dimanche 22 avril 2012
Radioscopie des choix de vote : plongée dans le cerveau des électeurs
La loi française interdit la
publication de résultats ou de sondages avant 20h pour la
présidentielle. L'une des raisons invoquée tient à l'influence que ces
résultats pourraient avoir sur le vote des électeurs. Pourtant, il y a
bien d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte à l'heure de
mettre son bulletin dans l'urne...
Christophe Prochasson :
Il me semble tout d’abord que la publication de sondages avant l’heure
ne peut influencer les votes qu’à la marge. Le rapport de forces global
étant ce qu’il est, il ne me semble pas que des publications de
résultats puissent modifier profondément le sens du vote. Elles peuvent
réduire des écarts, mais très faiblement. Donc je ne comprends pas très
bien le sens de cet énervement contre ces publications. Par
ailleurs, je note que quelques "happy few", qui sont parfois plusieurs
milliers, disposent non pas des résultats mais d’une fourchette assez
réaliste, proche de ce qui sera affiché à 20 heures. Cela peut
faire beaucoup de monde. Je me souviens que lorsque j’étais militant
socialiste on connaissait très bien le résultat dès 18 heures. Je crois
que c’est vraiment un faux problème.
Pour
répondre à votre question, effectivement Internet ou Twitter ne
constituent que des éléments d’influence parmi tant d’autres. On assiste
en vérité à une multiplication des sources d’influence. Pour ce qui est de la façon dont un vote se forme, le facteur d’influence le plus évident reste la famille.
C’est à l’intérieur de la famille que se fait la transmission des
idées, et donc les choix politiques fondamentaux. Il peut y avoir des
nuances au sein des familles, mais les ruptures sont quand même des
phénomènes minoritaires. Les enfants votent comme leurs parents, très
majoritairement. Ils passent rarement à droite lorsque leurs parents
sont à gauche. La première détermination est là.
D’autres facteurs jouent, mais il est difficile de déterminer s’il s’agit d’influence ou de déterminations culturelles. L’appartenance religieuse par exemple est une source de clivage forte.
La pratique de la religion catholique, par exemple, oriente le vote
beaucoup plus que l’appartenance à un milieu social. Le milieu
professionnel vient bien après ces deux déterminants là.
Ce
que les sciences sociales montrent aujourd’hui, c’est que l’indexation
du politique sur le social est à manier avec des pincettes. Nous savons
très bien par exemple qu’appartenir au milieu ouvrier ne détermine pas
un vote à gauche, par exemple. Ni d’ailleurs à droite. Les catégories
sociales ne suffisent plus - si tant est qu’elles l’aient déjà fait - à
déterminer un vote.
Il y a certes une photographie générale, c’est-à-dire que certains milieux votent plus à gauche qu’à droite. Mais les déterminants culturels, la religion, l’appartenance régionale, les goûts culturels, interviennent tout autant.
L’appartenance sociale au sens strict du terme, qui voudrait que l’on
vote en fonction de son niveau de salaire, ou que les salariés votent
forcément plus à gauche que les professions indépendantes ne constitue
pas une explication raisonnable.
C’est la
vieille explication du grand politologue André Siegfried, qui disait
que « le calcaire votait à gauche et le granit à droite ». Il indexait
le politique non pas sur le social mais sur le géographique.
A
son époque, les régions à forte concentration de granit, comme la
Bretagne, ou le Massif Central étaient des régions rurales qui votaient
davantage à droite qu’à gauche, c’est-à-dire moins républicain. Au
contraire, des régions comme la Provence ou le Sud de la France, ou les
bordures méridionales du Massif Central, ou des régions de bassins
sédimentaires comme le Nord votaient plutôt à gauche. Ces régions là
étaient plutôt calcaires.
Il
expliquait cela d’une façon géographique avec un fondement sociologique :
selon lui, le calcaire favorisait un habitat dispersé en raison de la
multiplicité des sources d’eau. Donc les habitats étaient des petits
hameaux ou des fermes isolées, qui encourageaient plutôt à
l’individualisme, et au vote à droite. A l’inverse, des régions
calcaires, où les sources d’eau sont plus localisées, entrainent un
regroupement de l’habitat, et des pratiques villageoises plus
collectives, qui encourageaient davantage à des valeurs dites de gauche.
Evidemment,
c’est une donnée importante que de s’interroger sur le niveau d’études
des électeurs. D’ailleurs, il y a un argument qui n’est pas totalement
démontré mais qui peut être avancé par les hommes politiques, notamment à
gauche : plus vous êtes cultivé, plus vous avez les moyens de la
critique, plus vous êtes porté à voter contre le gouvernement, à vous
situer davantage dans l’opposition. Les plus cultivés seraient ainsi
censés être moins susceptibles d’entendre les messages politiques de
façon passive.
