lundi 21 mai 2012
Pourquoi lâcher Athènes serait une faute politique majeure
Tout
à leur hâte de se débarrasser du mouton noir, les partisans chaque jour
plus nombreux d'une sortie de la Grèce ne semblent cependant pas
mesurer les conséquences d'une telle décision. Sur le plan économique,
la zone euro est peut-être en meilleure situation qu'il y a un ou deux
ans pour absorber un choc de cette nature. Encore que cela ne saute pas
aux yeux. Les banques, qui étaient en première ligne, se sont délestées
de la plus grande partie de leurs obligations grecques et ont été
recapitalisées. Elles ne détiennent plus que 27 % de la dette grecque
(au lieu de 61 % en 2011), mais cela représente encore 70 milliards
d'euros. Le Fonds européen de stabilité (FESF) mis en place dès la
mi-2010 est en outre censé secourir les Etats les plus fragiles contre
un effet de contagion venu de Grèce. Mais les risques de contagion sont
toujours présents et une faillite suivie d'une sortie de la Grèce de
l'euro mettraient les créanciers publics - BCE, Etats, FESF -qui ont
racheté l'essentiel de la dette grecque à rude épreuve. Les économistes
évaluent aujourd'hui le coût d'un « Grexit » à 77 milliards d'euros pour
l'Allemagne et à 66 milliards pour le seul Etat français.
Rien n'est donc plus aléatoire que le scénario d'une sortie « gérable » de la Grèce auquel certains veulent croire.
Mais
c'est sur le plan politique qu'une telle amputation de la zone euro
aurait les conséquences les plus dévastatrices. Car l'Union européenne
s'apprête ni plus ni moins à abandonner l'un des siens. La Grèce hors de
la zone euro, c'est 50 % de sa richesse qui s'effondre et une dette
extérieure qui explose. Ce sont deux ou trois générations sacrifiées sur
l'autel de l'intransigeance voire de l'idéologie de quelques-uns en
Europe. Qui osera mettre l'Europe en situation de non-assistance à pays
en danger ? Au nom de quoi pousserait-on ainsi un Etat en grande
difficulté hors du club européen ? Parce que les intérêts économiques et
financiers à court terme de ses partenaires sont mis à mal ? Et quelle
en serait la justification économique : l'incapacité d'un pays en pleine
dépression à rembourser ses dettes ? Sa difficulté à sortir d'une crise
que ses partenaires ont en partie contribué à créer puis à aggraver ?
La toute-puissance d'une Allemagne riche et prospère qui condamnerait
par ses diktats ses vassaux les moins accommodants ?
Il
ne s'agit pas de nier les fautes grecques ni de passer l'éponge sur la
responsabilité d'une classe politique inconséquente. Mais de faire
honnêtement la part des responsabilités. Qui a fait entrer la Grèce dans
la zone euro alors que sa dette était, contrairement aux exigences de
Maastricht, supérieure à 100 % du PIB ? Ce ne sont certes pas Nicolas
Sarkozy ni Angela Merkel, comme aimait à le dire l'ex-président
français. Mais leurs prédécesseurs - Jacques Chirac et Lionel Jospin
côté français, Gerhard Schröder coté allemand -ne les lient-ils pas ?
Qui a fermé les yeux pendant toutes ces années sur les comptes publics
douteux de la Grèce ? Qui a refusé la proposition de la Commission
européenne de donner un rôle d'inspection accru à l'office des
statistiques Eurostat, l'empêchant de mettre le nez dans les finances
publiques grecques ? L'Allemagne. Qui a profité durant les années 2000
du formidable appel d'air provoqué par les taux d'intérêt historiquement
bas autorisés par l'avènement de l'euro, exportant en Grèce biens de
production, bien de consommation et armements ? Qui a imposé à ce pays
un plan de rigueur d'une dureté que nombre d'économistes ont tout de
suite jugé intenable ? Qui, surtout, a échoué à accompagner la création
de la monnaie unique de règles de surveillance et d'une discipline
budgétaire commune et qui ont été les premiers à piétiner les règles du
pacte de stabilité en 2004 ?
Paris et
Berlin, le couple initiateur et moteur de la zone euro, portent une
responsabilité historique dans la situation actuelle de la Grèce. Non
seulement il leur sera très difficile d'assister, sans honte, à la
dérive économique et sociale de ce pays s'il quitte l'euro. Mais que
restera-t-il de la zone euro et de l'Union européenne si le contrat de
solidarité inhérent à l'appartenance à l'Union européenne est ainsi
bafoué ? Le ver sera entré dans le fruit et la confiance immanquablement
ébranlée. Les gouvernements de la zone euro auront tout simplement
apporté la preuve que l'expérience unique au monde qu'ils avaient
ardemment souhaitée est un échec. Et ce sera sans doute alors le début
de la fin de l'euro.
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