Ces scènes ne sont pas sans rappeler la gigantesque ruée vers l’or du tournant du XXe siècle, quand des hommes et des femmes étaient partis pour les Antipodes en quête d’une vie meilleure. Mais contrairement à ces Grecs d’antan, ces nouveaux immigrés se distinguent par leur haut niveau de formation, bardés qu’ils sont de diplômes décrochés dans certains des domaines les plus ardus.
“Ce sont tous des diplômés d’universités, des ingénieurs, des architectes, des mécaniciens, des enseignants, des banquiers qui sont prêts à tout pour travailler, commente Bill Papastergiades, président et avocat de la communauté. C’est terrible. Nous en sommes tous atterrés. Ils se présentent souvent juste avec un sac. Leurs histoires sont tellement émouvantes, et dans chaque avion ils sont toujours plus nombreux”, raconte-t-il au Guardian lors d’un entretien téléphonique.
"Là-bas, les gens vivent dans la peur"
L’exode ne représente qu’une partie du drame humain qui se joue actuellement en Grèce, le pays d’où est partie la crise de la dette en Europe. Depuis juin, les responsables associatifs à Melbourne croulent sous des milliers de lettres, de courriels et d’appels téléphoniques de la part de Grecs tentant coûte que coûte d’émigrer vers un pays qui, préservé des turbulences sur les marchés mondiaux, fait désormais figure de Terre promise.Rien que cette année, 2 500 citoyens grecs ont immigré en Australie tandis que, selon les autorités d’Athènes, 40 000 autres ont également “exprimé leur intérêt” en entamant la longue et difficile procédure en vue de venir s’installer dans ce pays. Un “salon des compétences” de 800 places organisé par l’Australie dans la capitale grecque en octobre dernier, a attiré quelques 13 000 candidats.
Alors que la Grèce s’apprête à entamer une cinquième année consécutive de récession, accompagnée d’un taux de chômage record de 18 % de la population active – et un taux sans précédent de 42,5 % pour les jeunes – la fuite des cerveaux constitue la seule tendance où la croissance est annoncée. L’Australie, elle, devrait au contraire connaître une croissance économique de 4 % en 2012. “Les gens disent souvent qu’ils ne veulent tout simplement pas que leurs enfants grandissent ici, rapporte Papastergiades. L’autre jour, j’ai reçu un appel d’un plombier grec qui m’a confié n’avoir pas travaillé depuis huit mois. Avec trois enfants à charge, il était désespéré au point d’envisager de se suicider”.
Tessie Spilioti fait partie de ceux qui ont déjà émigré en Australie. "La Grèce est un pays unique qui me manque tous les jours ainsi que mes amis, explique cette native d'Australie arrivée à Athènes il y a 27 ans. Mais l'Australie est un pays positif. C'est une contrée riche où l'on sent une forme d'abondance et des possibilités, dit-elle avec enthousiasme. Il n'y a rien de ça en Grèce. Là-bas, les gens vivent dans la peur, il y a des mauvaises vibrations et un mauvais état d'esprit. On vit comme en état de siège. Je n'aurais jamais cru partir mais avec le stress du combat quotidien pour survivre, je savais qu'il allait très difficile d'avancer".
Les jeunes Grecs fuient aussi vers la Russie, la Chine ou l'Iran
La grande crise économique grecque pourrait finir par condamner deux générations. D'après les spécialistes, la nouvelle diaspora comprendra certainement des jeunes Grecs ayant fait des études et maîtrisant plusieurs langues mais n'étant plus en mesure de survivre dans un pays où l'économie est en chute libre, notamment à cause des sévères mesures d'austérité imposées à Athènes en échange de l'aide européenne.Une récente étude de l'université de Thessalonique a révélé qu'une vaste majorité de Grecs recherchaient désormais du travail à l'étranger, les plus jeunes se dirigeant vers des pays comme la Russie, la Chine ou l'Iran. La plupart des personnes interrogées n’avaient même pas cherché un emploi en Grèce, ne voyant aucun avenir dans cette économie qui devra probablement se serrer la ceinture pendant au moins dix ans.
En Australie, l’afflux d’immigrés jette la consternation parmi d’autres Grecs chassés de leur pays dans les années 1950 et 1960 par la pauvreté et la guerre. Depuis des années, cette diaspora est méprisée par les gouvernements qui se sont succédé à Athènes, qui refusent ne serait-ce que d’accorder le droit de vote aux Grecs de l’étranger, même dans des endroits comme Melbourne, où la prospère communauté grecque rassemble plus 300 000 personnes. Voir la jeunesse prometteuse de leur pays d’origine arriver en masse, prête à accepter les emplois les plus médiocres, constitue pour eux une prise de conscience brutale.
“Beaucoup de rêves ont volé en éclats, déplore Litsa Georgiou, 48 ans, arrivée d’Athènes à Sydney l’année dernière avec son mari et sa petite fille. C’est le choc dans la communauté. Beaucoup espéraient rentrer en Grèce… Au lieu de ça, ils apprennent tous les jours que d’autres ont fait ces 22 heures de vol pour venir ici. Et se dire qu’il faudra dix ans pour que la Grèce commence seulement à relever la tête, c’est terrible.”
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