Chez les lecteurs, les téléspectateurs et les électeurs, les
journalistes ont été l'une des grandes indignations de la campagne,
presque une colère. Les amitiés, les amours, le mépris, l'argent et les
privilèges sont revenus comme un refrain dans les conversations. Voici
un florilège de quelques scènes de la vie politique et médiatique qui ont scandé la présidentielle.
Anne Sinclair a personnellement appelé Claire Chazal pour organiser l'entretien de Dominique Strauss-Kahn, le premier depuis le scandale du Sofitel. Les deux femmes se sont connues vingt ans auparavant, lorsqu'elles étaient consoeurs à TF1. Déjà, en juillet, deux mois après l'arrestation de l'ancien directeur du Fonds monétaire international (FMI) à New York, Claire Chazal avait expliqué dans TV Magazine combien elle compatissait au sort du couple, assurant : "On s'envoie des petits messages de sympathie et de tendresse de temps en temps..."
L'annonce de l'interview fait aussitôt polémique. De New York, Kenneth Thompson et Douglas Wigdor, les avocats de Nafissatou Diallo, se disent "écoeurés par les conditions de cette interview, la journaliste étant amie de l'épouse" de celui qu'ils accusent. "On a assisté à un entretien de connivence, dénonce le lendemain de l'entretien l'avocate féministe Gisèle Halimi, où les liens d'amitié entre la journaliste qui l'interrogeait et DSK sont apparus gros comme des câbles." Au sein de la presse, la plupart des journaux s'insurgent aussi. Jusqu'à Alain Duhamel qui convient : "C'est une amie d'Anne Sinclair et une amie d'Anne Sinclair ne devrait pas interroger Dominique Strauss-Kahn..."
12 avril, Franz-Olivier Giesbert raille les petits candidats
France 2 a eu l'idée de faire juger par deux journalistes, le directeur du Point, Franz-Olivier Giesbert, et Hélène Jouan, directrice des magazines d'information de France Inter, les prestations des douze candidats passés sur le gril lors de l'émission "Des paroles et des actes". Exercice périlleux : les voilà obligés de distribuer bons et mauvais points, avec le risque de transformer le débat en café du commerce.
Ce 12 avril, à dix jours du premier tour de la présidentielle, Franz-Olivier Giesbert décide de régler leur compte aux "petits" candidats, dont il conteste la légitimité. "Philippe Poutou, ah ! Philippe Poutou..., commence-t-il. C'est un type extrêmement sympathique, totalement baba cool ! D'ailleurs, j'ai plein de copains comme ça, on passe de bonnes journées ensemble, on bouffe des sardines à Marseille... Mais il ne connaît absolument rien de ses dossiers, il ne sait pas du tout de quoi il parle, et il a le programme le plus dingue !"
Hélène Jouan, un peu gênée, tente de le freiner : "Mais alors, on ne devrait permettre qu'à François Hollande et Nicolas Sarkozy de se présenter ?" Trop tard, FOG, qui a dîné à la table de tous les dirigeants du pays depuis trente-cinq ans, est lancé : "On voit bien que les mailles du filet sont un peu larges !" Puis il énumère : "Nathalie Arthaud, franchement, ça fait froid dans le dos quand on pense qu'elle est prof d'économie ! C'est tout de même «les Bronzés font de l'économie» !" Jacques Cheminade ? "Il serait bien mieux en première partie de Nicolas Canteloup ou de Laurent Gerra." Eva Joly ? "Erreur de casting absolue ! On comprend rien de ce qu'elle dit, d'ailleurs tout le monde s'en fout !"
Sur les forums du site de France Télévisions, sur celui du Monde.fr, sur Twitter, les messages outrés ou moqueurs affluent. Même le public, sur le plateau de France 2, paraît traversé de remous au point que David Pujadas croit utile de préciser : "Nous rappelons que la parole de nos chroniqueurs n'engage qu'eux-mêmes..."
On ne peut plus arrêter Franz-Olivier Giesbert. "Ah mais, on a oublié Nicolas Dupont-Aignan ! C'est LE mini-gaulliste, tout petit, petit, le gaulliste de poche... Au début, ça commençait bien, et à la fin, on a eu son espèce de discours absolument incroyable sur le protectionnisme. Et vous avez vu, il a été fini à coups de gourdin par François Lenglet ! Dans les cordes ! C'est le candidat assommé !" Etourdissant, lui aussi...
