"Il faut changer la direction des politiques européennes (...) En Europe, les politiques d'austérité ne suffisent plus". La première déclaration d'Enrico Letta, nouveau chef du gouvernement italien, a fait réagir le reste de l'Europe. Dans le même temps, après les appels à plus de souplesse de la part du FMI et des États-Unis, le président de la Commission européenne, José-Manuel Barroso, a déclaré "l'austérité a atteint ses limites". De plus en plus de voix s'élèvent pour critiquer la voie prônée officiellement par Bruxelles... Malgré des premiers signaux préoccupants venant d'Allemagne, Berlin semble rester inflexible sur la question. A quelles conditions le « dogme » l’austérité pourrait-il exploser ? Quels verrous faudrait-il faire sauter ? Quelles institutions convaincre et comment ?
Jean-Luc Sauron : La question centrale est celle du décideur politique qui aurait l'autorité de prendre cette décision de la "sortie de l'austérité". Cette question recouvre de multiples sous-interrogations. La première est celle de la faisabilité de cette sortie de l'austérité.Autrement dit, est-il envisageable de changer de politique économique comme "on change de chemise" ? Cette problématique de la sortie de l'austérité est née de la conjonction de deux mouvements : un d'origine extra-européen et l'autre interne à certains pays de l'Union européenne.
A l'extérieur de l'Union européenne, les Etats-Unis, les pays asiatiques et les BRICS s'inquiètent de ce que la remise en ordre des finances publiques des pays européens (comprenez l'austérité) casse l'amorce de reprise mondiale. Nos partenaires demandent tous une relance. Le changement d'analyse du FMI sur les dangers/avantages de l'austérité ou la découverte des erreurs commises par deux professeurs d'économie américain sur les effets de l'austérité tombent à pic pour conforter la demande internationale de changement de cap économique de l'Europe. Le soudain retour d'affection du président américain pour le marché unique transatlantique entre les États-Unis et l'Europe est d'autant plus remarquable qu'il avait réaffirmé son prisme pacifique (discours d'Hawaï durant sa campagne électorale). Or il est sûr que pour tirer avantage outre-atlantique d'un accord de libre-échange (EU/UE), il conviendrait que les Européens relâchent leurs restrictions budgétaires et leurs pressions fiscales.
En interne à l'Europe, les partisans d'une remise en cause de l'austérité regroupent essentiellement les partis d'opposition, à l'exception du gouvernement français et peut-être du gouvernement néerlandais. Les gouvernements des autres Etats membres n'affichent pas des discours très construits ou très cohérents. M.Letta, le président du Conseil italien, n'est pour l'instant que pressenti. Il doit constituer une large majorité liant les centres gauche et droite. Son affirmation est à replacer dans ce contexte fluctuant et instable. La présence de M.Monti est évoquée dans son éventuel gouvernement. Ce dernier participerait-il à une politique de reniement des efforts faits depuis une année par les Italiens ? La deuxième interrogation est que contiendrait une initiative de sortie de l'austérité ? Le Premier ministre néerlandais la définit-il de la même façon que le Gouvernement français ? D'ailleurs quel contenu le gouvernement français donne-t-il à une telle sortie de l'austérité ? Il faudrait construire une initiative européenne de sortie d'austérité acceptable par tous les Etats membres, notamment de la zone euro. En liaison avec la précédente interrogation, la troisième porterait sur l'identité de l'autorité politique qui la définirait ? Il convient d'être conscient des contraintes du calendrier européen sur mai 2013/mai 2014.
Les élections européennes de mai 2014 ne vont pas se préparer quelques semaines auparavant. Dès la rentrée, les parlementaires européens seront en course pour leur renouvellement pour un futur mandat pendant que les Commissaires et leurs cabinets chercheront une "suite" à leurs carrières. Traditionnellement, la période qui précède la fin d'une Commission n'est guère propice aux grands actes ou aux grandes décisions. C'est normal : qui croit aux engagements d'un gouvernement sortant ? Dans ce contexte, la présidence de l'Union est-elle un relai crédible, susceptible d'aider à l'émergence d'un projet ambitieux ? A compter de juillet 2013, les trois prochains Etats membres qui assureront la présidence semestrielle de l'Union seront dans l'ordre : la Lituanie, la Grèce et l'Italie. Ces Etats auront-ils le poids politique pour assurer le suivi d'initiatives politiques audacieuses? Enfin, le président du Conseil européen, Herman von Rompuy, terminera son mandat en novembre 2014. Dès lors, il reste le concert intergouvernemental classique au sein du Conseil européen, construit autour d'un triangle franco-britannico-allemand.
