"Nous ne pouvons forcer personne [à rester au sein de la zone euro]." Vendredi 11 mai, le ministre des Finances allemand a adressé un message très clair à la Grèce, après les élections législatives du 6 mai où les partis anti-austérité ont réalisé de bons scores. Dans un entretien au quotidien Rheinische Post, Wolfgang Schäuble a estimé que la zone euro pouvait supporter une sortie de la Grèce. Athènes va-t-elle abandonner la monnaie unique ? Quelles en seraient les conséquences ? FTVi a posé la question à des économistes.
• Une hypothèse qui se rapproche
En
votant majoritairement pour des partis qui refusent l'austérité, les
Grecs ont remis sur la table la question de leur maintien dans la zone
euro. "Comme la population grecque n’accepte pas cette cure
d'austérité et que pour la zone euro, cette cure n’est pas négociable,
il y a à l’évidence un problème", résume Jacques Sapir. L'économiste et directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) juge la sortie de la zone euro "extrêmement probable" et prophétise qu'"elle sera effective cet automne ou cet hiver". Il estime qu'"une sortie de la zone euro accompagnée d’une dévaluation très importante est ce qu’il faut pour que la Grèce retrouve sa compétitivité".
Céline Antonin n'est pas la seule à compter sur un nouveau scrutin. Economiste à la BNP, Thibault Mercier estime qu'"il y a des marges de manœuvre pour un résultat différent". "Les sondages montrent qu’une immense majorité de Grecs (de 70 à 75%) est favorable au maintien du pays dans la zone euro, explique l'économiste. Espérons que les responsables politiques grecs pro-européens puissent faire du deuxième scrutin éventuel un référendum pour le maintien ou non de la Grèce dans la zone euro."
• Les conséquences pour la Grèce
En sortant de la zone euro, Athènes pourrait faire défaut et cesser de rembourser ses dettes. Le pays aurait également la possibilité de dévaluer sa monnaie et donc de retrouver de la compétitivité avec des produits moins chers et un coût du travail plus faible. Pour Jacques Sapir, c'est en effet la surévaluation de l'euro, notamment par rapport au dollar, qui a handicapé l'économie grecque ces dernières années.
Autre avantage selon l'économiste de l'EHESS, Athènes reprendrait le contrôle de sa Banque centrale, qui pourrait alors financer sa dette et son déficit. "Cela allégera de manière considérable le poids de la dette grecque", estime Jacques Sapir. Il souligne que la Grèce pourrait se financer à des taux "bien plus avantageux" auprès de sa Banque centrale qu'auprès du Fonds européen de stabilité financière (FESF).
Céline Antonin n'est pas de cet avis. "En plus du lourd tribut à payer que l'on voit à l'heure actuelle, il y aurait l'inflation, les faillites et la panique bancaire", prévient l'économiste. Elle assure que l'inflation qui accompagnerait l'émission d'une nouvelle monnaie atténuerait les gains de compétitivité.
Les dettes privées et publiques, libellées en euros, s'alourdiraient. "Cela se traduirait au niveau des entreprises par des faillites, ou, pour éviter ces faillites, elles pratiqueraient des baisses de salaire ou augmenteraient les prix, développe-t-elle. Ce ne serait pas forcément plus salutaire pour les ménages." En cas de dévaluation, ces derniers pourraient prendre peur et retirer leurs économies des banques, provoquant une panique et la faillite des établissements bancaires.
Enfin, si la Grèce faisait défaut, elle ne pourrait plus emprunter auprès des marchés. Son déficit de 9% l'obligerait alors à rééquilibrer ses comptes. "Ce serait autre chose qu'un retour progressif à l'équilibre budgétaire [comme prévu par le plan d'aide], avec la suppression d'un certain nombre de fonctionnaires", explique Céline Antonin. "Avec le plan d'aide, on n'est pas sûr que la Grèce soit sauvée, sans, on est sûr qu’elle est dans la tourmente", résume l'économiste de l'OFCE.
• Le risque d'une contagion à d'autres membres de la zone euro
Après deux ans de crise, les pays membres de la zone euro et leurs banques ont eu le loisir de se préparer à l'éventualité d'une sortie de la Grèce. "Il y aurait moins de conséquences aujourd'hui" qu'au début de la crise, reconnaît Céline Antonin. "Les banques de la zone euro ont eu le temps de se délester de certains titres et de passer des provisions", poursuit-elle. Les pertes seraient donc faibles.
