mardi 22 mai 2012
Mineurs récidivistes : peut-on vraiment accepter de laisser sans solution des parents noyés et des magistrats mal outillés ?
Christiane Taubira veut revenir sur le
traitement des mineurs récidivistes par les tribunaux correctionnels
sans pour autant proposer de solution alternative. Les acteurs de
terrain sont pourtant confrontés à une réalité : les jeunes entrent en
délinquance de plus en plus tôt et pour des faits de plus en plus
graves.
Philippe Sévère : Il est encore beaucoup trop tôt pour dire si cette loi a servi à quelque chose. Elle n’est applicable que depuis le 1er janvier 2012. Les premiers procès la mettant en œuvre ont eu lieu en avril 2012. Nous n’avons aucun recul pour la critiquer.
Ce matin, sur RMC, je relevais que
le retour sur cette loi que propose madame Taubira semble ne pas être
motivé par une réflexion sérieuse. Elle ne dit pas comment elle envisage
de revenir sur ce problème. Supprimer les chambres
correctionnelles alors qu’elles viennent tout juste de voir le jour
risque de ne pas changer grand-chose : nous n’avons même pas eu le temps
d’en voir les effets.
Il faut bien distinguer le
juge du tribunal car il y a souvent des confusions : le juge pour enfant
ne prononce pas de peines de prison mais propose des mesures éducatives
tandis que le tribunal pour enfants, en matière correctionnelle,
prononce des peines d’incarcération. Il faut d’ailleurs noter que tous les quartiers pour mineurs dont nous disposons en France sont archi-pleins !
En tant qu’ancien policier, j’ai dirigé des travaux sur la délinquance des mineurs et l’aggravation de leurs actes à Paris 8. Ce
qu’attendent les policiers aussi bien que les magistrats, c’est qu’on
leur propose une solution pour faire face à cette réalité. Au
final, que l’on propose de la correctionnelle ou autre chose,
paradoxalement, on s’en moque. Mais il faut proposer quelque chose !
Dans
ce domaine, on a beaucoup joué au jeu des chaises musicales. Il n’y a
pas eu de politique pénale clairement annoncée. On a renforcé telle ou
telle mesure tandis que l’on a cherché à renforcer les moyens des
éducateurs de rue en déployant des travailleurs sociaux formés et
professionnels. Je comprends la démarche de Christine Taubira qui voit
dans cette loi une énième mesure sans effet. Mais c’est aussi son rôle que de définir une politique pénale vis-à-vis des mineurs. Or c’est un chantier monumental.
On s’est aperçu que les jeunes entrent en délinquance beaucoup plus jeunes qu’avant, entre 8 et 10 ans.
Ils sont beaucoup utilisés pour surveiller les secteurs dans les
affaires de trafics de drogue qui leur donne de l’argent en quantité
démesurée. Ce sont des esprits malléables.
La
solution peut-être de s’en prendre aux parents : ils sont censés être
responsables de ce que font leurs enfants. Cependant, il faut bien voir
au cas par cas. Il y a bien des situations où la famille est totalement
déliquescente et se moque de ce qu’il advient de son enfant. Dans ce
cas, on peut bien prendre des mesures de rétorsions et placer les
enfants. Mais que proposer à la pauvre femme qui a trois gosses à
nourrir et qui travaille comme un animal ?! Elle ne parvient pas à voir
s’ils sont dans la rue ou non. J’ai pu voir des infirmières qui
travaillaient toute la nuit. Elles ne savaient pas si leurs mômes
étaient dehors. Souvent, ils étaient dans mon commissariat. Les mères,
désespérées, nous demandent de les garder. Il faut quasiment
traiter au cas par cas des situations familiales avec des parents qui
sont, passez-moi l’expression, dans une merde noire. Dire qu’ils n’ont
qu’à s’occuper de leurs enfants, c’est facile. Mais la réalité est
complexe et on ne peut pas se contenter d’un jugement de valeur
généralisé.
Le service de police qui va
intervenir et le service judiciaire qui doit régler le problème arrivent
en fin de chaîne. L’échec de tout le reste de la chaîne, éducatif et
familial, est déjà consommé. Il faut évidemment investir dans tous les
services socio-éducatifs. On constate souvent que la plupart de
ces jeunes sont originaires de milieux défaillants : ce déséquilibre est
un facteur criminogène dès le premier âge. Si l’on veut qu’un arbre pousse droit, il lui faut un tuteur. S’il a poussé tordu, il restera tordu.
Quelles
solutions faut-il mettre en œuvre ? Cela passe déjà par des
investissements financiers : il faut du matériel et du personnel
compétent. C’est pour cela que j’ai parlé d’angélisme. Le mot est
utilisé de manière provocatrice mais il a son sens. Que l’on soit de
gauche ou de droite, je ne vois pas pourquoi on ne trouverait pas de
solution si la situation est parfaitement analysée. Encore faut-il
qu’elle le soit.
Pour
les magistrats du tribunal pour enfants, c’était une charge
supplémentaire. Or aujourd’hui, nous avons un manque chronique de
magistrats. Tel que je le perçois, si vous avez un manque de magistrat
et qu’ils doivent siéger en correctionnelle, ils ne peuvent pas être
dans leurs bureaux en train de prendre en compte les dossiers concernant
des mineurs.
Les policiers, eux, n’ont jamais vu
la différence : les premiers jugements datent du mois dernier. Et puis
qu’est-ce qu’on en attend ? On a tendance à considérer que les
juridictions en charge des mineurs sont laxistes. Mais il y a déjà
beaucoup de mineurs en détention. Est-ce que les magistrats en ont
condamné plus ? Je ne sais pas. Est-ce que l’incarcération apporte
quelque chose ? Je ne sais pas.
Les
mineurs qui multiplient les passages par le circuit carcéral ont
tendance à être déjà vérolés. Ils enchaînent les condamnations et les
libérations. J’ai tendance à penser qu’il faut prendre le
problème comme il est : nous avons des mineurs qui, à 15 ans, sont déjà
de parfaits criminels. Pour l’instant, il faut bien traiter le sujet sur
le plan judiciaire. Mais il faut aussi investir beaucoup plus
sur l’avenir, sur le traitement en amont de ces enfants qui commencent à
dévier très tôt, dès que les instituteurs signalent des comportements à
risque. Entre les enseignants et les flics, il faut des
travailleurs sociaux chargés de repérer et d'aider très tôt ces jeunes
pour traiter le problème à la source : le moment où ils tombent en
délinquance.
TAUBIRA ! CELLE QUI A ASSOCIÉ SON NOM À LA LOI DE 2001 SUR LA TRAITE NÉGRIÈRE -D'UNE TRÈS HAUTE UTILITÉ ET URGENCE DE NOS JOURS- C'EST FRANCHEMENT SE FOUTRE DE NOUS.
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