Les trois côtés de la "trinité européenne" traversent des difficultés politiques. La chancelière est haut dans les sondages, mais elle doit manœuvrer pour garder sa liberté de choix quant au partenaire ministériel (reconduite de l'actuelle coalition avec le FDP ou grande coalition avec le SPD); David Cameron est dans une situation guère plus simple. Il doit affronter la campagne pour l'indépendance écossaise, la pression eurosceptique en vue du référendum sur l'appartenance à l'UE et le maintien de sa coalition avec les libéraux-démocrates pro-européens, sans compter une situation économique difficile. François Hollande a la lourde tâche de moderniser un pays inquiet quant à son avenir et profondément divisé quant aux solutions à prendre pour reconquérir ou sauvegarder son rang de puissance économique .
Philippe Waechter : La difficulté est que l'Allemagne est entrée en année électorale. Certes Angela Merkel est la favorite à sa propre succession mais elle doit néanmoins s'assurer une majorité stable. Mettre en avant des efforts à faire pour l'Europe est certainement complexe. Une étude indique que 59% des Allemands ne font plus confiance à l'Europe en tant qu'institution et cadre de fonctionnement. C'est un élément à prendre en compte aujourd'hui.
Or l'Allemagne a une partie de la réponse puisque le déséquilibre au sein de la zone Euro provient d'une dynamique de demande qui n'a pas fonctionné de façon homogène. En d'autres termes, la demande interne de nombreux pays a progressé très rapidement alors que l'Allemagne ne mettait pas en place une stratégie cohérente avec cela mais en profitait pour exporter. Aujourd'hui il serait nécessaire de modifier ce mécanisme en soutenant la demande en Allemagne. Cela rééquilibrerait les situations au sein de l'Europe. Car pour l'instant et depuis longtemps l'effet d'impulsion de l'Allemagne vers le reste de la zone Euro est réduit et limité. C'est cette problématique qu'il faut changer. Il y a quelques mois Angela Merkel avait évoqué la possibilité de baisser les impôts mais cela n'a pas été suivi de mesures concrètes. Mais à courte échéance, on se heurte aux contraintes électorales allemandes qui limitent cette capacité d'agir.
Dans le même temps on perçoit que les citoyens allemands s'interrogent. Les discussions sur le salaire minimum sont intéressantes de ce point de vue. Indépendamment des questions liées au rééquilibrage européen les Allemands souhaitent bénéficier aussi de la situation privilégiée de l'Allemagne.
La situation reste en grande partie conditionnée par les élections de septembre et à la stabilité de la coalition qui en sortira. On ne peut pas attendre de bouleversements avant cette échéance. Par la suite cependant si Merkel dispose d'une majorité stable et de temps elle aura la capacité de mettre en œuvre une stratégie plus favorable à la croissance pour finalement donner une solution à la crise européenne. En attendant, chaque gouvernement, essaie de relâcher les contraintes auxquelles il est confronté. Cela pourrait forcer un peu la main à Bruxelles. Les politiques pourraient reprendre du poids dans les décisions face à la Commission Européenne. Le balancier revient vers les pays.
La solution pour que la crise s'achève passe par des comportements plus coopératifs et mieux coordonnées.
Pascal Ordonneau : L’austérité, il faut se faire une raison, n’est pas un dogme pour les Allemands. C’est l’application d’un principe et d’une méthode. Le principe : c’est celui de la ménagère qui ne dépense pas plus qu’elle n’a en poche... La méthode: pratiquer une dévaluation … qui n’a été ni plus ni moins qu’une ‘sagesse salariale’ consentie.
L’austérité est une vision de sudiste. Il n’y a pas d’austérité en Allemagne. Il y a simplement un consensus pour que la machine allemande fonctionne dans les meilleures conditions de compétitivité possible. Quitte à sacrifier l’avenir. Car, ce qui permet à la ménagère allemande de ne pas trop se préoccuper des charges, c’est qu’elle n’en a pas : pas d’enfants, pas de besoins en école, pas de besoins en hôpitaux, pas de besoins en logements, pas de charges d’étudiants, pas de nouveaux entrants sur le marché du travail, flexibilité grâce au lumpenproletariat importé des pays voisins etc.
