En
cet après-midi du 6 avril 1972, le jeune Philippe Dewèvre, frère de
Brigitte, découvre le corps dénudé et mutilé de sa soeur de 15 ans et
demi, alors qu'il joue au foot avec ses camarades sur un terrain en
friche du quartier du « 4 », à Bruay-en-Artois, au coeur du pays
minier... Le terrain vague, jonché de détritus, est coincé entre la rue
de la Comté, le coron de la famille Dewèvre, et l'imposant parc arboré
d'une villa neuve appartenant à Monique Béghin-Mayeur, marchande de
meubles bien née. Alertés par les enfants, les policiers se ruent sur
place vers 17 h 45 et interrogent les premiers témoins.
La veille, à quelques mètres de la scène de crime, une infirmière qui
rendait visite à ses parents a repéré une 504 blanche. Énervée par le
sans-gêne qui lui a pris sa place, elle relève la plaque
d'immatriculation. Le numéro conduit sans tarder les enquêteurs jusqu'à
Pierre Leroy, notaire à Bruay. L'homme, un solide gaillard, est membre
du Rotary club. Volontiers dépeint comme quelqu'un d'assez froid, il est
surtout l'amant de Monique Mayeur depuis quelques mois... Le juge
d'instruction Henri Pascal, de service le jour de la découverte du
corps, le met sur le gril. Or Pierre Leroy peine à reconstituer son
emploi du temps du 5 avril au soir et livre cinq versions différentes au
magistrat instructeur béthunois. Ce dernier inculpe le notable sur la
foi de son « intime conviction ». Le meurtre de Brigitte Dewèvre vire à
l'affrontement entre les deux hommes... Journaux, radios, télévisions,
les rédactions parisiennes dépêchent leurs journalistes. La meute
s'empare alors de « l'affaire de Bruay-en-Artois ».
Dans un décor tiré du Germinal de Zola, les caractères
s'entrechoquent au gré d'un véritable feuilleton. Une victime ingénue,
un notaire notable, une maîtresse dont l'habitation cossue nargue le
coron, un juge d'instruction bavard, le cocktail est détonant.
Énigme
Mis au parfum et flairant le bon filon, des
militants d'extrême gauche se pressent bientôt au chevet de la ville en
colère. Les « maos » de la Gauche prolétarienne voient là une occasion
unique de guider le peuple jusqu'à la révolution quatre ans après Mai
68. Ils créent un Comité pour la vérité et la justice, soucieux
d'imposer l'idée d'un « crime de classe » que le notaire, incarnation
honnie de la bourgeoisie, doit payer coûte que coûte. Ça tombe bien, le
juge Pascal milite pour une justice plus proche des gens. Ils seront ses
alliés et nourriront son combat... Le 20 juillet 72, le « petit juge »
qui peine à amasser des preuves, est sommé par sa hiérarchie de céder le
dossier à un magistrat parisien. Le notaire est libéré. Il bénéficiera
d'un non-lieu peu après. En 1973, coup de théâtre : Jean-Pierre Flahaut,
un gamin du coron, s'accuse du meurtre. Mais stupeur, la famille
Dewèvre refuse de se porter partie civile. Jean-Pierre, passé aux aveux
en prison et chez qui les enquêteurs retrouveront pourtant les lunettes
de Brigitte, sera relaxé au bénéfice du doute en 1976... L'affaire de
Bruay-en-Artois, ou l'histoire d'un crime sans coupable, restera à
jamais une énigme.
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