Imaginons
par exemple une élection sans aucun sondage. On ne saurait pas qui a le
vent en poupe aujourd’hui, de Nicolas Sarkozy, François Hollande,
Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon. On se fierait essentiellement à
notre intuition et notre vécu. Cela favoriserait peut-être Mélenchon,
avec ses meetings remplis.
Donc
certes, les sondages ont leurs fragilités. Mais en général ce qu’ils
anticipent est peu démenti. Ils ont bien une influence sur le vote.
Les médias aussi, ils ont un effet. Reste à savoir lequel. Et cela, personne ne peut le dire
D’autant
plus que, nous sommes en démocratie et on peut penser que les médias se
neutralisent les uns les autres. Ce qui est certain, c’est qu’ils
mettent en avant des questions, des problèmes. Mais on ne sait pas si
les réponses que les uns et les autres apportent influencent ceux qui
les entendent dans le sens souhaité, ou si au contraire les tentatives
d’influences ne sont pas contre-productives.
C'est
encore faire un faux procès que de s’en prendre aux medias. J’ai lu une
déclaration invraisemblable du directeur de campagne de Jean-Luc
Mélenchon, François Delapierre, qui a dit que si Marine Le Pen semblait
en progression, c’était à cause des medias, parce que les medias
jouaient la carte de Marine Le Pen. C’est une acrobatie intellectuelle
qui me dépasse un peu. Je ne vois pas en quoi on peut dire que les
medias font la campagne de Marine Le Pen.
Il
y a ce qu’on appelle des cognitivistes, des gens qui pensent que tous
les phénomènes sociaux, au fond, ne sont que des productions de nos
cervelles, et que nous sommes soumis à des logiques purement
physiologiques, en l’occurrence liées à la conformation de notre
cerveau. Je pense bien sûr qu’il doit y avoir un rôle de notre
cerveau dans le vote, mais nous sommes tellement des êtres sociaux que
ce sont d’abord des logiques sociales qui nous commandent.
Nous
ne sommes pas déterminés par une seule cause. Il y a de multiples
causes sociales au sens large, qui comprennent des phénomènes
politiques, culturels, géographiques, peut-être même comme le pensait
Montesquieu climatiques, qui interviennent sur nos choix politiques. En
aucun cas elles ne peuvent se réduire à l’excitation particulière d’une
partie de notre cerveau. Un tel déterminisme est contredit par
l’expérience sociale elle-même.
Je
suis tout à fait hostile à toute espèce de déterminisme, qu’il soit
providentialiste ou marxiste. Ces phénomènes sont extraordinairement
complexes et pour comprendre un choix il faut faire intervenir
de multiples phénomènes. C’est la raison pour laquelle il est difficile
d’anticiper les choix.
Les
récentes études américaines et britanniques proposant une approche
cognitive de la politique par étude des réactions du cerveau attestent
surtout une approche très naïve et très abstraite de la politique.
D'abord parce qu'elles supposent une stabilité des identités politiques,
ensuite parce qu'elles s'appuient sur une définition de celles-ci
reposant sur la base de schémas extrêmement sommaires. En France, par
exemple, le clivage "conservateurs"/"libéraux" ne fonctionne pas. Les
identités politiques sont toujours situées, localisées dans des
contextes nationaux, voire locaux, et ne sont donc pas toujours
généralisables. Bref, c'est une approche qui fait l'économie du social
et de l'historique et qui ne nous dit rien de nos choix politiques (qui
peuvent d'ailleurs évoluer avec le temps).
Un
socialiste d'aujourd'hui a peu de chances de parler le même langage que
Jaurès et seul Jean-Luc Mélenchon serait en mesure de prendre avec
Saint-Just un verre au bistro du coin. De même, il n'est pas certain que
les zones du cerveau activées par la vision du Général de Gaulle soient
les mêmes que celles qu'activent la vision de Nicolas Sarkozy, dont la
famille politique se prétend pourtant l'héritière.
Oui, je pense que notre loi est totalement archaïque. Elle
signifie: « Retirez-vous dans votre bulle », pour avoir un vote juste,
ne soyez soumis a rien. Ne vous fiez qu’à vous-mêmes. Mais nous naissons
dans un monde social, qui nous précède. A partir du moment où nous existons, nous sommes soumis à une influence.
Dans
plusieurs pays, ne serait-ce qu’en Angleterre, on peut faire campagne
jusqu’au jour de l’élection. Les Anglais assument les influences. Ils
vont chercher les personnes âgées pour les faire voter et cela ne gêne
personne. Pourtant, je ne crois pas que l’Angleterre soit une démocratie
plus douteuse que la nôtre.
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