mardi 27 mai 2014
Des élections européennes abyssales. Comme prévu.
Or donc il y a eu les élections européennes en France. Et tout comme les résultats des élections municipales furent finalement prévisibles (et croustillants à souhait), les résultats de ces dernières élections furent dans la lignée de ce qu’on pouvait attendre, avec une bonne dose de drame et de grincements de dents, et beaucoup de bulles.
Les qualificatifs ne manquent pas dans la presse mainstream : choc ou séisme, tout le monde semble s’accorder à trouver tout ceci particulièrement calamiteux. Et lorsqu’on regarde les résultats bruts, il est vrai que cela picote un peu pour les politiciens des principaux partis qui se sont tous pris une bonne mandale. Le Front National arrive donc largement en tête, autour de 25%, l’UMP limite la casse à 21% (ce qui représente tout de même une perte de plus de 6 points sur l’élection précédente). Quant au PS (15%), aux Verts (9%) et au Front de Gauche (6,5%), les scores marquent tous une reculade notoire. Il est à noter la contre-contre-performance de l’UDI/Modem qui parvient, contrairement au prout tiède qu’on s’attendait à lui voir réaliser, à amasser 10% des votes.
Sous forme de petit graphique, cela donne ceci (c’est basé sur les estimations de dimanche soir) :
Pendant ce temps, les plus prompts s’emploient à faire passer cette fort jolie branlée des divers partis officiellement de gauche (PS notamment) pour une défaite historique, alors que la déroute actuelle est en réalité tout à fait comparable (et probablement plus feutrée) que celle qui accompagna Rocard en 1994. La déculottée de l’époque avait été cruelle, mais le temps a passé ce qui permet aux actuels clowns de l’opposition de demander bruyamment la démission de Hollande. La hontectomie autorise bien des postures et des saillies ridicules, mais on voit mal le rapport entre cette élection (européenne, je le rappelle) et la légitimité du président. Du reste, il n’a absolument pas besoin de ce cuisant échec pour réussir le pari de se faire autant détester chez ses opposants que ses amis politiques, mais de même que Mitterrand, à l’époque, avait encaissé la débâcle sans broncher, il est absurde d’imaginer qu’il en sera autrement pour le Roi Solex.
Il n’en reste pas moins que c’est donc encore un échec à mettre au débit de Hollande. S’il semble acquis que le parti au pouvoir aura le plus de mal à rassembler lors d’élections qui ont tout du défouloir, il faut avouer que, cette fois-ci, les gens se sont vraiment bien défoulés. Eh oui, c’est encore un échec. Cela doit finir par chatouiller un peu, et cela me fait irrémédiablement penser à cette vidéo de Mozinor où les protagonistes tentent de se sortir d’une situation délicate et échouent lamentablement, à plusieurs reprise.
Devant des scores aussi calamiteux, on se perd en conjectures : est-ce le Front National qui a, à ce point, progressé dans les esprits ou est-ce le PS, les Verts et toute la marmaille politicienne qui a réalisé là une contre-performance aussi rigolote qu’historique ? Si l’on s’en tient aux scores bruts, il est assez délicat de ne pas voir l’éléphant dans le salon, à savoir Marine Le Pen pardon le score du Front National qui passe d’un petit 6,34% en 1994 à quatre fois plus vingt ans plus tard. On peut toujours admettre qu’une partie de cette ascension est due à la multiplication des imbécilités consternantes de la gauche, mais malheureusement, cela ne suffira pas à expliquer toute la progression constatée.
Non, décidément : à l’évidence, les partis qui se sont succédé au pouvoir sur les vingt dernières années ne trouvent plus grâce aux yeux des électeurs qui, attirés par la nouveauté, donnent d’autant plus facilement un ticket à ce parti qu’il n’a jamais été chopé les doigts dans le pot de confiture (ce qui est logique puisqu’il n’a jusqu’à présent jamais eu le bras assez long pour l’atteindre). Et c’est d’autant plus facile que les députés européens sont, par nature, fort éloignés de leurs concitoyens et électeurs : un vote pour la Marine aux européennes n’aura donc pas les mêmes conséquences que lors d’une municipale où on peut fort bien se retrouver avec elle (ou un de ses lieutenants) comme maire. Avec un eurodéputé, le risque est si faible d’avoir à le contacter directement qu’on peut se permettre bien des choses.
Autre point d’importance : l’abstention, qui a rapidement été évacuée une fois que les résultats détonants furent connus et officiellement discutables par les journalistes. Pourtant, on peut noter deux choses à son sujet.
Tout d’abord, elle est (un peu) plus faible que lors des votes des précédentes européennes. Or, cela n’a pas empêché le FN d’atteindre le score mémorable qu’on discute partout. L’argument que les abstentionnistes font monter les partis d’extrêmes est donc un peu court et se retourne contre ceux qui l’utilisent : puisqu’apparemment, il y a eu moins d’abstentionnistes et un FN plus fort, c’est clairement que les électeurs se sont déplacés spécifiquement pour voter pour le FN et n’ont pas, selon l’iconographie amusante et traditionnelle, laissé la place aux troupes disciplinées de l’extrême-droite. Eh oui : le peuple n’a pas ripé sur les bulletins FN, il a sciemment glissé quelques heures très sombres dans les urnes de notre histoire et tout le tralala.
Eh oui, avalez-ça, messieurs les démocrates du centre, de droite, de gauche et de l’autre extrême : tout indique que le peuple s’est volontairement déplacé pour voter pour ce parti-là. Vous pourrez toujours vous réfugier dans l’argument que « la démocratie, c’est vraiment pas cool », mais vous risquez ainsi de glisser sur cette pente glissante qui m’a amené, récemment, à justement questionner l’exercice démocratique en lui-même (chose que vous n’êtes absolument pas prêt à faire, sauf lorsque votre environnement sent soudainement l’andouillette).
D’autre part, si l’on tient compte de l’abstention, force est de constater que le FN représente en réalité 10% du corps électoral : si 25% des votants l’ont choisi, et si à peine 43% des électeurs se sont déplacés, cela veut dire que 10,75% des électeurs ont choisi Marine au détriment des autres. Dit autrement, cela veut dire tout de même que quasiment 90% des électeurs n’ont pas voté pour le FN (ou l’UMP, le PS et les autres micro-partis bigarrés du spectre politique français) et que, comme d’habitude, ce sera donc cette petite minorité qui va décider pour cette grosse majorité. Décidément, la démocratie est un concept délicat à appréhender.
Alors que les éditorialistes se tordent maintenant les doigts sur la France qui aurait brutalement basculé dans la poix lourde d’une xénophobie rance, avec du ventre fécond, de la beuhète immonde et de la consternation mêlée de honte, la réalité est, comme souvent, bien plus pastel. Ce que le score du FN indique clairement, c’est l’absence de parti d’opposition réel, structuré, dans une France qui ne compte plus que des partis socialistes aux différentes options, parfaitement accessoires. Les seuls avantages du FN sur les autres partis socialisants sont en effet de disposer de cette (très) relative virginité du pouvoir, de bénéficier de l’éloignement des députés élus, et d’offrir une voix cohérente et simple à comprendre, au contraire d’une UMP illisible et en pleine déliquescence, et d’un centre incolore, inodore et sans saveur.
Quant au point de vue libéral, il reste, malheureusement, le même : le socialisme continue en France son petit bonhomme de chemin. Il semble qu’on abandonne doucement le socialisme internationaliste pour goûter à la variante nationaliste, avec de gros bouts de protectionnisme dedans.
Il n’y a donc aucun changement de fond, tout juste de forme.
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