13 avril, empoignade entre Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Michel Aphatie
C'est une des vidéos qui fascine tout Internet, avec connexions en rafale, déchaînement de commentaires et bravos virtuels. Vendredi 13 avril, Nicolas Dupont-Aignan, candidat à la présidentielle sous l'étiquette Debout la République, est invité au "Grand Journal" sur Canal+ : en trois minutes cinquante-sept secondes, il va produire un concentré de "tout ce qu'on pense des journalistes", estime un internaute, et "donner un coup de pied dans cette saloperie de fourmilière".
Ce soir-là, donc, Nicolas Dupont-Aignan monte au créneau, assez vite : "Je sais pourquoi les Français ne lisent plus les journaux. Ils vont sur Internet, et heureusement qu'il y a Internet. Parce que tous ces éditorialistes de bazar, qui vivent ensemble, qui font tout le temps les mêmes articles, qui sont totalement coupés des réalités, qui gagnent un argent fou, et qui croient connaître les Français, on va s'en débarrasser un jour."
Sur le plateau, face à lui, Ariane Massenet, qui mène l'interview, reprend en souriant : "Vous vous mélenchonisez !" A vrai dire, elle aurait pu aussi bien dire "vous vous lepénisez", ou "vous vous sarkozissez", voire "vous vous évajolisez" tant les critiques contre les médias ont, cette année, fait partie intégrante des discours de campagne. Nicolas Dupont-Aignan, lui, est lancé : "Madame, venez avec moi une fois sur le terrain, venez voir les Français qui souffrent. On ne vit pas dans le même monde."
Cette fois, c'est Michel Denisot, le patron de l'émission, qui reprend, calme : "Mais si, Monsieur. On ne vit pas sur la lune. Vous ne savez pas où je vis." A partir de là, l'émission s'échappe, les rôles s'inversent et l'interrogé interroge : "Donnez-nous votre salaire, combien vous gagnez ?", demande Nicolas Dupont-Aignan. "Dites-le aux Français ! Vous n'oserez pas le dire." Michel Denisot refuse "de polémiquer", mais le candidat est lancé : "Vous ne pouvez pas dire droit dans les yeux aux Français combien vous gagnez, car c'est une somme tellement extravagante (...). Tous ces gens qui s'en mettent plein les poches, qui donnent des leçons à la terre entière (...)."
Côté "Grand Journal", Jean-Michel Aphatie, éditorialiste, s'emporte à son tour : "Traitez-nous de voleurs tant que vous y êtes ! Plein les poches, qu'est-ce que ça veut dire ? Mon salaire, je le mérite, comme vous !"
- Dupont-Aignan : "Osez le dire."
- Aphatie : "Eh bien je ne vous le dirai pas. Vous n'êtes pas un inquisiteur. Votre comportement n'est pas digne de la politique. (...) Vous faites du populisme."
- Dupont-Aignan : "Si vous sortiez un peu de votre petit milieu, vous ne penseriez pas pareil. Il y en a assez de recevoir des leçons de gens qui ne savent pas comment vivent les Français à la fin du mois."
22 avril, Anne Sinclair commente le premier tour de la présidentielle
Anne Sinclair a repris sa carrière de journaliste, alors même que l'affaire Strauss-Kahn continue de défrayer la chronique judiciaire et politique française. Au Huffington Post, dont Le Monde détient 34 % du capital, puis sur la chaîne BFM-TV, qui lui demande de commenter le premier tour de l'élection présidentielle. L'épouse de Dominique Strauss-Kahn interroge en direct, sur les résultats du scrutin, Gilles Finchelstein, qui conseille son mari depuis quinze ans.
"Toute cette com', cette arrogance et cette irresponsabilité, c'est à cela que nous avons tourné la page en votant pour la gauche d'Hollande", peut-on lire sur les forums. Quelques jours plus tard, le quotidien anglais The Guardian publie un long article du journaliste Edward Epstein dans lequel il rapporte des propos de Dominique Strauss-Kahn mettant en cause l'entourage de Nicolas Sarkozy qui se serait servi de l'affaire du Sofitel pour l'écarter de la course présidentielle.