Le danger est ailleurs. Si la Grèce quitte l'Eurogroupe, "il y aurait un précédent, et ce précédent pourrait influer de manière extrêmement négative sur l'attitude des prêteurs", explique Jacques Sapir. Le Portugal, l'Italie et l'Espagne, en difficulté eux aussi, risquent d'avoir du mal à emprunter sur les marchés et de voir les taux d'emprunt grimper. En effet, les investisseurs pourraient craindre de les voir imiter la Grèce et de n'être jamais remboursés. "C'est un jeu de dominos, on est tous imbriqués", résume Céline Antonin. "C'est bien à cause de ce risque de contagion que les pays de la zone euro veulent que la Grèce reste", juge Jacques Sapir.
Jusqu'à nouvel ordre, les textes européens ne prévoient tout simplement pas la sortie d'un pays de la zone euro. Ce vide juridique, ajouté aux efforts financiers déjà consentis par l'Eurogroupe pour sauver la Grèce, font pencher la balance en faveur d'un maintien du pays dans la zone euro. "Rien n'est prévu par les textes, mais ça va se faire quand même", prédit Jacques Sapir. Réponse dans quelques mois.*
Refus de Syriza
Cette dernière formation, arrivée deuxième lors du scrutin du 6 mai et donnée en tête en cas de nouvelles élections, a refusé toute entrée dans un gouvernement poursuivant les mesures d’austérité prévues dans le mémorandum signé avec l’Union européenne. « Je veux insister sur le fait que ce n’est ni moi, ni Syriza qui refuse une telle coalition, mais le peuple grec », a affirmé le président de Syriza Alexis Tsipras. Et d ‘ajouter : « le peuple grec a rejeté le mémorandum. Aucun gouvernement n’a le droit de l’appliquer ».
Troisième échec
Ce refus de Syriza a automatiquement entraîné celui de Dimar. Ne voulant pas se retrouver comme force d’appoint à une coalition d’austérité, ce parti issu de Syriza avait en effet affirmé qu’il n’entrerait pas seul dans une coalition avec le Pasok et la ND. Dès lors, Evangelios Venizelos ne pouvait vendredi soir que reconnaître son échec. C’était ainsi l’échec de la troisième tentative de formation d’un gouvernement depuis les élections. Dès lundi, Antonis Samaras, le président de la Nouvelle démocratie avait jeté l’éponge. Mercredi, Alexis Tsipras avait suivi. Comme le prévoit la constitution, le président était alors tenu de nommer le chef du parti arrivé en troisième position, le Pasok pour une nouvelle tentative.
Situation bloquée
Désormais, Karolos Papoulias va tenter de trouver une solution. On voit mal comment il pourrait y parvenir. A droite, le parti néo-nazi de l’Aube Dorée est absolument infréquentable. La scission de la ND, les « Grecs Indépendants » ne sont pas loin de l’être et réclament un rejet du mémorandum. Le parti communiste KKE refuse toute coalition et preuve a été faite cette semaine que Syriza ne veut pas s’allier avec le Pasok et la ND. Seul espoir de Karolos Papoulias, bien mince cependant : faire encore bouger Dimar, le parti le plus modéré de l’extrême-gauche grecque. Du reste, vendredi, Alexis Tsipras a appelé Dimar à ne pas céder aux sirènes d’une coalition pro-mémorandum.
Gouvernement de transition
Si, comme c’est hautement probable désormais, Karolos Papoulias échoue dans ses tractations, il devra, sans doute lundi, convoquer de nouvelles élections. On évoque de plus en plus à Athènes les dates du 10 ou du 17 juin. En attendant, la constitution interdit cependant la poursuite du gouvernement actuel. Lukas Papademos devra donc démissionner et un gouvernement de transition devra être nommé. Le président devra alors choisir pour le diriger une de ses trois personnalités : le président de la cour suprême, du conseil d’Etat ou de la cour des comptes. Voilà qui ne devrait pas rassurer les marchés et les partenaires européens de la Grèce
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire