Au premier abord, la situation peut paraître grotesque. C'est un pays sans gouvernement, la Belgique, plongée dans une profonde crise politique depuis les élections du 13 juin, qui assume, à compter d'aujourd'hui, la présidence tournante de l'Union européenne. « C'est le surréalisme belge », reconnaît Olivier Chastel, le monsieur Europe du gouvernement sortant. Le moment - c'est un euphémisme - pouvait difficilement être moins opportun. D'autant que la mise en place du traité de Lisbonne, depuis le début de l'année, a déjà révélé une certaine confusion au sommet des institutions européennes.
Le choix délibéré de personnalités sans charisme, la permanence même de la présidence tournante aux côtés d'une présidence stable, la crise grecque et les réflexes nationaux induits par le contexte de crise économique, tout cela n'a guère servi la cause européenne. La présidence espagnole, plongée dans l'oeil du cyclone de la crise de l'euro, a d'ailleurs été un fiasco. Zapatero a échoué dans sa tentative de l'utiliser comme un tremplin flatteur sur sa scène intérieure, et ce n'est pas sous sa régie que les principales décisions, comme la création d'un fond de stabilisation, ont été prises à Bruxelles. La question, dès lors, se pose. À quoi sert aujourd'hui la présidence tournante ?
Si on opte pour la simplification, alors la tentation de vouloir la supprimer est grande, car l'Europe donne actuellement à la fois l'impression d'avoir trop de présidents et de manquer de pilote. Si on regarde, en revanche, l'histoire de l'Union et le fonctionnement de la présidence tournante depuis 1974, l'avis est plus nuancé. Car ce passage de témoin semestriel a permis à tous les pays, indépendamment de leur taille ou de leur ancienneté dans le club, de se frotter à l'exercice des responsabilités collectives, et non pas seulement nationales. Aux côtés de la Commission et du Parlement, le Conseil a été une école de la pratique communautaire. Dans chaque pays, une classe dirigeante s'est formée grâce à cet exercice. Sa vertu n'a donc pas été seulement symbolique, mais substantielle.
Ce que la crise grecque a révélé, c'est la difficulté pour l'Europe d'aujourd'hui de rester fidèle à deux critères essentiels de sa courte histoire : la collégialité et la solidarité. Sans ces deux moteurs, aucun politique ne sera assez fort pour faire avancer une machine aussi complexe, et contradictoire, qu'une Union à vingt-sept. Et c'est là que le semestre belge pourrait bien, paradoxalement, être moins « surréaliste » qu'annoncé.
Car les responsables belges détachés à la manoeuvre européenne connaissent bien les rouages de l'Union. Et si leur modèle national est en crise, leur culture politique peut être précieuse. Sur le plan économique, la révision du pacte de stabilité et les négociations sur le budget, et notamment la politique agricole commune, promettent une rentrée tendue. Sur le plan institutionnel, la mise en place du nouveau service diplomatique et l'élargissement des prérogatives du Parlement vont être autant de moyens, pour l'Union, de tester sa capacité à se remettre dans une dynamique positive.
À l'heure où l'Europe est traversée par mille forces centrifuges et où la Belgique elle-même court le risque de l'éclatement, la présidence belge peut effectivement paraître surréaliste. À moins que son secret ne soit, au contraire, d'incarner l'une des qualités de l'architecture européenne : sa résilience.
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