Selon le philosophe et ex-ministre de l’Education nationale, la crise a balayé tous les thèmes de 2007. Et pour survivre, la droite doit assumer son évolution et redevenir républicaine.
Les régionales ont été perdues, les députés UMP ont vilipendé le Président, Dominique de Villepin lance son aventure présidentielle, le centre-droit revendique son autonomie, François Fillon est le rival malgré lui de son patron. Face au syndrome de la droite folle, le philosophe et ancien ministre Luc Ferry fait appel à la sagesse des anciens, donc le gaullisme, que Sarkozy, dit-il, doit assumer, puisque tous les rêves de la campagne de 2007 sont devenus obsolètes.
La droite se divise et perd ses marques, parce qu’elle ne croit plus en son chef?
Non, le mal-être de la droite est intellectuel pour ne pas dire philosophique. La crise est venue mettre à mal tous les thèmes de la campagne de 2007 alors qu’elle était la première campagne d’une droite décomplexée, enfin à l’aise avec elle-même. La campagne était libérale, dérégulatrice et pro-américaine. On allait balayer le vieux monde, en finir avec la longue sieste chiraquienne et le "modèle social français"! Et la crise est arrivée. Comme la gauche en 1983, la droite fait un tournant à 180°. Le président Sarkozy devient protecteur, régulateur, presque anticapitaliste: son discours à Davos a des accents de Besancenot…
Donc le Président s’est renié et la droite se perd avec lui…
Non, il a changé parce que le réel a changé et il a eu raison. Il a bien géré la crise et le plan de relance. Mais il doit dire comment il a changé et pourquoi. Il n’y a pas de honte à évoluer, c’est même tout le sens de l’exercice du pouvoir. C’est très bien d’abandonner la taxe carbone, qui était une ineptie: elle heurtait le monde agricole et industriel sans rien changer, pas une virgule, à la question écologique majeure que pose l’entrée de l’Inde et de la Chine dans la logique de la consommation occidentale. Il faut le dire clairement plutôt que d’ergoter sur un éventuel accord unanime de l’Europe, qui n’arrivera jamais. La droite ne doit pas faire comme Mitterrand après le tournant de 1983, prétendre que le cap reste le même. Ce déni serait tragique, et les citoyens ont besoin de vérité. Ensuite, il faut donner une cohérence à cette évolution, penser le retour de l’Etat régulateur sans tomber pour autant à gauche. Le seul positionnement possible pour la droite est le suivant : ni libéral ni socialiste mais gaulliste et républicain.
Mais Sarkozy n’est pas gaulliste…
C’est plus compliqué que ça. Il est de culture interventionniste, il l’a montré à Bercy. Il peut parfaitement assumer un tournant gaulliste et républicain. De toute manière, c’est une nécessité. C’est sur ce socle que Bayrou s’est construit, que Villepin peut se lancer et que Fillon est populaire.
Imaginez-vous la droite faire tomber Nicolas Sarkozy?
Ne plus le soutenir, le contester, souhaiter un autre champion? C’est possible si les députés pensent que leur siège est en danger. Ils ne demandent au chef qu’une chose: qu’il les entraîne vers la victoire. Sinon… Mais Sarkozy n’est pas en danger immédiat à l’intérieur de son camp. Fillon est vraiment loyal, je ne l’ai jamais entendu dire un mot contre le Président et il n’ira pas contre Sarkozy aux élections. Villepin est dans une situation analogue à celle de Strauss-Kahn à gauche: il est le candidat préféré des gens d’en face. Sarkozy a un espace pour redresser le cap. Encore faut-il qu’il ait l’envie de le faire. Il ne doit surtout pas écouter ceux qui prêchent un retour aux fondamentaux de la droite de 2007. La crise rend tout retour en arrière impossible.
"Il faut acter qu’on travaillera plus"
Lui qui réussissait tout avant 2007 donne l’impression de jouer à l’envers systématiquement.
Non, Sarkozy a réussi les grandes choses: la relance de l’Europe, la gestion de la crise et du plan de relance, le G20. Mais il les gâche par des petites mesures indéfendables, type taxe carbone ou suppression de la pub à la télé, auxquelles il s’attache sans qu’on comprenne vraiment pourquoi. Il a parfois du mal à comprendre et à accepter des refus ancrés dans une très vieille tradition républicaine. Par exemple, il pense, sincèrement, qu’il faut mettre en place la discrimination positive, des quotas dans les grandes écoles, pour atteindre l’égalité… Comme il pense que c’est bien, il ne voit pas que cela heurte tous les républicains de droite comme de gauche, une majorité de professeurs, toute la droite universitaire ou l’Académie française, et que leur résistance ne s’enracine pas seulement dans une très ancienne histoire de France mais aussi dans une vraie argumentation.
Sarkozy pèche par manque de culture politique?
Non, mais il veut bousculer les choses et il ne mesure pas assez le poids des résistances. Il n’intègre pas les invariants, les tabous, les refus historiques. Il se trompe de symbole également. J’avais averti Eric Besson dès le début que le débat sur l’identité nationale était une erreur, que tout le monde s’en moquait, et que, forcément, il n’en sortirait rien de bon. A la place, Nicolas Sarkozy aurait dû s’approprier le service civique que j’avais proposé à Martin Hirsch, à la demande du Président, d’ailleurs, en faire le pivot d’un discours de rassemblement républicain. Le pays a besoin de valeurs, pas de débats oiseux sur des sujets trop difficiles. Le service civique, c’était une occasion rêvée d’autant plus qu’il était en plus plebiscité à gauche.
Il peut encore faire la réforme des retraites?
C’est vital et s’il y a encore une réforme à faire, c’est celle-là. Il faut acter qu’on travaillera plus, mais mettre en place une loi si juste, si équitable, que nul ne pourra s’y opposer. La CGT et la CFDT – donc la véritable gauche aujourd’hui, plus qu’un PS qui bénéficie virtuellement de la victoire de ses présidents de région, peuvent être entraînés… Réussir une juste réforme des retraites, ça serait faire preuve à la fois de républicanisme, de souci de la rigueur budgétaire et de préoccupation sociale. Ce peut être le socle du renouveau idéologique de la droite.
Vous imaginez que Nicolas Sarkozy puisse renoncer à 2012?
Je n’ai aucune information sur le sujet. Mais la question clé de la droite est celle de la philosophie d’ensemble, pour 2012 et après. Le pays a besoin de trois choses: un vrai discours sur les valeurs morales, un souci intransigeant de justice et une politique de rigueur. Ça ne suffira peut-être pas à empêcher la gauche de gagner mais cela permettrait au moins une défaite honorable, et porteuse d’avenir.
dimanche 28 mars 2010
Luc Ferry: "Sarkozy doit revendiquer le gaullisme"
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