Donc l’Allemagne n’a aucune raison de bouger. Au surplus, les élections pour le Bundestag qui se tiennent en septembre ne peuvent pas donner de chances à des initiatives de relance, c’est-à-dire à une prodigalité condamnable. Ajoutons que la Bundesbank et son sémillant Président bétonnent férocement le terrain. Les attaques contre les tentations de « quantitative easing » à l’anglaise ou à l’américaine sont menées avec une certaine efficacité. Si Mario Draghi a réussi à contourner certains des obstacles mis par ses collègues de la Bundesbank à toute idée de relance, il n’en est pas moins sous leur regard attentif et courroucé.
Faire sauter des verrous ? Il n’y a pas de verrous. Il y a simplement une querelle dont la dimension est absolument politique. « Cessez vos politiques d’assistanat dispendieuses, cessez de prendre vos contribuables pour les vaches à lait d’une fonction publique aussi inefficace que pléthorique, cessez de protéger tous vos salariés sous-qualifiés en vous efforçant de maintenir en survie des industries du passé, cessez de considérer qu’un homme qui travaille est une victime du grand capital et non un contributeur de richesse et vous retrouverez le bon chemin » . Tout le reste n’est que tentation dirigiste et soviétisme à peine dissimulé : ce n’est pas à un pays dont le chef de l’Etat et la chancelière ont été élevés à l’Est qu’on le fera gober.
S’appuyer sur le Parlement européen ? Pourquoi pas… il n’est pas loin le moment où ce même Parlement accueillait un Berlusconi outrancier prenant les Allemands à parti et leur rappelant les bons souvenirs des années quarante. Belle Assemblée, en effet ! La Commission ? Ça alors ! Quelle drôle d’idée ! Voilà une administration qui s’est vite mise d’elle-même sous le boisseau au beau moment où la crise éclatait. Personne n’imagine le Président de la commission s’exclamant auprès d’Angela Merkel : « Chef ! J’ai une idée ! Chef ! Vous m’écoutez, je crois que j’ai une idée. »
Jakob Hoeber : Le fait que l'analyse de Rogoff/ Reinhard sur le surendettement – grosso modo, qu'une dette au-delà de 90 % du PIB est un seuil critique – a connu des contestations massives en raison des inexactitudes méthodologiques, traduit également la mise en question de la politique d'austérité. La pression sur l'Allemagne d'abandonner sa position monte.
Maintenant, c'est au tour de José Barroso d'exiger la fin de la politique d'austérité de l'Allemagne. Or, la marge de manœuvre d'Angela Merkel est très restreinte quant à un assouplissement de sa politique. Avec la création du parti «Alternative für Deutschland» qui prône la sortie de l'Allemagne de l'Euro, elle perd un nombre croissant de son électorat. Bien que son parti a toujours une avantage confortable et qu'une grande majorité des Allemands la préfèrent au candidate socialiste d'opposition Peer Steinbrück, elle doit pourtant garder à l’œil des options de coalition ainsi que le rapport de force dans une telle coalition – qui serait sans doute plus favorable avec les Libéraux (FDP) qu'avec le SPD. Finalement, il y a un risque réel de révolte au sein de son propre parti où la fraction des eurosceptiques est grandissante. Ce n'est donc qu'à partir de septembre et une réélection éventuelle d'Angela Merkel qu'on peut s'attendre à des changements majeurs du positionnement allemand en Europe.
Et surtout comment convaincre l'Allemagne ? Quelles circonstances pourraient la pousser à reconsidérer la questions ? Si la voie diplomatique devait mener à l'impasse, quel serait la nature du rapport de force qui devrait s'engager ? Pourrait-on imaginer une recomposition des équilibres politiques ? Autour de quels pays ?
Jean-Luc Sauron : Si un accord devait se faire, il devrait tout d'abord être scellé entre la France et l'Allemagne. C'est pourtant un Britannique qui en a le mieux défini le contenu. Le chancelier de l'échiquier britannique, G.Osborne, vient de rappeler aux Écossais qu'il convenait de choisir entre le maintien dans la Grande-Bretagne et l'usage de la livre sterling. Pourquoi ? Parce qu'il n'était pas question que les Écossais, devenus indépendants, puissent avoir leur mot à dire sur deux questions intimement liées au partage d'une même monnaie : le choix des dépenses (les postes budgétaires) et celui des ressources (les impôts).
