vendredi 11 mai 2012
Pourquoi Hollande ne fera pas de grosse différence pour l’Europe
Disons-le crûment : si vous pensez encore
que la victoire de François Hollande puisse changer la moindre petite
chose à cette écrasante crise de la dette européenne, vous vous bercez
d’illusions. Si les événements de ces trois dernières années nous ont
bien appris quelque chose, c’est que les politiciens ne dirigent pas
l’Europe… Contrairement aux marchés financiers. C’était déjà comme ça
lorsque Mittérand est arrivé au pouvoir il y a trente ans, et c’est
encore plus scandaleusement vrai aujourd’hui.
Plus important encore pour l’avenir du
continent : l’inévitable banqueroute de la Grèce. Car la nature de
l’Union européenne ne changera pas au travers de timides réformes. Il
faut imposer des mesures institutionnelles radicales en réponse au chaos
social qui règne. Hollande a bien promis de renégocier le Pacte de
croissance et de stabilité de l’Eurozone. Mais seul un défaut de
paiement à part entière de la Grèce nous permettra de voir l’émergence
d’une véritable alternative à l’austérité.
C’est pourquoi, même si la Grèce et la
France vont aux urnes aujourd’hui, je refuse de lire les news. Pas parce
que je me fous de la politique – j’en ai fait un objet d’étude durant
presque toute ma vie – mais parce que je ne pense pas que l’issue de ces
élections aura beaucoup d’incidence sur l’avenir de notre continent.
Certes, le résultat pourra être un bon indicateur de la température
sociale et de la résistance croissante contre les politiques
d’austérité. Mais dans les grandes lignes, ce ne sont de toute façon ni
Hollande ni Sarkozy qui tirent les ficelles, ce sont les puissants
investisseurs institutionnels.
Avant que je ne sois accusé d’apathie
politique, laissez-moi préciser que je ne suis ni misanthrope ni
déterministe sur l’avenir de l’Europe. Le futur doit encore être écrit.
Et la résistance populaire contre les mesures d’austérité sera cruciale
pour extirper les dynamiques hors de l’assaut néolibéral contre
l’Etat-providence et les principes démocratiques. Mais aujourd’hui, au
21ème siècle, les batailles décisives pour l’avenir de
l’humanité ne se tiennent plus dans les parlements et les ministères
mais bien dans les Bourses et dans les rues.
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles
l’élection du candidat socialiste n’aura pas de gros impact sur l’avenir
de la crise de la dette de l’Eurozone. Tout d’abord, les banques
françaises détiennent encore la majorité de la dette grecque. Elles vont
donc exercer d’énormes pressions sur Hollande pour qu’il ne renégocie
pas le pacte d’austérité – et elles vont réussir. Deuxièmement,
l’Allemagne, la puissance hégémonique incontestée d’Europe, fera la même
chose – et là aussi, ils y arriveront. Même si des concessions
orwelliennes pourront être faites, comme mettre l’accent sur
« l’investissement et la croissance », les données institutionnelles de
la crise Eurozone resteront les mêmes.
La seule chose que ces élections
pourraient changer, c’est la perception populaire du système. En parlant
de croissance, de jobs et d’investissement, Hollande pourrait – tout
comme le président Kirchner en Argentine avant lui – aider à nourrir
l’illusion que les maladies du système capitaliste peuvent être
contenues par un changement de politique. Comme l’économiste
néo-keynésien Paul Krugman l’a si simplement dit dans le New York Review of Books : « La
vérité, c’est que la reprise pourrait être atteinte tellement
facilement que c’en est ridicule : tout ce que nous avons besoin, c’est
le contraire des politiques d’austérité menées ces deux dernières années
et temporairement booster les dépenses. »
Manifestement, les choses ne sont pas
tellement faciles que c’en est ridicule, quoiqu’en disent Krugman ou
Hollande. Au final, la vérité sur les problèmes de l’Europe c’est qu’ils
sont structurels. La crise n’est pas le résultat de « mauvaises »
politiques. Elle ne pourrait donc pas être résolue par de « bonnes »
politiques. Finalement, la crise est une conséquence logique du
capitalisme financiarisé de l’ère néolibéral combiné à un cadre
institutionnel dysfonctionnel. Ce cadre cherche désespérément à
équilibrer une intégration économique profonde au niveau européen avec
ce qu’il reste d’institutions représentatives archaïques au niveau
national.
La crise de la dette Eurozone découle des
contradictions internes du capitalisme mondial : la stagnation des
salaires a alimenté un excédent de capital qui devait être recyclé par
les institutions financières. Celles-ci ont alors acheté des actifs
apparemment rentables mais qui se sont avérés improductifs, comme les
emprunts espagnols ou irlandais, ou les obligations grecques,
portugaises et italiennes. Pour résoudre les problèmes de la dette, il
faudra restructurer massivement les mauvais prêts (c’est-à-dire, par un
défaut de paiement jamais vu) tout en dévaluant les devises pour la
périphérie en crise (c’est-à-dire une sortie de l’euro).
Hollande n’a rien proposé de la sorte –
et ce n’est pas une surprise en soi. Les sociaux-démocrates ne sont pas
connus pour leur bravoure radicale, et la démocratie représentative en
tant que telle n’a jamais été désignée pour produire des solutions
radicales aux crises structurelles. Une question plus existentielle
donc : les Etats-nations peuvent-ils faire quelque chose pour commencer à
gouverner les marchés mondiaux ? A cet égard, le slogan de campagne de
Hollande, « le changement c’est maintenant », sonne aussi creux que
celui d’Obama, « le changement dans lequel vous pouvez croire ».
Les élections en Grèce sont seulement
marginalement plus intéressantes ; pas parce que les politiciens grecs
peuvent prétendre avoir une quelconque forme d’autonomie (tel qu’il est,
le gouvernement grec dépend totalement de ses créanciers étrangers pour
payer ses fonctionnaires). Non, ce qui est intéressant, comme Costas
Douzinas l’a récemment indiqué : « C’est la première fois qu’il y a la possibilité de voir émerger un gouvernement de gauche radicale en Europe. »
Mais une telle coalition de gauche a peu de chance de se former, et la
formation du prochain gouvernement sera probablement embourbée dans le
chaos.
Les élections d’aujourd’hui en Grèce ne
déboucheront probablement pas sur une majorité absolue ni sur la
formation d’une coalition claire. Ca veut dire que le pays pourrait
devenir littéralement ingouvernable. Un gouvernement technocratique
pourrait être appelé à la rescousse par le président, mais on pourrait
sérieusement se demander comment un tel gouvernement parviendra à porter
efficacement les mesures d’austérité – en particulier face à une
résistance populaire qui ne désemplit pas les rues. Ironie du sort donc,
le seul espoir de l’Europe pour une véritable alternative dépend de la
possibilité très réelle que la Grèce, ce maillon essentiel de la chaîne,
puisse simplement plonger dans le chaos.
A ce moment-là, un défaut de paiement de
la Grèce et une sortie de l’euro pourraient enfin forcer à adopter le
type de changement institutionnel que les leaders anti-austérité comme
Hollande craignent de proposer aujourd’hui. Malheureusement, il semble
que, en cette époque de rêves brisés, nos représentants politiques ne
gouvernent que par leur incapacité à gouverner.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire