TOUT EST DIT

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vendredi 27 janvier 2012

Cent jours


Ne jamais dire à l’adversaire non pas ce que l’on fera, conseillait Richard Nixon, le président des États-Unis, mais ce que l’on ne fera pas. Nicolas Sarkozy a le plus grand intérêt à maintenir aussi longtemps que possible le suspense et l’incertitude sur ce que sera sa stratégie dans le débat final.


Les médias, parce qu’ils ont hâte de voir le rideau se lever, les commentateurs politiques, pour le plaisir de le voir s’exposer, l’engagent tous à se déclarer au plus tôt. Ses concurrents savent bien qu’il sera candidat, ils ne cessent de le répéter comme s’ils avaient besoin de s’en convaincre, mais ils ne savent ni dans quelles circonstances ni comment il va se présenter. Voilà ce qui les embarrasse.


Du jour où Nicolas Sarkozy dévoilera non pas ce qu’il entend faire (gouverner jusqu’au bout) mais le jeu qu’il a – ses bonnes et ses mauvaises cartes – , le suspense prendra fin : ils se jetteront tous sur lui. Il y a déjà cinq ans qu’il subit les critiques et les sarcasmes, pourquoi en rajouter ? François Hollande est le favori de cette élection – les médias l’ont déjà élu deux fois président de la République, le soir de son succès à la primaire socialiste, le 16 octobre, et ce dimanche 22 janvier après son meeting du Bourget – mais, s’il est le favori, il n’est pas non plus à l’abri des coups. Pendant ce temps, au moins, Sarkozy est aux commandes.


Il y a vingt-quatre ans, en 1988, François Mitterrand arrivait au terme de son septennat. Mitterrand le modèle, Mitterrand l’artiste, pour reprendre le mot d’Alain Duhamel. Arrivé au pouvoir en 1981, il avait gouverné cinq ans, avait perdu toutes les élections partielles et intermédiaires ; il avait même changé le mode de scrutin pour ne pas perdre les élections législatives et les avait quand même perdues en 1986. Il avait dû confier le pouvoir à ses adversaires les plus déterminés, Jacques Chirac et les siens. En 1988, il ne gouvernait donc pas, il n’avait rien à perdre à se présenter contre eux à l’avance, à se déclarer très tôt pour les attaquer – tout en clouant le bec à ceux qui lui conseillaient de se retirer. Il fit le contraire. Il se déclara très exactement un mois avant le premier tour de la présidentielle, le 22 mars. Deux jours avant, Chirac avait rassemblé cent mille sympathisants à l’hippodrome de Vincennes quand les socialistes n’étaient que vingt mille au Bourget (déjà) en attente de leur candidat.


Que fait donc l’artiste en se déclarant si tard ? Il attaque méchamment Chirac et les gaullistes : « Je me dresse contre les partis, les groupes, les factions dont l’intolérance éclate tous les soirs », dit-il, et sur ce sectarisme et cette agressivité, il renonce au socialisme sur lequel il a été élu et se bâtit une statue de rassembleur de la “France unie” ! Grâce à quoi, il gagne. Chapeau. Quelle est la morale, si l’on peut dire, de cette histoire ? En politique, on peut tout oser, à condition de ne jamais perdre ses nerfs durant les épisodes de la bataille. Un événement chasse l’autre à une vitesse ahurissante, et c’est là qu’une stratégie arrêtée à laquelle on se tient est toujours supérieure à la course derrière l’actualité, changeante et contradictoire.


Nicolas Sarkozy bénéficie d’une situation unique : il est le président de la République et il l’est encore pour cent jours au moins – pourquoi en ferait-il le sacrifice au profit de Hollande, Bayrou, Marine Le Pen ? Ceux-ci vont tous expliquer à leurs électeurs ce qu’ils comptent faire durant les cent premiers jours de leur présidence, les décisions qu’ils prendront, les projets de loi qu’ils présenteront, les traités qu’ils renégocieront, etc. Si, si, si : s’ils sont élus, s’ils ont une majorité pour les soutenir. Sarkozy, lui, ces cent jours, il les a, et la majorité aussi : plutôt que d’en faire cadeau à la concurrence, il les utilise non pas à promettre mais à décider. Le Parlement siège encore pendant six semaines, eh bien, chaque jour de cette fin de session sera bien rempli. La suite, ce sera l’enjeu des élections.


C’était le sens du sommet “social” du 18 janvier entre le gouvernement, le patronat et les syndicats. Si Sarkozy avait été candidat déclaré, qui serait allé à l’Élysée pour une réunion soumise à l’incertitude du scrutin ? Tout le monde s’y est retrouvé, sans se lamenter, parce que chacun savait que la machine gouvernementale continuait à fonctionner et que le chef de l’État allait prendre ses responsabilités. C’est François Hollande qui est obligé de dire ce qu’il ferait – et ce qu’il ne ferait pas. Nixon donnait un autre conseil : « Agissez toujours comme si vous aviez un million de voix de retard. Ainsi, vous gagnerez peut-être avec un seul bulletin d’avance. »

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