Crise gouvernementale et sociale à Athènes, disputes au sein de la zone euro, notamment entre l'Allemagne et la Banque centrale européenne (BCE), exigence d'un plan de rigueur supplémentaire pour débloquer de nouvelles tranches de prêts européens et du Fonds monétaire international (FMI) alors que l'économie du pays est exsangue : les ingrédients de la crise grecque forment un cocktail explosif pour l'avenir de la zone euro.
Stabiliser la dette d'ici à 2015 et redresser la balance des paiements courants au prix d'une austérité draconienne supposerait, selon les calculs des économistes de Dexia AM, de subir une croissance légèrement négative jusqu'en 2015, et ensuite que les marchés financiers retrouvent confiance et se remettent à leur prêter à des taux abordables (pas plus de 5,5 % pour la Grèce).
Les bailleurs de fonds de la Grèce restent ainsi "prisonniers de la logique du donnant-donnant", regrette Anton Brender, directeur des études économiques de Dexia AM. "L'austérité est dangereuse car elle casse la croissance, et parce qu'elle pose un risque social extrêmement fort. Idéalement, il faudrait être capable d'aider les pays fragiles sans imposer de mesures d'austérité, et de prêter à des taux beaucoup plus faibles", plaide-t-il.
Sauf à changer de logique - monétiser la dette, financer un plan d'investissement européen -, la restructuration de la dette grecque s'imposera. Mais à quelle date ? Et à quel prix ?
Même le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, considéré comme l'un des plus coopératifs avec ses partenaires européens au sein de l'équipe gouvernementale à Berlin, veut que les créanciers privés soient mis à contribution pour toute nouvelle aide à la Grèce.
Mais la BCE est opposée à tout "événement de crédit", c'est-à-dire à toute modification des conditions de remboursement de la dette grecque qui serait considérée par les marchés financiers comme un défaut de paiement de facto.
Dans ce cas, elle refuserait de prendre en garantie les titres d'Etat grecs, asséchant les financements des banques grecques, ce qui précipiterait la sortie du pays de la zone euro. A travers le sauvetage de la Grèce - même s'il doit se faire en partie à fonds perdus - se joue ainsi l'avenir de la zone euro.
Le danger, en effet, est celui de la contagion d'un défaut de paiement grec. Selon les calculs de Dexia AM, les besoins de financements cumulés de la Grèce, du Portugal et de l'Irlande atteignent 201 milliards d'euros pour les vingt-quatre prochains mois, d'ici à la mi-2013.
Cela représente une contribution des pays aidants, comme la France et l'Allemagne, de l'ordre de 2,5 points de produit intérieur brut (PIB).
"RISQUE SYSTÉMIQUE"
"Jouer aux allumettes est beaucoup plus dangereux si on est assis sur un baril de poudre. En cas de restructuration de la dette grecque, compte tenu des dynamiques à l'oeuvre sur les marchés, on est sûr de la contagion à l'Irlande et au Portugal", juge M. Brender.
L'attention se porterait alors sur les pays jugés par les marchés financiers comme à risque intermédiaire : l'Espagne, mais aussi l'Italie et la Belgique. En ajoutant l'Espagne, le montant passe à 523 milliards d'euros.
Les différents mécanismes de financements européens et du FMI - qui peuvent atteindre jusqu'à 750 milliards d'euros - permettraient encore d'y faire face, s'ils sont effectivement mis en place. Mais une contagion à l'Italie ferait plus que doubler le besoin de financement (1 123 milliards d'euros).
L'idée serait donc de gagner du temps. Mais elle n'a de sens que si l'on peut espérer, parallèlement, une reprise de l'économie mondiale, une baisse de l'euro ou encore la mise en place de financements publics - par exemple via la BCE - venant soutenir des investissements favorables à la croissance dans la zone euro, afin de contrebalancer les efforts de rigueur des comptes publics.
Cela est également logique si la solidarité européenne se renforce à terme, grâce, par exemple, à l'adoption d'un budget fédéral et des transferts fiscaux. "En gagnant du temps, on a une chance d'arriver à restructurer, à un moment où la vulnérabilité de l'Espagne aura disparu", estime M. Brender.
Si tel n'est pas le cas, en revanche, le danger persistera et le refus social ne fera que grandir dans les pays en crise. "Si la restructuration de la dette grecque avait été réalisée en octobre 2009, le risque systémique aurait sans doute été moins grand qu'aujourd'hui.
Et si on attend un an de plus, le risque sera encore plus grand", avertit l'économiste Antoine Brunet, président d'AB Marchés.
En dernier ressort, on peut alors imaginer que la BCE soit confrontée à un dilemme: laisser la zone euro exploser ou suivre l'exemple de la Réserve fédérale américaine (Fed) qui, dans le cadre de ses opérations dites d'assouplissement quantitatif de la masse monétaire, a acheté, entre novembre 2010 et juin 2011, pour 600 milliards de dollars d'obligations du Trésor américain dès leur émission.
En deux ans et demi, elle a ainsi absorbé au total 2 000 milliards de dollars de titres privés et publics pour soutenir l'économie.
La "monétisation" directe de la dette est interdite par les traités européens, ce qui n'a pas empêché la BCE de procéder, face à la crise, d'abord à l'achat de 60 milliards d'euros d'obligations bancaires dites "sécurisées" sur le marché, puis, plus récemment, de 75 milliards d'euros de titres de dettes publiques grecque, portugaise et irlandaise.
Ces montants restent homéopathiques au regard du remède de cheval administré par la Fed, car la BCE ne veut prendre aucun risque inflationniste.
Mais une extension de la crise la mettrait au pied du mur. "Dans la crise de la zone euro, ça se jouera sur l'Espagne dans les prochains mois et les prochaines semaines ; ou ça passe ou ça casse", pronostiquait l'économiste Jacques Mistral, lors d'une table ronde à l'Institut français des relations internationales (IFRI), le 24 mai, sur l'avenir de l'euro.
"L'Espagne jouera le rôle de juge de paix pour dire ce que l'Europe veut ou ne veut pas, et ce qu'elle consent ou pas ", ajoutait Jérôme Cahuzac, président (PS) de la commission des finances de l'Assemblée nationale.
Il souscrit "personnellement" à l'idée que la BCE puisse monétiser directement la dette publique, comme la Fed - et non plus seulement en acheter des quantités limitées sur le marché secondaire -, y voyant "le meilleur moyen de casser les reins aux phénomènes spéculatifs" sur les titres d'Etat. "On peut regretter que l'Allemagne y soit très hostile", notait-il.
En cas de contagion de la crise grecque aux autres pays européens, la BCE aura, in fine, la réponse entre ses mains. Veiller à la stabilité des prix suppose aussi d'éviter le risque de déflation qui s'étendrait aux plus grands pays. Et c'est le rôle de la BCE d'assurer la stabilité financière de la zone euro.
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