TOUT EST DIT

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samedi 24 décembre 2011

France-Turquie : le génocide qui fâche

Le vote d’une proposition de loi réprimant la négation du génocide arménien en France a provoqué la colère d’Ankara. Si la presse française est plutôt critique vis-à-vis de cette initiative, les réactions sont moins nuancés côté turc.
Les députés français ont tranché : le 22 décembre, ils ont adopté une proposition de loi sur la négation des génocides. Votée tant par la majorité que par l’opposition de gauche, elle punit d'un an de prison et de 45 000 euros d'amende “la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi”, et vient s’ajouter à quatre autres lois dites “mémorielles”, c’est à dire déclarant le point de vue officiel d’un Etat sur un fait historique.
Le texte vise implicitement le génocide arménien, au cours duquel, en 1915-16, près d’1,2 million d’Arméniens (les deux tiers de ceux qui vivaient dans l’Empire ottoman) moururent lors des déportations et des massacres organisés par l’Etat ottoman. C’est pour cela que le texte –  qui doit encore être approuvé par le Sénat, puis à nouveau par l’Assemblée nationale – a déclenché la colère d’Ankara, qui a rappelé son ambassadeur à Paris et menacé la France de représailles commerciales et diplomatiques. La proposition de loi doit pourtant encore être approuvé par le Sénat, puis à nouveau par l’Assemblée nationale avant de pouvoir être appliquée.
Dans Le Point, le chroniqueur Pierre Beylau dénonce une manœuvre politicienne du gouvernement français à l’approche de l'élection présidentielle :
Etait-il véritablement opportun de faire émerger le vieux serpent de mer du génocide de 1915, dont personne de sérieux ne conteste la réalité ? Il s'agit bien évidemment de politique politicienne émanant d'élus où le "vote arménien" est censé être déterminant. Pour complaire à un lobby, on n'hésite pas à prendre le risque de provoquer des dégâts considérables sur le plan diplomatique et économique.
Du point de vue de la diplomatie française au Proche-Orient, "un bras de fer avec Ankara est absurde", ajoute Le Monde. Mais pour le quotidien, le problème tient avant tout à la nature même de la proposition de loi :
Logo – Le Monde, Paris
Il ne revient pas au législateur – soutenu en l'espèce par l'Elysée – de dire l'histoire. Depuis quelques années, la France officielle adore cette judiciarisation de l'Histoire. On vote des lois mémorielles, créant le délit de négationnisme. Elles ne servent à rien. Elles ne soulagent même pas la douleur de ceux qui voient leur passé (…) ignoblement réécrit aux fins d'être nié.
De son côté, le site Mediapart interprète cette querelle à la lulmière de l'histoire des deux pays, chacun ayant été dirigé par une personnalité fondatrice de la nation moderne dont les élites actuelles ont du mal à se défaire : le général de Gaulle et Mustapha Kemal.

Logo – Mediapart, Paris
La France et la Turquie souffrent, à des degrés divers, de la même pathologie nationale : l'incapacité de faire son deuil d'une grandeur passée; la tentative désespérée de s'accrocher à un sauveur suprême berçant la mère patrie d'une mythologie de fer; le refus d'inventorier l'histoire, de procéder à un tri, de reconnaître les fautes et les crimes.
Côté turc, dans la version anglophone du quotidien Zaman, l’éditorialiste Bülent Keneş s’en prend directement au président français : “En introduisant une interdiction visant une partie du débat sur un sujet historique controversé qui doit être tranché par les historiens, et juste avant l’élection présidentielle, il a montré à tout le monde ce qu’est la démocratie à la Sarkozy”.
Etant donné son intérêt notoire pour la création de dogmes sur les épisodes controversés du passé par des moyens politiques et législatifs, il aurait dû se tourner vers un passé colonial indiscutable plutôt que de fouiner dans les lacunes de l’histoire de la Turquie. Interdire les opinions et les idées qui pourraient être exprimées sur un soi-disant “génocide” dont les Arméniens auraient supposément été les victimes en 1915, avant même d’exprimer des excuses pour les massacres commis par la France en Algérie dans un passé encore récent […] ou pour les meurtres de masse commis dans d’autres pays africains et en Indochine, ainsi que dans les colonies maritimes, est tout ce que l’on peut attendre du bouffon à la langue de bois de la politique française nommé Sarkozy.
Dans Milliyet, Mehmet Tezkan estime que le président français “a deux raisons pour vouloir que cette loi soit approuvée” :
La première est un investissement politique dirigé vers le vote des Arméniens. La seconde est de nuire aux relations avec Ankara. Les relations entre Sarkozy et Erdogan ne sont pas bonnes du tout. A partir d’aujourd’hui, les ponts sont coupés. L’objectif de Sarkozy est d’éloigner la Turquie de l’UE avec ce genre de manœuvres.
Ali Bayramoglu, du quotidien Yeni Şafak rappelle enfin que :
Selon l’interprétation courante de l’article 301 du Code pénal turc, c’est un crime que de dire qu’“il y a eu un génocide arménien”. En France, c’est un crime de dire “le génocide arménien n’a pas eu lieu”. Peut-on ne pas se rendre compte que les deux attitudes limitent la liberté d’expression…et empêchent les deux parties de s’interroger sur leur passé ? Les dégâts que la loi française vont provoquer sont importants.

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