TOUT EST DIT

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mercredi 14 mai 2014

Maurice Allais, économiste visionnaire


Le regard perçant malgré des lunettes à montures épaisses, Maurice Allais pouvait sembler un personnage sévère et de relation difficile. Pourtant, travailler auprès de lui révélait vite un savant passionné qui consacrait chaque instant de sa vie à l'étude et à la recherche, un homme qui ignorait certes les jugements en demi-teinte ou les appréciations ambiguës, mais qui prodiguait aux plus jeunes ses encouragements et son aide souvent généreuse. Ingénieur du Corps des mines, professeur à l'École des mines deParis et directeur de recherche au CNRS, Maurice Allais fut aussi professeur à Paris-X-Nanterre, dont le plus grand amphithéâtre porte depuis peu son nom.

Le seul économiste français à avoir obtenu un prix Nobel d'Économie à ce jour était en même temps un personnage difficile à classer. Passionné de physique et d'histoire, ce major de Polytechnique s'était lancé - seul et sans connaissance préalable du domaine - dans l'étude de la science économique, parce qu'il avait constaté les ravages du chômage aux États-Unis lors de la crise des années trente. Démobilisé en 1940, il parvint en moins de trois ans à reconstruire la discipline dans un ouvrage majeur, aujourd'hui publié sous le titre de Traité d'économie pure

Remise en cause des idées reçues

Né en 1911 dans une famille très modeste, pupille de la nation dès 1915, il aspirait socialement à une société ouverte, où les élites issues de milieux défavorisés pourraient arriver à remplacer celles des milieux installés. Mais socialisme et libéralisme comportaient à ses yeux - sous condition d'une rigoureuse honnêteté intellectuelle - certaines règles susceptibles d'être fructueuses du point de vue collectif. Loin d'obéir à une idéologie quelle qu'elle soit, ses convictions personnelles ont ainsi été forgées à partir de l'observation des faits. 
Il voulait cette observation rigoureuse et celle-ci a souvent conduit Maurice Allais à remettre en cause les idées reçues, l'amenant ainsi à découvrir qu'il existe des réticences à s'amender chez les intellectuels aussi. Combat difficile, car Maurice Allais était prêt à payer le prix de la fidélité à ses idées : cet économiste étiqueté "libéral" refusa ainsi d'entrer dans la Société du Mont-Pèlerin parce que le président - Von Hayek - lui avait demandé de ne plus insister sur l'appropriation collective de la rente foncière !

Pépites d'idées inexploitées

Cette originalité sourcilleuse, Maurice Allais l'a exprimée en français de façon quasi exclusive jusqu'au milieu des années soixante. Les ouvrages couronnés en 1988 par le prix Nobel n'ont donc jamais été traduits en Anglais - ce que la Fondation Maurice Allais s'efforce de faire aujourd'hui. Qu'il eût été ignoré des économistes qui ne lisent pas le français n'aurait donc pas été étonnant, que ses écrits ne figurent pas encore dans nombre de bibliothèques françaises et ne soient pas davantage recommandés aux étudiants français en économie est beaucoup plus surprenant, surtout lorsque Maurice Allais est l'auteur séminal des modèles qu'on essaie d'inculquer. 
Car Maurice Allais n'est pas seulement précurseur dans divers domaines : il a devancé les économistes de référence actuels pour la demande de monnaie, pour la macroéconomie qui considère la coexistence de plusieurs générations dans le partage des fruits de l'activité économique et des efforts d'épargne, pour le rôle des banques centrales, pour la tarification des services publics, pour la théorie du risque la plus avancée aujourd'hui, etc. Et les ouvrages de cet économiste puissamment intuitif restent semés de pépites d'idées inexploitées encore à ce jour (multiplicité de prix d'équilibre, de technologies de marchés, etc.), que les chercheurs français seraient avisés de développer. 
Dans le domaine monétaire, certains chercheurs proposent aujourd'hui des idées voisines pour que soient à l'avenir évitées les crises du type de celle que nous vivons encore et contre lesquelles il avait été l'un des très rares à mettre en garde. De nombreuses personnalités rendront d'ailleurs hommage à ses travaux dans ce domaine dans le cadre des Ateliers Maurice Allais du 23 mai, auxquels les lecteurs du Point sont cordialement invités (voir le site web de la fondation). Et si Maurice Allais avait eu raison sur ce point-là aussi ?
* Bertrand Munier est notamment le président du Comité Scientifique de la Fondation Maurice Allais

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