Le chanteur s'est éteint en Ardèche samedi à l'âge de 79 ans. Retour sur la vie d'un artiste engagé, au service de tous les combats pour la fraternité, la révolte et l'idéal communiste, mais également un poète fou d'Aragon, qu'il a interprété avec talent.
Jean Ferrat, qui résidait depuis des années en Ardèche, y est décédé samedi à l'âge de 79 ans, a annoncé le sous-préfet de Tournon-sur-Rhône. «Il est décédé à l'hôpital d'Aubenas», où il avait été hospitalisé quelques jours auparavant, a-t-il précisé.
Jean Ferrat? Des chansons au drapeau rouge, diraient les uns. De grands poèmes gréés de mélodies vastes comme le cœur de la France, diraient les autres. Potemkine et La Montagne, Aimer à perdre la raison sur les vers de Louis Aragon et Un air de liberté dans lequel il croisait le fer avec notre confrère Jean d'Ormesson... Un air de Fête de l'Huma et des refrains immortels, des mots de tous les jours et tous les drames de l'Histoire convoqués au détour d'un refrain.
Jean Tenenbaum est né à Vaucresson le 26 décembre 1930, mais a grandi à Versailles. Non le Versailles des beaux quartiers, mais celui d'une famille modeste de quatre enfants. Père joaillier petit joaillier et mère fleuriste. La musique? Pas de phonographe, le concert du dimanche soir à la TSF, sa mère qui chante du lyrique léger d'une jolie voix de soprano: l'air des Clochettes de Lakmé, On m'appelle Manon...
Chimie, guitare, jazz et Aragon
La guerre arrive. Son père est juif, sa mère ne l'est pas : un jour, son père part pour ne plus revenir. A quinze ans, il quitte le lycée pour aider sa famille. Il commence en même temps des études de chimie qu'il délaisse de plus en plus au profit du théâtre et de la chanson, tendance Prévert et Kosma, répertoire à la Montand. A vingt ans, il joue de la guitare dans un orchestre de jazz, compose ses premières chansons. Il tente quelques auditions sous le nom de Jean Laroche, sans succès. L'horizon s'ouvre un peu en 1956, quand il met en musique Les Yeux d'Elsa, poème de Louis Aragon, cinq ans avant que Léo Ferré, à son tour, ne s'intéresse au poète communiste. Ce n'est pas Jean Ferrat lui-même qui «lance» Les Yeux d'Elsa, mais André Claveau, le plus populaire des chanteurs de charme du moment. Jean Ferrat, remarqué par le métier, commence à tourner régulièrement dans les cabarets de la rive gauche en s'accompagnant à la guitare. Ses chansons lui apportent surtout, à ce moment-là, de rencontrer une jeune chanteuse, Christine Sèvres, qui deviendra son épouse. «J'ai chanté sept ans avant de voir une petite lueur, nous dira-t-il plus tard. Sept ans, ce n'est rien du tout à dire, mais quand on les vit journellement, qu'il faut manger, c'est long...»
Il rencontre le complice professionnel de toute sa carrière à venir, Gérard Meys, tour à tour agent artistique, éditeur et, plus tard, patron de label discographique. Et, en décembre 1960, Jean Ferrat passe enfin à la radio: Ma môme, sur un texte de Pierre Frachet, est son premier succès. La France fredonne «Ma môme, elle joue pas les starlettes/Elle met pas des lunettes/De soleil/Elle pose pas pour les magazines/Elle travaille en usine/A Créteil.» Tout est là: l'air du temps vu du côté des gens simples, l'évidence des sentiments, le refus des chimères de l'argent et de la gloire...
Tout décolle avec Nuit et Brouillard
Il est couvert de prix et de récompenses professionnelles, mais le plus grand succès ne tardera pas : La Montagne sort en 1964 et évoque l'Ardèche où Ferrat s'installe justement cette année-là, dans le village d'Antraigues auquel il restera toujours fidèle, au contraire des ruraux qui, dans sa chanson, cèdent à l'appel de la ville, «Du formica et du ciné (...) Pourtant que la montagne est belle/Comment peut-on s'imaginer/En voyant un vol d'hirondelles/Que l'automne vient d'arriver?»
Dès lors, il ne va pas cesser d'écrire et de publier de grandes chansons, souvent marquées à gauche. Car le fils du déporté Tenenbaum est définitivement attaché à des valeurs de justice, de fraternité et de liberté qui, un temps, le rapprochent sinon du Parti communiste, du moins de ses combats du moment. Son voyage à Cuba, en 1967, le marque profondément, comme en témoignent les chansons Santiago et Guerilleros. Mais il n'est pas toujours à son aise avec l'Union soviétique: déjà Potemkine, en 1965, est interdit de télévision en France et lui vaut l'annulation d'un voyage en URSS. La rupture sera spectaculaire en 1980 avec Le Bilan. Mai 68 le voit participer à des soirées organisées pour les grévistes à Bobino puis régler leur compte aux gauchistes avec l'incendiaire chanson Pauvres Petits Cons.
Le fou de poésie retrouve aussi Aragon en 1971. Ferrat chante Aragon se vendra en quelques mois à un million d'exemplaires, chiffre au moins doublé depuis. Et il fait d'Aimer à perdre la raison un standard de la chanson française, avant de citer encore Aragon dans La Femme est l'avenir de l'homme, autre énorme succès populaire au texte exigeant.
La grande poésie française dans la rue
En 1973, il prend la curieuse décision de ne plus donner de concerts ou plutôt il n'en prend pas la décision. «Je me disais que j'arrêtais un ou deux ans. Je ne pensais pas arrêter définitivement. D'ailleurs, je n'ai pas arrêté définitivement. Mais le temps a passé. Quand je faisais un nouveau disque, tous les quatre ou cinq ans, j'avais un an de travail pour voir les journaux, faire des émissions, la promotion dans les autres pays d'expression française. Puis je soufflais et il me fallait deux ou trois ans pour réécrire un nouveau disque. Et je n'ai pas eu un désir de scène suffisant pour repartir.»
S'il lui arrivait encore de monter en ligne, ce n'est plus en mettant son nom au bas de pétitions politiques, mais en défendant, de prises de positions dans la presse en tables rondes dans les festivals, cette chanson française que l'on commence à appeler «classique». Mais quand on lui demandait quand il comptait sortir un disque de nouvelles chansons, il répondait: «Il faut que je me mette au turbin.»
Jean Ferrat avait apporté son soutien à la liste présentée aux élections régionales par le Front de Gauche en Ardèche.
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