Un accord franco-allemand ou plus largement accepté par les États de la zone euro devrait porter notamment sur la coordination budgétaire et l'harmonisation fiscale. Angela Merkel a mis cette question sur la table en mentionnant qu'il ne pourrait pas y avoir de progrès en Europe sans abandon de souveraineté. Il est évident que l'Union européenne qui sortirait de ces discussions comprendrait un cœur à souveraineté partagée (comme la monnaie) et concernerait les Etats de la zone euro qui accepteraient cet exercice en commun de la souveraineté et les autres.
Parmi les autres, il y aurait ceux qui travailleront à entrer un jour dans cette Union économique, monétaire et budgétaire et ceux qui en resteront exclus se contentant de bénéficier du marché unique ou de participer à des politiques sectorielles (défense, recherche) parmi lesquels pourraient figurer la Grande-Bretagne et pourquoi pas la Turquie à terme (voir sur ces questions mon ouvrage "L'Europe est-elle toujours une bonne idée ? " Gualino éditeur) . Le non français à la Constitution européenne a placé la construction européenne dans une impasse et a durablement affaibli le poids et le rôle de la France en Europe. La crise politique actuelle doit être dépassée par une révolution copernicienne française sur la souveraineté nationale. Les Allemands n'attendront pas éternellement que les Français veuillent bien changer. Ou la France se lance dans une négociation avec l'Allemagne centrée sur une fédéralisme budgétaire et fiscale, ou l'Europe se fera sans la France.
Philippe Waechter : Les équilibres politiques se font autour des pays les plus puissants. Cela a toujours fonctionné comme cela et il y a peu de chance que cela change puisqu'en plus le pays le plus puissant actuellement est aussi celui qui dispose de marges de manœuvre importantes.
Chercher à recomposer un équilibre politiques c'est aussi faire l'hypothèse que des changements profonds se sont opérés en Europe pour que la hiérarchie ancienne ne puisse plus fonctionner. Ce n'est surement pas souhaitable. A court terme si nouvelle composition il y a, elle se fera entre gouvernements puisque la Commission européenne manque de projets mobilisateurs. C'est ce que Merkel et Sarkozy avaient tenté de faire en août 2011 après la réunion de l'Elysée. Cela n'avait pas bien fonctionné néanmoins.
Cependant ce regroupement autour des pays et des gouvernements n'est pas ce qui se dessine dans les institutions de la zone euro adoptées depuis l'été 2012. Les cadres qui se mettent en place avec le MES, l'Union Bancaire, le traité de gouvernance et le nouveau rôle de la BCE comme potentiel prêteur en dernier ressort ont pour vertu de ne pas être le prolongement des gouvernements.
L'articulation entre ces institutions nouvelles et les gouvernements manque encore de clarté parce que les institutions ne sont pas encore complètes. La question de la gouvernance n'est pas encore totalement résolue en zone Euro parce que rien n'est encore achevé et c'est pour cela que les décisions parfois bafouillent.
Pascal Ordonneau : Pour que l’Allemagne bouge, il faudrait un cataclysme. Les législatives allemandes à venir ne font pas partie des cataclysmes mais de l’ordre des choses démocratiques. Les élections municipales françaises ? Même chose. La Belgique qui éclate sous les coups de boutoir de la crise et des Flamands ? Péripétie. L’Ecosse qui prendrait finalement son indépendance et convaincrait la Catalogne de faire de même ? De futurs marchés pour les machines-outils et les voitures allemandes. La Grèce associée à Chypre qui décident de s’en aller de la Zone euro et de créer une grande zone franche internationale dans le genre Virgin Islands mais avec la culture et de grands moments historiques en plus ?
Cessons ce petit jeu ! Tout ceci importe peu à l’opinion allemande. A raison. Ces morceaux de pays ou ces pays en leur entier ne pèsent pas lourds en termes économiques. Donc ils ne risquent pas de gêner la politique suivie par l’Allemagne.
Quant à donner des gages aux Allemands ?… Ne revenons pas sur les douloureux exemples du passé quand la France allait prendre des gages sur la Rive gauche du Rhin ou quand, dans l’autre sens, elle dût verser l’équivalent d’un tiers de son PNB à l’Empereur allemand pour qu’il veuille bien interrompre sa promenade militaire.