Cet article convaincra BFM-TV de ne plus faire appel à Anne Sinclair, "estimant que l'épouse de DSK ne pouvait plus garder l'objectivité nécessaire pour commenter l'élection présidentielle". Au second tour, l'ancienne star de "7 sur 7" sera privée de commentaire à la télévision.
6 mai, Nicolas Demorand sous la tente VIP
Sous la tente VIP de la Bastille, dimanche 6 mai, il n'y avait pas seulement la productrice Fabienne Servan-Schreiber ou Jérôme Clément, l'ancien patron d'Arte, qui regardaient les écrans de télévision. Il n'y avait pas seulement les ministrables Aurélie Filippetti ou Arnaud Montebourg qui dansaient, déchaînés, pour dire leur joie. Il y avait aussi des journalistes, comme Karl Zéro, et surtout Nicolas Demorand, le directeur de la rédaction de Libération, qui claquait des bises et fêtait sans retenue la victoire de son champion.
6 mai, Thomas Hollande guest star sur France 2
Pourquoi une telle "pipolisation" de la soirée électorale sur une chaîne publique ? Quand Thomas Hollande est apparu sur France 2, dimanche 6 mai, à 20 heures, un drôle de malaise a saisi les téléspectateurs. Pourquoi lui, à l'ouverture du 20 heures ? Pourquoi le fils de François Hollande en vedette américaine ? Ses commentaires, comme les motos suivant la voiture de François Hollande dans les rues de Tulle ou de Paris, venaient à chaque fois interrompre ceux des politiques. A Tulle, où la soirée de France 2 était retransmise sur l'écran géant de la place de la Cathédrale, avant d'être aussitôt interrompue, une brise de stupeur a saisi la foule massée pour fêter la victoire de François Hollande. A la Bastille, les réactions ont été beaucoup plus vives encore. Quand "Papa" s'affiche sur le téléphone de Thomas Hollande, les rires fusent. "Qu'est-ce qu'il fait là ?" "C'est quoi ce délire ?" On pense au "bonne chance mon papa" lancé par le petit Louis à Nicolas Sarkozy, en novembre 2004, au Bourget, lorsqu'il est devenu président de l'UMP. Certains murmurent aussi : "EPAD, EPAD", allusion à la candidature avortée, en octobre 2009, de Jean Sarkozy à la présidence de l'EPAD, un établissement public de la Défense en charge de l'aménagement urbain et de l'attribution des marchés immobiliers au sein du quartier d'affaires des Hauts-de-Seine.
10 mai, Valérie Trierweiler raconte sa vie de journaliste "complice"
La confusion des genres et des sentiments entre journalistes et élus était déjà un reproche récurrent. L'arrivée de Valérie Trierweiler en offre une illustration. Au lendemain de la victoire de François Hollande à l'Elysée, sa compagne, Valérie Trierweiler, signe les légendes des photos que publie Le Point. Son récit de sa "vie en cinq photos" et le mélange volontaire entre son activité de journaliste et sa relation sentimentale avec le président choquent, jusque dans l'équipe de l'élu socialiste.
L'un des clichés, daté de 2000, s'intitule "Notre rencontre" et montre la journaliste, radieuse, assise avec celui qui est alors patron du Parti socialiste à l'Assemblée nationale. La nouvelle première dame commente ainsi l'image : "François est alors premier secrétaire, nous nous retrouvons toutes les semaines «salle des Quatre Col», à l'Assemblée. Nous sommes alors très complices. Nous aimons tellement parler politique et rire. En 2005, notre relation prend un nouveau tour. Une histoire folle." Paris Match, l'hebdomadaire qui continue de la salarier, publie la même semaine une photo de François Hollande en 2004 à Tulle, où l'on aperçoit Valérie Trierweiler en train de noter sur son carnet. La légende explique : "François Hollande vote à la mairie de Tulle pour le référendum interne du PS sur la Constitution européenne. Derrière, Valérie, notre envoyée spéciale." Avant la présidentielle de 2007, il avait fallu l'intervention de Ségolène Royal pour que la journaliste soit déplacée de la rubrique politique à la rubrique culturelle.
Aujourd'hui, la nouvelle première dame "réfléchit" à poursuivre son métier en suggérant quelle pourrait réaliser des "interviews de personnalités étrangères".
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