jeudi 6 juin 2013
Turquie : le défi démocratique
Turquie : le défi démocratique
C'était en juin 2011 et cela paraît un siècle. Istanbul rayonnait. Le miracle économique turc faisait des envieux. Sur la scène intérieure, Erdogan engrangeait dans les urnes les fruits de sa stratégie gagnante. Développement, recentrage laïque, marginalisation de l'armée, dialogue avec l'Europe. Sa réélection fut un véritable triomphe.
Sur la scène diplomatique, la Turquie ne se représentait plus seulement comme un des piliers de l'Otan ou un candidat endimanché voulant entrer en Europe. Elle se voyait en puissance, en facteur de stabilisation et de prospérité dans une région qui en est dépourvue. Au ministère turc des Affaires étrangères, on appelait cela la doctrine « zéro problème » avec le voisinage.
Business. Industrie. Textile. Bâtiment. Séries télévisées inondant le marché arabe. La cause palestinienne était devenue une cause turque. Le rêve néo-ottoman de la nouvelle classe dirigeante était aussi inavouable que palpable. Les analystes avaient beau alerter sur l'aveuglement qu'une certaine superbe peut produire, l'avertissement n'était pas entendu.
Deux ans plus tard, l'horizon vient pourtant de changer du tout au tout. Avec la guerre en Syrie, les tensions avec Israël et le dossier iranien, le temps du « zéro problème » est manifestement révolu. Et sur la scène intérieure, le raidissement du pouvoir exercé par Recep Tayyip Erdogan vient, depuis une semaine, de toucher un point limite.
Que demandent en substance les milliers de jeunes qui occupent la place Taksim ? La fin de la dérive autocratique engagée depuis 2011. Arrestations de journalistes, de militants des droits de l'homme, d'avocats. Mainmise sur la justice, les médias, l'université. Loi sur le voile, enseignement religieux, croisade contre l'alcool : autant d'atteintes progressives aux principes d'une laïcité pourtant si fondatrice au pays d'Atatürk. Sans compter la corruption, masquée jusqu'ici par le miracle économique.
Tout s'est passé comme si la griserie du pouvoir avait rendu Erdogan aveugle aux évolutions de sa propre société. Comme si, parvenu au sommet, le cercle vertueux de son ascension était brisé.
Dans la modernisation d'Ankara, l'Europe a joué une bonne part. L'ouverture, en 2005, des négociations d'adhésion a eu un effet positif sur les réformes. Pour plaire à Bruxelles et amadouer l'armée turque, Erdogan a conjugué développement et démocratisation. En amenant son pays à un point où personne, il y a vingt ans, ne l'attendait. Ces mérites ne peuvent être effacés. Mais ce qui l'attend aujourd'hui, à son retour d'Afrique du Nord, est un défi qu'il ne peut plus éluder. La violence de la répression des manifestations a radicalisé un mouvement de contestation multiforme. Et les luttes intestines au sein de l'AKP ne sont pas le moindre des pièges.
En définitive, la question est élémentaire. Erdogan entend-il fuir plus avant dans la spirale du pouvoir autocratique ou laisser respirer démocratiquement la jeunesse du boom économique qu'il a lui-même favorisé ? Sa conception de la démocratie, telle qu'il l'a exprimée jusqu'ici - en résumé : on vote et on se tait jusqu'aux prochaines élections - n'est guère encourageante. On a longtemps glosé sur l'agenda caché des islamistes modérés, attendant leur heure. C'est l'agenda autoritaire qui est en fait à craindre.
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