Il n’est même pas sûr que Poutine lançant ses chars « comme au bon vieux temps » ferait bouger la ménagère allemande.
Jakob Hoeber : Une volte-face de l'Allemagne ne viendra pas sans condition. Le sentiment en Allemagne, justifié ou non, est que les pays demandant plus de souplesse monétaire ne font pas assez d'efforts pour renforcer leur compétitivité. L'idée est que dans un tel contexte, une augmentation des dépenses publiques n'aurait qu'un effet très faible sur l'économie. Il y a aussi des doutes quant à l'utilisation de l'argent que finalement l'Allemagne, mais aussi la France et d'autres pays de «l'Europe du Nord» devrait garantir – soit en se portant garant pour la somme investie, soit par la perte de crédibilité pour la monnaie lorsque le financement se fait par le levier d'une politisation de la BCE. Les pays bénéficiant d'un tel investissement devraient alors convaincre le gouvernement allemand, mais aussi d'autres pays comme la Finlande et l'Autriche, entre autre, du bon emploi de cette somme.
Enfin, l'expérience faite dans le temps de crise économique montre qu'une augmentation de la dépense publique a un effet important lorsqu'elle est faite juste après l'apparition du choc économique – comme c'était le cas pour la prime de la casse par exemple – mais que l'effet devient de plus en plus faible voire même négative dans le temps qui suit si on tient compte de l'effet crowding out – la dépense publique remplaçant la dépense privée – et les intérêts à payer plus tard sur l'endettement supplémentaire. La crise de la zone euro montre qu'il s'agit d'une crise structurelle – c'est la où l'Allemagne a raison – et son résolution ne passe que par une interrogation de l'ensemble des membres quant à son positionnement dans l'économie mondiale à l'avenir ; ni une injection de liquidité de la BCE, ni une augmentation des dépenses publiques peuvent remplacer cette discussion. Si elle est menée ouvertement, on peut aussi s'imaginer plus de souplesse de la part de l'Allemagne pour un soutien monétaire – seulement, une telle discussion est difficile à réaliser dans le climat de méfiance qui divise la zone euro et même l'UE en ce moment.
Selon quels scénarios cette transition pourrait-elle s'opérer ?
Jean-Luc Sauron : Sans volonté française, les scenarii sont multiples: éclatement de l'Union européenne vers une zone de libre échange, éclatement en plusieurs sous-groupes avec une domination économique d'un pôle germano-austro-néerlando-polonais, etc. Il est fondamental de comprendre que l'Union européenne est mortelle. Elle n'a pas atteint un niveau de maturité politique et économique qui la rendrait irréversible. Je n'évoque pas les scenarii de rapports de force entre la France et l'Allemagne, mauvais remake du compromis de Luxembourg. La France de 2013 n'a plus les moyens d'imposer sa volonté à son principal partenaire économique, notamment compte tenu de l'état de ses fondamentaux économiques et sociaux. Pour parler avec une voix forte autour de la table européenne, il faut pouvoir attester d'une réussite économique. L'exception culturelle et la bombe atomique ne sont pas des arguments suffisants pour vouloir diriger l'Europe. Enfin, curieuse manière que cette menace de pression sur l'Allemagne au cours de l'année du soixantième anniversaire du traité de l'Elysée !!
Philippe Waechter : Je n'ai pas envie de faire de la sortie de la zone Euro la solution ultime car très certainement l'Union Européenne n'y résisterait pas. Le risque de tensions serait certainement vite palpable parce que chaque pays essaierait de trouver la bonne position, celle qui lui convient. Ce serait une période instable et je ne suis pas sûr que l'on puisse souhaiter cela. Ce serait prendre le risque d'aller à rebours de ce qui a été construit depuis plus de 50 ans. Mario Draghi à Londres le 26 juillet dernier évoquait d'abord l'Europe comme une construction politique, comme une volonté d'aller vers une dynamique commune. C'est cela qu'il faut avoir à l'esprit pour ne pas prendre le risque de divergence entre les pays européens.
