Pourquoi rester ? Comment partir ? Pour les stratèges et les responsables politiques en charge de la question afghane, ces interrogations sont quotidiennes depuis longtemps. Tous ont les yeux rivés sur l'horloge. À Kaboul, elle marque une heure de plus en plus anxiogène. Il y a maintenant 105 mois que la coalition internationale est présente sur le théâtre afghan. Elle a perdu près de deux mille hommes. Cette guerre a maintenant dépassé en durée celle du Vietnam. Et, pour l'heure, aucune solution durable n'a été trouvée pour éviter le retour en force des talibans et conjurer la renaissance d'un sanctuaire pour le terrorisme international.
Pour la première fois depuis le renversement du régime taliban en 2001, une conférence internationale est organisée, cette semaine, à Kaboul. Soixante-dix pays donateurs vont y participer. Les thèmes qui y seront évoqués portent tous sur un même axe : le transfert des responsabilités et de la gouvernance aux autorités afghanes. L'horizon 2011 est considéré, par Washington et ses alliés, comme décisif. Face à des opinions publiques de plus en plus hostiles à la poursuite de cette guerre et face au décompte macabre des cercueils de soldats rapatriés, un début de retrait, à défaut d'un vrai départ, est vital pour les dirigeants occidentaux.
Sur le terrain, la situation varie considérablement d'une province à l'autre. À Kaboul une amélioration de la sécurité est manifeste. Ailleurs, la rébellion talibane est, en revanche, de plus en plus meurtrière. Durant le seul mois de juin, 102 soldats étrangers ont péri, un triste record depuis neuf ans. Bombes artisanales, attentats suicides, opérations commando, assassinats de civils afghans liés au régime du président Karzaï. Tout est fait pour affaiblir les troupes étrangères et les forces de sécurité afghanes.
Du point de vue théorique, ce contexte de guérilla a été amplement décortiqué par les stratèges américains. L'arrivée, il y a un an, du général McChrystal marquait le choix d'une stratégie dite de la « contre-insurrection », autrement dit fondée sur la conscience des limites de l'action militaire et la nécessité de redoubler d'efforts sur les plans économiques et politiques pour gagner la confiance de la population. Moins d'usage indiscriminé de la force, moins de pertes civiles, davantage d'attaques ciblées contre les acteurs majeurs de l'insurrection. C'est d'ailleurs le général Petraeus, aujourd'hui appelé en renfort pour remplacer McChrystal, récemment remercié pour une interview indisciplinée à l'égard de la Maison Blanche, qui en fut l'instigateur et le théoricien.
Les faits, pourtant, sont têtus. Malgré les renforts, le cap des 150 000 soldats va bientôt être dépassé, la situation militaire se dégrade. Et le moral des troupes s'en ressent. Exposés aux attaques des talibans, liés par leurs consignes de protection des populations civiles, les soldats regardent leur compagnons tomber les uns après les autres sur un front insaisissable, avec un sentiment d'impuissance qui ne saurait s'éterniser.
Officiellement, la nomination de Petraeus ne signifie pas un changement de stratégie. Mais, à Washington, l'idée de changer de ligne fait son chemin. Une évaluation sera faite en décembre. Le rôle du Pakistan, crucial pour maintenir un contrôle des talibans, est plus déterminant que jamais pour entamer un tel retrait. Ce n'est pas la moindre des complications.
Laurent Marchand
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