vendredi 1 octobre 2010
Lula, un Mitterrand qui aurait réussi
Luiz Inácio Lula da Silva aura été exceptionnel jusqu'au bout. Le président du Brésil quittera bientôt le pouvoir avec une cote de popularité de 80 % - un niveau sans précédent en fin de mandat, au Brésil ou ailleurs. Son pays connaît cette année une croissance d'au moins 7 %, la plus forte depuis un quart de siècle, au moment où les pays développés patinent dans la semoule de l'après-crise. Et Lula semble réussir jusqu'à sa succession, une rareté en politique. « Sa » candidate, Dilma Rousseff, pourrait être élue dès dimanche et devenir ainsi la première présidente du Brésil.
Lula, c'est un François Mitterrand qui aurait réussi. Les deux hommes sont les seuls à avoir été élus présidents d'une grande démocratie sous l'étiquette socialiste. Tous deux avaient un programme très à gauche qui paniquait les marchés financiers. Ils l'ont vite délaissé, au risque de désorienter leurs électeurs. Ils ont même choyé la finance. François Mitterrand avait laissé Pierre Bérégovoy casser le cadre institutionnel vieillot de Paris pour créer une place moderne. Pendant sa présidence, l'indice CAC 40 a été multiplié par plus de six. La Bourse de São Paulo a fait presque aussi bien sous le règne de Lula. Mais si le président brésilien a laissé la finance s'épanouir, il l'a aussi sérieusement encadrée. Les banques, soumises à des règles de prudence plus strictes qu'en Europe ou aux Etats-Unis, ont échappé à la crise de 2008. Et, l'an dernier, son ministre des Finances n'a pas hésité à taxer les entrées de capitaux étrangers pour limiter leur afflux.
C'est à l'autre bout du spectre que la différence entre les deux présidences est la plus forte. Sur le social - marqueur de gauche s'il en fut. Mitterrand a échoué contre le chômage après avoir, selon lui, « tout essayé ». Le taux a doublé entre 1981 et 1995 pour approcher 9 % des actifs. Au Brésil au contraire, le taux a été divisé par deux en huit ans, passant de 14 % à moins de 7 %, dans un contexte de croissance soutenue sans être exceptionnelle (4 % par an pour le pays de 2002 à 2010 et 2,5 % par tête). L'écart est encore plus spectaculaire dans la lutte contre la pauvreté. En France, la proportion de pauvres a stagné du temps de Mitterrand. Au Brésil, elle a été réduite de moitié sous Lula. L'ascenseur social fonctionne : plus de la moitié de la population fait désormais partie de la classe « moyenne inférieure ». 50 millions de Brésiliens ont ouvert un compte en banque depuis huit ans. Les abonnements au mobile couvrent 90 % de la population, un niveau européen. Les inégalités ont diminué, même si les riches concentrent encore une part des revenus supérieure à ce qu'elle est dans beaucoup d'autres pays. En France, les inégalités ont augmenté sous Mitterrand… alors qu'elles avaient diminué du temps de Valéry Giscard d'Estaing.
L'écart vient bien sûr des politiques menées. Pour lutter contre la pauvreté, François Mitterrand n'a pas fait grand-chose. L'un de ses Premiers ministres, Michel Rocard, a tout de même fini par créer le revenu minimum d'insertion (RMI) en 1989, mais l'insertion n'a jamais vraiment fonctionné. Lula, lui, a créé dès 2003 un mécanisme à la fois simple et efficace : la Bolsa familia. Quinze millions de familles pauvres reçoivent de l'argent chaque mois pour leurs enfants moyennant deux conditions vérifiées de près : les enfants doivent aller à l'école chaque jour - et être à jour de leurs vaccinations. Education et santé… Au total, près de 50 millions de personnes concernées, ce qui en fait l'un des plus vastes mécanismes de redistribution jamais créés. Les écoles n'ont jamais été aussi pleines. Et des dizaines d'universités ont été créées.
Mais si Lula a connu une telle réussite, qui fait de lui l'un des plus grands chefs d'Etat de ces dernières décennies, c'est aussi qu'il a eu… de la chance. Il était sans doute plus simple de faire décoller un éternel pays d'avenir que de régénérer une nation vieillissante - la comparaison entre les deux hommes touche ici sa limite. Au-delà, le président brésilien a bénéficié de deux atouts majeurs.
D'abord, comme Tony Blair au Royaume-Uni, Lula a reçu un bel héritage politique. Son prédécesseur, le sociologue Fernande Henrique Cardoso, lui a transmis une économie remise sur les rails. C'est lui qui a ouvert les frontières d'un pays longtemps sensible aux charmes du protectionnisme. C'est lui qui avait lancé la Bolsa escola devenue familia, une initiative importée du Mexique. C'est lui encore qui a jeté les bases d'une finance solide après les crises des années 1990 et tué l'hyperinflation qui a gangrené le pays. C'est lui enfin qui a ouvert le capital des trois perles industrielles du pays : Vale, devenu numéro deux mondial des mines ; Embraer, troisième constructeur d'avions ; le pétrolier Petrobras, enfin, qui vient de lever sans coup férir… 70 milliards de dollars, réalisant ainsi la plus importante augmentation de capital jamais réalisée dans le monde.
Ensuite, Lula a profité du boom mondial des années 2000. Si l'Allemagne a fourni les machines pour équiper les usines des pays émergents, le Brésil, « ferme du monde », a produit de quoi nourrir leurs classes moyennes en plein essor. Les cours de ses abondantes matières premières ont été boostés par la demande chinoise. L'ancien syndicaliste s'est aussi imposé naturellement à la table du G20, alors qu'il n'était pas à celle du G8. Sous sa houlette, le pays a gagné l'organisation du Mondial de foot en 2014 et des jeux Olympiques en 2016. Avec lui, les 200 millions de Brésiliens sont devenus fiers d'être brésiliens. Pourtant, comme toujours dans ce pays, les défis restent immenses : agriculture soutenable, capacité d'innovation, équilibre social, sécurité intérieure… Si Lula a fait mieux que François Mitterrand, Dilma Rousseff risque d'avoir du mal à faire mieux que Lula. Ou même aussi bien.
LA MARIÉE ÉTAIT BELLE POUR LULA, ELLE L'EST BEAUCOUP MOINS POUR ROUSSEFF.
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