La deuxième solution maintient la problématique actuelle qui veut courir deux lièvres à la fois. Quand les Européens veulent faire des réformes structurelles cela veut dire que les règles de fonctionnement vont changer et que chacun va devoir s'adapter à ce nouveau cadre, chacun devra trouver la trajectoire qui lui convient. La mise en place de politiques d'austérité limite ces capacités d'ajustement. Personne n'a plus la possibilité de trouver sa bonne trajectoire. Dès lors les solutions résultant des politiques structurelles sont davantage contraintes et il n'est pas sûr alors qu'une dynamique équilibrée puisse être trouvée.
Cette solution qui a été adoptée par l'Europe a eu des résultats catastrophiques. La prolonger c'est prendre le risque de voir le taux de chômage déjà à 12% en février 203 progresser encore rapidement et devenir intolérable.
La première solution est celle d'une hiérarchie qui met la croissance en premier. Il faut que l'économie de la zone Euro se remette en mouvement pour s'adapter à un monde qui bouge très vite et qui ne nous attend pas. Pour l'instant et depuis le début de l'année 2011 la zone Euro est à l'arrêt parce qu'elle souhaite réaliser trop d'objectifs en même temps.
Le dessein doit néanmoins être double. Le premier est de compléter le cadre institutionnel qui a été mis en place et accélérer la construction de l'Union Bancaire afin que la zone Euro puisse fonctionner de façon équilibrée. Cela réduira l'incertitude est permettra d'allonger l'horizon de chaque participant à l'économie que ce soit un consommateur ou une entreprise. Pour l'instant personne ne réussit à se projeter vers l'avant. Les institutions peuvent y contribuer en réduisant l'incertitude.
L'autre objectif est celui de réalimenter la demande pour que l'activité reparte. Jusqu'à présent et notamment depuis 2011 tous les acteurs de l'économie souhaitent réduire leurs dépenses. Le consommateur parce qu'il est inquiet ne dépense pas, l'entreprise ne souhaite pas investir car le cadre institutionnel ne lui semble pas encore suffisamment robuste. Et l'Etat contraint par les politiques d'austérité réduit ses dépenses. La question est de savoir qui génère de la demande pour soutenir l'activité des entreprises. Aujourd'hui personne ne tient ce rôle et le commerce mondial n'est pas suffisamment dynamique pour prendre le relais. C'est pour cela que de nombreux pays sont en récession. C'est cette façon de faire qu'il faut altérer en profondeur afin que les entreprises voient enfin leurs carnets de commandes se regarnir. Ce sera le seul moyen de réduire durablement le chômage.
Pascal Ordonneau : Imaginons que l’Allemagne descende de son Aventin… Imaginons qu’elle s’en vienne devant ses associés et leur dise : « Allez, finalement, c’est trop bête. Relançons un grand coup. Et que la machine reparte. C’en est assez de se reposer. Bossons ! »
Alors, pour faire repartir la machine, il ne faudrait surtout pas s’en remettre aux Etats. Aux dépenses publiques. Aux investissements du même nom. Ce serait trop lent. Trop inefficace. Et puis, des dépenses publiques cela ne se décide pas comme ça, d’un claquement de doigts. Il suffit de voir ce qu’il en a été des investissements à financer par le grand emprunt « Sarkozy ». Trois ans après, les enveloppes prévues n’avaient toujours été que partiellement consommées.
Si on veut que la machine reparte, il faut s’en remettre à la myriade de décideurs économiques que sont les ménages et les entreprises. Ils savent bien ce qui leur manque, ce qu’ils aimeraient pouvoir financer et seraient capables de se décider très vite. Presque instantanément.
Comment fait-on dépenser des ménages qui se sont arrêtés de le faire ? En diminuant les prix, donc la TVA, (en s’organisant pour que la stimulation de la consommation n’aille pas enrichir quelques asiatiques). Comment faire redémarrer les entreprises ? En abaissant violemment leurs charges sociales. La demande resolvabilisée et l’offre rassérénée font en général de bonnes affaires ensemble.
Donc des déficits des finances publiques ! Comment les financer ? En étant Européen, en lançant des emprunts européens destinés à compenser les pertes de recettes fiscales. Comment les rembourser ? Par l’augmentation des recettes fiscales liées à l’augmentation des dépenses et par la réduction des dépenses publiques liées à la reprise du marché de l’emploi.
Certains pays sont violemment touchés ? Un second système d’emprunts groupés européens serait mis en place pour les soutenir et leur permettre d’affronter les fameuses réformes de structures sans trop souffrir.
