vendredi 25 mai 2012
Les banques allemandes font-elles de l’économie ou de la politique ?
La Deutsche Bank a repris le 21 mai une
proposition émise par Citigroup en septembre 2011 évoquant la création
d’une double monnaie en Grèce. Il s’agirait de conserver l’euro comme
devise pour les échanges commerciaux et la dette, et le « geuro » comme
monnaie intérieure. Citigroup, Deutsch Bank et la Bundesbank
cherchent-elles à défendre leurs propres intérêts en devenant de plus en
plus agressives, voire fantaisistes, dans leurs propositions pour
sortir de la crise grecque ?
Ludovic Subran
: La Deutsche Bank et Citigroup ne sont pas les seules à évoquer cette
proposition puisque la Bundesbank devient elle aussi extrêmement
agressive sur la question grecque ainsi que le gouverneur de la banque
centrale polonaise qui a lui aussi repris cette idée. Cependant, il faut bien comprendre que la création de deux monnaies distinctes pour la Grèce est une hérésie totale.
En effet, ces derniers temps ont été marqués par un regain d’inquiétude
autour de la situation économique dans la péninsule hellénique, la
plupart des grands groupes internationaux ayant mis en place des plans
de contingence afin d’anticiper une sortie de la Grèce si tel est le
cas.
Certains pays ont déjà adopté un système de
double monnaie que se soit Cuba, le Zimbabwe ou d’autres pays d’Amérique
latine. Un tel système aurait pour conséquence une considérable
paupérisation de la population grecque qui, payée en drachme, ne
pourrait même plus voyager en dehors de ses frontières. Cette
dévaluation « cachée » aurait donc un coût en termes de niveau de vie
qui déboucherait aussi sur un creusement des inégalités. Ainsi, les
entreprises de petites ou moyennes tailles seraient dans l’incapacité
d’acheter des produits importés ou de payer leurs traites à
l’international. Les ménages les plus pauvres devraient quant à eux se
priver de produits étrangers et ne consommer que des biens et services
domestiques. De plus, cela signifierait que la Grèce devrait
rembourser sa dette dans une monnaie nettement plus surévaluée que la
devise dans laquelle elle crée de la valeur... Hors, la Grèce n’est pas
isolée, elle est parfaitement connectée au reste de l’Europe.
Nous
assistons à une bipolarisation de l’analyse économique portant sur le
cas grec entre d’un côté les partisans d’une intransigeance, de l’autre
ceux qui sont favorables à un assouplissement. Les banques et
les personnalités politiques allemandes essaient de démontrer à ses
partenaires qu’il est tout à fait possible d’adopter une politique
d’austérité tout en obtenant de la croissance. Cela peut paraître
totalement antinomique mais les Allemands sont pourtant parvenus à
obtenir de la compétitivité tout en maitrisant leurs finances publiques.
Mais tous les pays ne peuvent pas parvenir à ces résultats pour deux
raisons : l’Allemagne réalise du surplus commerciale - ce qui est
impossible pour l’ensemble des pays européens dans la mesure où ce que
certains vendent représente ce que d’autres achète - et le coût du
travail qui y est beaucoup plus faible que dans d’autres pays comme la
France, notamment du fait de l’absence de salaire minimum et de charges
sociales bien plus faibles.
Ces
banques souhaitent avant tout contribuer au débat public en proposant
des solutions qui s’inscrivent dans un cadre purement économique. En
effet, nous constatons à l’heure actuelle un grand manque de
solutions et d’innovations quant à la résolution de la crise grecque. Il
y a donc des phases d’expérimentations mais il ne faut pas toutes les
prendre toutes au sérieux. Il faut donc s’inquiéter de voir de
telles notes de recherche issues de grandes banques devenir des
solutions politiques publiques car elles reflètent le vide d’idées pour
arriver à une résolution de la situation.
Ceux qui
se prononcent en faveur d’un système de double monnaie ont un intérêt
évident dans sa mise en place car un retour total – et non partiel - au
drachme se traduirait par des pertes pour les institutions financières
détentrices d’actifs grecs puisque cette monnaie serait sous
sous-évaluée par rapport à l’euro. En effet, une dévaluation du drachme
de 50% à 60% par rapport à l’euro pourrait avoir de sérieuses
conséquences pour des pays comme l’Allemagne ou la France, deux Etats
exposés respectivement à hauteur de 90 milliards d’euros et 60 milliards
d’euros. Ainsi, toute institution ayant une exposition
relativement substantielle à la dette grecque ne se prononce pas en
faveur d’une redénomination d’urgence au drachme puisque cela se
traduirait à la fois par des pertes mais également par des risques,
notamment en termes de capitaux. A l’inverse, un système de double devise permettrait aux créanciers privés de conserver leurs actifs grecs en euro...
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