lundi 13 juin 2011
Le jeu, mirage pour temps incertains
Étrange situation que la nôtre. Même si les statistiques économiques semblent nous annoncer la reprise, le pays reste menacé par une crise sociale provoquée par une désespérance que les grandes organisations sociales et politiques ne pourront pas canaliser.
L'Europe danse au-dessus du volcan des dettes souveraines, et elle se demande si, en venant une nouvelle fois au secours d'une Grèce qui a trop longtemps vécu à crédit et dont l'État est incapable de lutter contre la corruption et l'évasion fiscale, elle fera la soudure jusqu'au retour de la croissance. En d'autres termes, elle achète du temps en espérant que, d'ici là, aucune catastrophe supplémentaire ne viendra mettre à bas l'euro et les banques... Quant à la chute de Dominique Strauss-Kahn, elle a créé un effet de souffle qui bouleverse les scénarios de la future présidentielle.
En ces temps incertains, on ne peut être que frappé par l'importance qu'ont prise les jeux de hasard : paris, poker, lotos et cartes à gratter...
Il suffit d'allumer sa télévision pour subir l'avalanche de publicités en la matière. Le PMU, qui se cantonnait naguère aux courses de chevaux, a élargi sa palette vers le football, le tennis et quelques autres sports. La Française des Jeux a récemment instauré un deuxième tirage de l'Euromillions dans la semaine et ne cesse de faire preuve de « créativité ».
La concurrence des jeux en ligne se fait particulièrement agressive, en offrant jusqu'à 100 € de bonus (par tranche, par exemple, de 10 € pour 10 € engagés sur le site de jeu !), voire 600 € s'il s'agit de poker ! Bien entendu, on vous rappelle, par un petit bandeau réglementaire que « jouer comporte des risques : endettement, isolement, dépendance », en indiquant même un numéro de téléphone pour appeler au secours... Mais il n'empêche que tout est fait pour installer l'addiction...
Il est vrai que le jeu apparaît comme une occasion de renverser la fatalité grâce à un coup heureux du hasard. Un moyen de rejoindre ceux que la télévision et la presse nous présentent comme les fortunés de notre temps... Ce que je ne peux atteindre par mes seuls efforts quotidiens, peut-être le hasard me le donnera-t-il. La clientèle ne manque pas, car les parieurs et les joueurs ne sont pas, dans leur immense majorité, une poignée de riches qui « flambent », mais souvent des gens modestes.
Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République, avait donné ce chiffre : entre 12 à 15 millions de Français peinent à boucler leurs fins de mois... Ce sont eux que visent les sociétés de jeux. C'est à eux que l'on vend du vent, sans leur dire que chaque jour, le total des gains des joueurs est largement inférieur à leurs pertes...
On ne leur dit pas non plus que le mirage individuel du « banco » est à l'opposé de ce dont nous avons le plus besoin : une mobilisation commune pour reprendre en main notre destin. Ainsi le piège se referme-t-il : dans une société qui a l'impression que l'avenir est infiniment incertain, c'est à la chance qu'on nous invite à nous remettre, chacun pour soi.
Or, moins nous affrontons collectivement et politiquement nos difficultés, plus nous sommes livrés à l'incertitude des temps. Faut-il ajouter que cela vaut aussi pour les États, puisqu'en Europe, l'illusion que « notre pays » peut se sauver tout seul des problèmes mondiaux, en se fiant à sa bonne étoile et à son génie propre, a rarement été aussi forte ?
(*) Éditeur et écrivain.
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