Mais non, c'est pas si simple. |
A 21 heures, Hollande file vers la place de la Cathédrale de Tulle. Debout sur la scène qui jouxte le bâtiment moyenâgeux, il salue la foule corrézienne. Quand il aperçoit sa compagne, son soutien indéfectible depuis si longtemps, il lui fait signe de monter. Et voilà les deux tourtereaux qui affichent leur joie, un bouquet à la main. Le maire, Bernard Combes, s'approche. "François, ne t'en va pas, il y a encore quelque chose", le prévient-il, d'un air mystérieux.
Deux accordéonistes et une clarinettiste font leur apparition près du pupitre et entonnent l'air de La Vie en rose. Hollande n'était pas au courant. La surprise est signée Valérie Trierweiler, avec la complicité de Bernard Combes. Un clin d'oeil à la fois politique et intime - une ambivalence qu'elle savoure. Des supporteurs reprennent les paroles d'Edith Piaf : "Quand il me prend dans ses bras, il me parle tout bas, je vois la vie en rose." Trois jours plus tôt, l'élégante journaliste de 47 ans a eu l'idée de mettre cette chanson à l'honneur et a monté son coup en douce. La direction parisienne de l'équipe de campagne n'a pas été consultée. L'image la plus regardée de la soirée, celle qui restera dans la mémoire collective, leur a échappé.
Elle a la nostalgie de l'ombre, mais, sous le regard du public et des caméras de télévision, à la Bastille, la fameuse nuit du 6 mai, elle se laisse aller à un baiser après avoir glissé à François Hollande : "Embrasse-moi sur la bouche maintenant" - propos qu'elle dément, malgré des images qui ne laissent pas de place au doute. Sur l'estrade, quelques instants plus tôt, le président a donné une accolade affectueuse à la mère de ses quatre enfants, Ségolène Royal.
Une exposition entre politique et sentiments qui ne tranche pas vraiment avec l'ère précédente. François Hollande a érigé l'antisarkozysme en ligne fondatrice de sa campagne comme de la semaine de transition avant la cérémonie d'investiture du 15 mai, sauf dans un domaine: l'affichage de son couple, la présence de plus en plus visible de sa compagne. Carla et, avant elle, Cécilia ont défrayé la chronique par une présence médiatique inédite, et exercé une influence parfois réelle sur la composition des équipes. Qu'en sera-t-il avec la nouvelle first lady?
"Valérie Trierweiler est passée très vite de l'ombre totale à la lumière totale", résume un cadre de la campagne, qui exige l'anonymat. Comme presque tout le monde, quand il s'agit de parler d'elle. Peur bleue des caciques roses. "Si tu te grilles avec elle, tu te grilles avec François", résume l'un d'entre eux. Son caractère franc et volcanique n'arrange rien, dans un milieu politique très masculin, parfois misogyne.
"Quand elle arrive dans une réunion, sa venue jette un froid, raconte un autre. Elle est vue comme l'oeil de Moscou." Son passé professionnel lui a donné une connaissance précise des personnages qu'elle côtoie. "Comme journaliste politique jusqu'en 2005, elle a été détentrice de certaines confidences de cadres du PS, ajoute Constance Vergara, auteur de Valérie, Carla, Cécilia, Bernadette et les autres, en campagne, aux éditions Tallandier. C'est une position compliquée."
Certains lui prêtent le pouvoir d'écarter du premier cercle ses bêtes noires et celui de promouvoir ses chouchous. Le choix du gouvernement? Valérie Trierweiler assure s'être tenue à mille lieues des tractations. Quand elle interroge son conjoint sur une rumeur de désignation, Hollande n'aurait pas dérogé à sa réputation d'homme secret: "C'est une hypothèse." Les disgrâces de certains proches? "Je n'ai écarté qu'une personne, c'est Julien Dray, assume-t-elle. Et je ne le regrette pas." Le 9 mai, elle chasse le député de l'Essonne d'un pot au QG parisien de l'avenue de Ségur. Elle le croise, l'attrape par la veste, en le voyant près de l'entrée. "Toi, tu dégages, tout de suite..." Le malheureux, à qui elle reproche depuis longtemps d'avoir eu des mots durs sur elle, tourne les talons et quitte les lieux. Humiliant.
