L'avion a disparu et nous sommes perdus.
Hier fut une nouvelle. Celle qui raconte le mauvais tour d'un drôle de nuage, facétieux et maléfique, jouant avec les nerfs de ces fragiles Terriens, désorientés comme des fourmis qu'on aurait détournées de leurs itinéraires rituels. Et nous, tout étonnés, de regarder ce désordre imprévisible et soudain, déclenché 6 000 mètres sous les volutes du monstre islandais.
Par quelque sortilège, Antoine de Saint-Exupéry aurait pu, d'un souffle, déposer son Petit Prince sur une planète agitée par l'incompréhensible. Incrédule, le petit ange lui aurait demandé pourquoi, diable, il lui dessinait un mouton tout gris avec de la cendre dans la laine. Avide et curieux, il aurait voulu comprendre comment un seul volcan - et très gros et très puissant, d'accord - d'une île de l'Atlantique s'était débrouillé pour désorganiser de la sorte tout un continent. Et même au-delà, jusqu'à la lointaine Chine... Un tel désordre défiait la raison dans un siècle où un seul petit clic suffisait, parfois, à contrôler le cours des choses.
Les hommes semblaient surpris. Paralysés ? Plus que ça ! Pétrifiés parce qu'ils ne pouvaient plus voler. Le Petit Prince aurait trouvé l'idée jolie. Après tout, c'est un peu de liberté qu'on leur avait prise : elle méritait bien toute cette effervescence. Les voir, comme ça, tout démunis, cela les rendait infiniment sympathiques. Pour une fois, ils étaient égaux devant une infortune qui les dépassait. Il aurait souri, aussi, en imaginant les dirigeants les plus puissants du monde confisqués d'aéronefs, impuissants à forcer la voie des airs. Un peu d'humilité devant l'inattendu les ramènerait-ils sur la terre ferme ? Il ne fallait pas trop rêver tout de même, hein Antoine...
Et puis, il aurait été un peu triste aussi en écoutant toutes ces histoires petites et grandes, de rendez-vous ratés, de vacances gâchées, d'affaires compromises. Toutes ces déceptions devant le coup du sort. Toute cette humanité-là, on ne pouvait la résumer à un petit sanglot d'un bout de monde privilégié qui pouvait bien assumer sa petite part de contrariétés. Mais ce n'était pas si simple. La détresse n'a pas besoin d'être tragique et spectaculaire pour être ce qu'elle est. Le deuil ordinaire d'un moment volé, d'un instant de bonheur enfui.
Et puis il eut une inquiétude quand la nuit de ce jour sans ailes vint. Il se disait bien que ce n'était pas si grave, mais il se demandait : que feraient-ils tous ces gens désemparés quand ils n'auraient plus rien à mettre dans les réservoirs de leurs géants d'aluminium ? Et il préféra penser qu'ils auraient alors beaucoup d'imagination...
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