samedi 21 septembre 2013
Le président rattrapé par le réel
Le président rattrapé par le réel
Un premier ministre qui corrige le président de la République, ce n'est pas banal. C'est pourtant ce qui s'est produit cette semaine lorsque Jean-Marc Ayrault a affirmé dans Metronews que la pause fiscale ne serait effective qu’en 2015, alors que François Hollande l’annonçait dans Le Monde pour 2014.
Non seulement le chef du gouvernement a publiquement acté une divergence de vue avec le chef de l'Etat sur un des sujets les plus sensibles du moment mais il a semblé faire la leçon au président. Comme si, dans le couple exécutif, il appartenait au premier ministre d'être le saint Jean bouche d’or, l’homme qui dit la vérité, celui qui n’a pas peur des mots, alors que le président se complaît dans une vision beaucoup plus idyllique.
Ce n'est pas la première fois que cela se produit car aussitôt, une autre scène, concernant un autre premier ministre, revient en mémoire : François Fillon se déclarant le 21 septembre 2007 "à la tête d’un Etat en situation de faillite".
A l’époque, ses propos avaient fait grand bruit. Ils avaient suscité une forte crispation dans ses relations avec Nicolas Sarkozy qui, depuis l'Elysée, ne voyait pas du tout les choses de la même façon. Le président de la République, qui venait d'obtenir un sursis de Bruxelles pour réduire les déficits, jugeait la situation des finances publiques beaucoup moins grave que son premier ministre.
Il se trouve cependant que c'est François Fillon qui avait raison. Les événements ont confirmé ses craintes et, depuis, il s’appuie sur cette divergence de vue pour creuser son propre sillon. Selon lui, l'état du pays, aggravé ensuite par la crise des subprimes, nécessitait à mi-quinquennat une thérapie de choc qui n’a pas été menée. Donc, aujourd'hui, il s'estime légitimement en droit de porter cette ambition.
La fêlure apparue cette semaine dans la relation Hollande-Ayrault n’a apparemment pas la même profondeur. Les entourages font tout pour la réduire à une simple nuance de communication. François Hollande parle d'une pause fiscale en 2014 en pensant aux contributions comme la CSG, qui auraient pu être augmentées et qui ne l’ont pas été, par souci de tenir compte du "ras-le-bol fiscal".
Jean-Marc Ayrault la repousse d'un an car, même si le taux des prélèvements obligatoires sera quasiment stabilisé l’an prochain, quelque 10 milliards d’euros d’impôts vont encore être prélevés sur les ménages. L’ampleur de la dette publique et l’étroite surveillance de Bruxelles ne permettent pas de faire autrement, eu égard à l’importance de la dette publique.
Dans ces deux histoires, le plus intrigant n'est pas le comportement des premiers ministres qui décrivent strictement la réalité mais l'attitude des présidents, qui s'emploient à l'enjoliver : ils disposent pourtant des mêmes chiffres, de la même information, mais ils ne peuvent s'empêcher de chausser des lunettes roses, de décrire les choses telles qu’ils voudraient qu’elles soient et non telles qu’elles sont.
Déjà fin 2012, alors que le ministre du budget s’apprêtait à prélever sur les Français 9 milliards d'euros d’impôts nouveaux, François Hollande avait assuré que neuf foyers sur dix en seraient exonérés, ce qui était faux.
C'est un vrai déni de réalité mais contre lequel il est difficile de lutter car il provient d'un sortilège : le président élu est comme ensorcelé par son discours de campagne électorale, emprisonné par lui. Si la réalité ne coïncide pas avec les promesses qu'il a faites, il préfère tordre la réalité plutôt que de reconnaître qu'il s'est trompé. Il a trop peur de se dédire et d'entendre qu'il a trompé les Français.
En 2007, Nicolas Sarkozy s’était fait élire sur l'idée que le bouclier fiscal et la baisse des impôts allaient engendrer la croissance. Lorsque les choses ont mal tourné , il a eu le plus grand mal à le reconnaître et à changer de politique. Il a préféré s'illusionner en pensant que la crise n'était pas profonde et que la croissance allait vite revenir. Son incapacité à se faire réélire cinq ans plus tard provient en partie de cette erreur d'appréciation.
En 2012 , François Hollande est arrivé à l’Elysée avec l’engagement d’arracher à Angela Merkel un plan de soutien à la croissance européenne qui exonérerait le pays d’une cure d’austérité trop forte.
Alors que la croissance tarde à revenir et que 60 milliards d'euros d'impôts ont déjà été prélevés en trois ans, il préfère invoquer une pause qui n'existe pas encore plutôt que de reconnaître que la rigueur est plus forte que ce qu'il avait annoncé.
Dans les deux cas, il fallait bien un personnage pour se coltiner au réel et dire la vérité. Et c’est le premier ministre qui le fait, sans prendre de gants.
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