En revanche, on peut regarder les choses de manière inversée: il n'est pas inutile qu'elle vous apprécie pour s'approcher de lui. Regardez le parcours de Manuel Valls, dont elle a dit elle-même qu'ils étaient passés de la confiance à la complicité... Certes, il a énormément travaillé pendant la campagne, mais être dans les petits papiers de Madame est un atout maître pour gravir les échelons." Tous les ingrédients d'une future cour sont réunis.
Cette fille d'une famille modeste d'Angers (sa mère était caissière à la patinoire municipale) a longtemps décrit dans ses reportages la vie des grands de ce monde - il lui est même arrivé de relater la journée des épouses de chefs d'Etat, en marge d'un sommet international. Après avoir observé les autres, c'est elle désormais que l'on observe. Les voyages officiels, avec leurs contraintes de protocole, vont accélérer la mue. Trouver sa place. "
Je ne pense pas créer de nouvelles fondations, mais peut-être aider celle qu'a lancée Danielle Mitterrand", confie-t-elle. Le 11 mai, elle s'est entretenue avec Carla Bruni-Sarkozy, qui l'a appelée. Carla : elle fut la première à avoir tenté de poursuivre cahin-caha sa carrière professionnelle en dépit de sa fonction. Sans rencontrer le même succès qu'avant son entrée à l'Elysée. "Elle a payé le rejet de son mari, estime Valérie Trierweiler. Son talent n'est pas en cause. Nous avons tous acheté ses disques."
Carla Bruni-Sarkozy n'a pas tardé à prendre ses distances avec la gauche bobo, se rangeant derrière le sarkozysme le plus assumé. Valérie Trierweiler gardera-t-elle sa (petite) liberté de ton ? Déjà, elle hésite à conserver son compte Twitter, où ses propos fleurent plus la spontanéité que la déclaration soupesée. Le moindre de ses mots rencontre un écho. "Je répète souvent qu' "il faudra réinventer la fonction" et, à plusieurs reprises, cela s'est traduit par une dépêche AFP." La presse l'analyse à la loupe. "Il y a peut-être un peu de jalousie de la part des journalistes, note Constance Vergara. Elle a la place rêvée, au coeur des décisions. Et, aux yeux de certains, elle a trahi la profession."
Ce jour-là, Valérie Trierweiler sort de la coulisse, qui fut son domaine réservé. Pendant la traversée du désert de François Hollande, après son départ de la direction du PS en 2008, le couple voyage en Italie, parcourt des îles grecques à scooter. Le futur candidat est politiquement au fond de l'abîme. Mais il se reconstruit sur le plan personnel. Elle lui répète, comme pour le motiver: "On se construit un destin avec le pire et le meilleur."
Pendant la présidentielle, elle n'a pas abandonné son travail dans l'ombre. Le couple rencontre une flopée de people, à l'occasion de dîners discrets: les acteurs Lorànt Deutsch, Charlotte Gainsbourg, Yvan Attal, les écrivains Yasmina Reza et Fred Vargas, les chanteurs Johnny Hallyday, Nolwenn Leroy, Raphaël, le paléontologue Yves Coppens, l'humoriste Elie Semoun, l'homme de télévision Bruno Gaccio, des grands chefs d'entreprise, des responsables d'institution scientifique.
C'est désormais devant les caméras que Valérie Trierweiler devra trouver sa place. Se faire violence, au nom de la Vie en rose. Savoir jusqu'où ne pas aller trop loin. En août 2011, le couple avait quitté Hossegor pour une escapade en Espagne. Dernière pause avant le sprint final de la primaire. Sur le trajet, si François Hollande feuillette un guide Michelin, il rechigne manifestement à quitter la France. A 500 mètres de la frontière, Valérie Trierweiler, au volant, a compris. Elle arrête la voiture. Et fait demi-tour.
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