.
Le collectif de la Gauche populaire, initié par le politologue Laurent Bouvet, explique la montée du vote pour le Front national lors de la dernière élection présidentielle non seulement par "l’économique et le social", mais aussi par le concept d'insécurité culturelle qui recouvre notamment "la peur de l’immigration, des transformations du 'mode de vie', de l’effacement des frontières nationales". Quel est votre point de vue sur cette analyse ? Les politiques doivent-ils davantage tenir compte de ce sentiment d'insécurité culturelle ?
Malika Sorel : C'est ce que j'ai écrit bien avant que tout ce que vous évoquez là ne soit mis sur la table. Les écrits sont là sans compter que j'ai commencé à tenter d'alerter - en vain - le monde politique bien avant mes premières publications. Aujourd'hui, de plus en plus d'élites intellectuelles ou politiques évoquent les problèmes parce qu'ils ont pris de telles proportions qu'ils ne peuvent plus être dissimulés à l'opinion publique. Et encore certains tentent de changer le sens des mots comme je l'ai dit plus haut en évoquant 1984. Pour moi une élite ne mérite ce qualificatif que si elle est capable d'anticiper les problèmes et ainsi les éviter à la société. Quand à la montée du FN, j'ai toujours dit aux dirigeants en poste que si leur problème c'était le FN, alors ils n'avaient qu'à résoudre les problèmes liés aux question d'identité. Il faut croire que finalement le FN ne les affolait pas tant que ça. Je suis pour ma part convaincue que ce sujet qui est celui du respect du peuple doit être porté par un maximum d'élus de tous bords. C'est pour cette raison que les citoyens doivent voter uniquement sur la base des convictions qui sont défendues par les personnes qui se présentent à leur suffrage. Là aussi toutes les informations qui concernent les convictions défendues par les uns et les autres sont accessibles. C'est l'une des grandes facilités que nous offre la technologie de notre époque !
Fabrice Madouas : Cette analyse me paraît pertinente (quoi qu’il faille, à mon avis, cesser de penser toujours en termes de peur…). Elle rejoint, en tous cas, l’analyse du géographe Christophe Guilluy sur "la France des invisibles" et le constat de Michèle Tribalat. De fait, les politiques – et singulièrement la gauche – ont abandonné toute une frange des couches populaires, celles qui vivent encore dans les "quartiers", aux côtés des immigrés, et celles qui sont allées s’installer dans les zones périurbaines.
On retrouve ici les travaux de la Fondation Terra Nova, proche du PS : constatant que les ouvriers n’étaient plus en phase avec les valeurs "libérales-libertaires" que la gauche défend désormais, Terra Nova recommandait au candidat socialiste, François Hollande, de s’appuyer sur un électorat alliant les "bobos" diplômés aux minorités réputées opprimées, "la France de la diversité [étant] presque intégralement à gauche" (ce que confirme les études de l’Ifop : 86 % des musulmans ont voté Hollande au second tour de l’élection présidentielle).
Les "natifs au carré" (nés en France de deux parents nés en France) des catégories populaires ont le sentiment d’avoir été abandonnés par l’État. "Leur localisation dans les petites communes les laisse souvent à l’écart des initiatives de la politique de la ville alors qu’ils font souvent les frais du désengagement de l’État", résume Michèle Tribalat. Il me paraît indispensable que les élites politiques et intellectuelles renouent avec ces Français négligés, pour qu’ils ne sombrent pas dans la désespérance.
Michèle Tribalat : Cette une thèse également défendue par Christophe Guilluy. La perte, dans les classes populaires, du statut de référent culturel est profondément anxiogène.La perspective de leur mise en minorité les conduit à éviter les lieux de forte concentration, au prix d'un éloignement des principaux centres d'activité économique. Les politiques exacerbent leur ressentiment lorsqu'ils ne parlent de quartiers populaires qu'à propos des banlieues. Ces classes populaires "autochtones" ont également perdu l'approbation des élites quant au rôle de référent culturel qu'ils exerçaient autrefois. Elles apprécieraient que l'on trouve légitime qu'elles aussi cherchent à protéger leurs modes de vie. Les politiques devraient s'intéresser à elles à nouveau, non seulement parce que ces classes populaires "autochtones" souffrent du désintérêt à leur égard et de la sollicitude manifestée trop exclusivement à l'égard des banlieues, mais aussi parce que, sans leur concours, tout modèle d'intégration quel qu'il soit est condamné à tourner à vide.
Mehdi Thomas Allal : La Gauche populaire, à l’instar de la Gauche forte et d’autres nouveaux pôles, proches du Parti socialiste, s’inquiètent en effet de la montée du Front national qui, depuis 2002, a entamé une stratégie de "dédiabolisation". Le contexte économique et social sert malheureusement ses intérêts. En France, on constate une percée de l'extrême-droite lors des élections. La manœuvre est bien connue : attiser la peur des citoyens en utilisant un bouc-émissaire – issu d’une minorité - (étranger, noir, musulman, homosexuel, rom…) en faisant croire qu’il représente un danger pour la sécurité et l’avenir du pays concerné. Puis, proposer des solutions par le biais d’un discours populiste et discriminant. Plus que de tenir compte de ce sentiment d’insécurité culturelle, il revient aux dirigeants politiques dits "républicains" de le déconstruire, car celui-ci nuit à la cohésion sociale, et ne peut que renforcer une extrême-droite dont l’influence parmi l'opinion se fait déjà beaucoup trop ressentir. De fait, il existe dans notre pays une forme de rejet de tout ce qui vient de l'extérieur : la mondialisation, l'Europe, l'immigration. Il se nourrit de la peur de ne plus trouver sa place dans un monde qui change et qui évolue de plus en plus vite. On retrouve aussi dans le témoignage de ceux qui se considèrent comme des "perdants de la mondialisation" une forme de colère vis-à-vis de la montée des inégalités, une indignation devant l'accroissement de certaines rémunérations considérées comme indues. Cette colère n'est d'ailleurs pas propre à la France. Il suffit d'observer la montée des formations populistes dans toute l'Europe, aux États-Unis avec les "Tea Party", mais également dans les pays arabes, où une large part des populations s'est réfugiée dans le conservatisme religieux par peur de la modernité. Les femmes et les hommes en responsabilité ont un grand rôle à jouer en rappelant qu'il y a des marges de manœuvre pour changer le quotidien des gens et pour réduire les inégalités. C'est tout le sens par exemple de la lutte menée contre la fraude fiscale et qui va dégager deux milliards de recettes en 2014, soit l'équivalent du budget de la métropole lilloise, pour donner un ordre de grandeur ; ce sont donc autant de milliards prélevés sur la grande délinquance financière et qui permettront à notre pays de réinvestir dans son industrie et dans ses universités. C'est aussi le sens de l'alourdissement de la taxation des banques qui a été décidée dès l'été 2012 et qui soutient l'effort de redressement de nos comptes. Évidemment que l’État ne peut pas tout, mais il y a, à l'évidence, des choix à faire pour démontrer qu'au-delà de la crise de confiance que nous traversons, le meilleur reste à venir pour la France, si tant est que nous fassions preuve de courage politique et d'intelligence collective.
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