Quels gages donner à l’Allemagne, mais surtout à l’avenir ? Continuer les réformes du marché de l’emploi, des retraites et des systèmes de redistribution sociale. Avancer plus loin encore dans la construction d’une Fédération Européenne et dans la mise en place de politiques extérieures solides et pro-actives.
Tout ceci revient à parier qu’un vent de confiance balaiera les miasmes de la crise : Après tout, l’Allemagne, comme la France, détruites toutes deux par la dernière guerre mondiale s’en sont remises !
Utopie, simplisme, enfantillages ! Relancer une économie, c’est beaucoup plus compliqué que cela ! Il faut réfléchir. Ne pas se lancer à l’aveuglette. Demander aux spécialistes.
Alors, il y a une solution, une dernière. Celle-là marche d’un coup et, si elle est bien menée, très fort. La dévaluation ou la réévaluation. On a le choix. Ou les Français s’en vont (dévaluation) ou les Allemands le font (réévaluation). Si nos grands argentiers, nos grands fonctionnaires sur-compétents et si nos banques ne sont pas qu’une collection d’enfants de cœur, ces deux plans B (B’ et B’’) dorment quelques parts dans des cartons, eux-mêmes dans des coffres-forts… Il paraitrait même que les billets sont déjà prêts. Le reste n’est qu’une question d’informatique.
Et puis, on ne rendrait pas leur or aux Allemands. Voilà le gage que les Français pourraient mettre en place.
Au fait pourquoi ne pas parler de la dévaluation de l’Italie, de l’Espagne etc. La réponse est simple : quand on arrive à ce stade de pensée économique, on a atteint la zone de l’égoîsme national maximum. Alors, penser aux autres ….
Quelles seraient les conséquences d'une explosion de la zone euro ?
Pascal Ordonneau : Qui sortirait donc ? Y aurait-il comme au bon vieux temps de Guillaume 1er de Prusse (celui qui ne voulait pas être empereur), une Confédération du Nord, qui battrait monnaie commune ? Y aurait-il comme au bon temps de la France de la fin de XIXème Siècle, une Union Latine, où l’or serait roi ?
La France déciderait-elle de faire « monnaie à part » laissant aux autres membres de l’Euro les charmes et les affres de l’Euro. Elle les regarderait s’étouffer dans une monnaie trop forte comme la France du Général riait sous cap de voir la livre sterling se transformer en monnaie pour nécessiteux.
Dans tous les cas de figure, il est préférable de ne pas chercher à imaginer les conséquences autrement que sous la forme que prit la course à la dévaluation durant les années trente de l’autre siècle. Rien que cette vision apocalyptique devrait faire réfléchir.
Jakob Hoeber : Le pire des scénario serait un éclatement de la zone euro. Prévoir les conséquences – surtout si la dissolution se fait d'une façon chaotique, disons après la sortie subite d'un membre important – ressemble à un jeu de devinette – mais on doit s'attendre à une récession massive dans l'ensemble de l'UE et même au-delà à cause de l'incertitude qui en suit. Le pays qui perdra le plus en niveau de vie en court et moyen terme sera probablement la France dont le système bancaire connait une exposition importante aux pays comme l'Italie et l'Espagne. La durée de la récession et l'image de l'Europe quelques ans après la fin de l'eurozone dépendra largement du niveau de coopération entre les états européens – tenter de le prédire serait pure spéculation.
Que faire alors ? La meilleure solution serait de laisser le marché faire son travail tout en lui donnant ce dont il a besoin : de la certitude. Une solution politique homogène est déjà interdite par l’hétérogénéité des crises : éclatement des bulles en Espagne et Irlande, mauvaise gestion politique en Italie et en Grèce...l'idée serait alors de donner des signaux importants qui confirment la volonté des membres de la zone euro de continuer le projet ensemble et surtout l'établissement d'un cadre régulateur plus homogène qui permet aux investisseurs de pouvoir anticiper l'avenir on pourrait penser à une uniformisation des impôts, par exemple. Un autre moyen serait l'introduction d'une assurance chômage à temps limité au niveau européen, qui aurait un effet anticyclique. Ce qui pèse réellement sur les économies en difficulté n'est pas l'absence des dépenses publiques mais un projet d'avenir clair et cohérent qui est porté par l'ensemble du pays et de la zone euro même. C'est seulement après qu'un financement public peut donner un coup de pouce pour le démarrer. Il pourrait alors même venir de l'Allemagne.
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