jeudi 13 novembre 2014
François Hollande et la tablette magique
Ah, décidément, rien de tel qu’un petit Plan Calcul (1966) pardon un petit Plan Informatique Pour Tous (1985) pardon un petit Plan de Développement des Technologies de l’Information (1997) pardon un petit Plan de Développement Numérique (2009) pardon un petit Plan de Développement des Usages Numériques (2010) pardon un petit Plan Tablettes Pour Tous pour redonner enfin des couleurs à notre Éducation Nationale. Ça faisait longtemps. Et qui, mieux que François Hollande, pour le proposer ?
OK, soit, je l’admets : il ne s’agit pas encore officiellement d’un Plan Tablettes Pour Tous, mais l’idée, fermement implantée dans le crâne gominé de François Hollande, peut largement aboutir à cette officialisation dans les prochains mois. D’après le Chef de l’État et lors de son pathétique entretien avec des Français jeudi soir, il faudrait donc« du numérique partout » à l’horizon 2017 avec, dès la rentrée 2016 (dans moins d’un an, donc), une distribution de tablettes numériques à « tous les élèves de classe de Cinquième ».
La question du coût a été rapidement écartée avec l’habileté maintenant habituelle du président pédalo-flambyste : l’argent, on le trouvera. De toute façon, n’oubliez pas que dans sa tête, ça (et le reste) ne coûte rien, puisqu’après tout c’est l’État qui paye, même si quelqu’un va bien devoir débourser 80 millions d’euros au moins pour cette plaisanterie pour les 800.000 collégiens concernés, et en imaginant la tablette à 100€ pièce — ce qui la rend d’ailleurs assez peu probablement Made In France à ce prix. Apparemment, plusieurs études scientifiques et comptables, ainsi que certaines enveloppes reçues courant Septembre de chaque année, tendent à prouver que ce quelqu’un, ce sera le contribuable, donc vous.
Au passage, oublions de suite l’argument humoristique de la formation en informatique. Comme l’introduction le rappelait, les cours de codage sont une idée dans l’air depuis 40 ans, et ne sont toujours pas apparu au sein des établissements. Admettre qu’il serait capable de réussir là où tous ont échoué sur plusieurs décennies, ce serait faire preuve d’un optimisme obligatoirement d’origine extra-terrestre.
Cette nouvelle digérée, quelques questions surnagent comme des grumeaux rigolos sur un bouillon avec des pâtes alphabet : ce projet Tablettes À Tous Les Étages, est-ce utile ? Est-ce le moment ? Est-ce nécessaire ?
Pour la question du timing, un doute s’immisce : il semblerait que le pays croule sous les dettes et même si 80 millions de plus par rapport à plus de 2000 milliards passera à peu près inaperçu, la réduction des déficits publics et de la dette nationale ne passe décidément pas par ce genre de distributions « généreuses ».
La nécessité de cette introduction laisse aussi perplexe. Il y a d’autres priorités : quand on voit le niveau orthographique moyen au bac, on peine franchement à voir en quoi l’introduction de tablettes numériques à partir de la Cinquième résoudra ce problème. Pourquoi des élèves qui ne savent déjà pas lire et écrire correctement avec un papier et un crayon gagneraient-ils en orthographe, grammaire et souplesse intellectuelle, en lisant des phrases progressivement plus complexes sur un support numérique ? Sans préjuger des avantages ou inconvénients éventuels d’une tablette au plan pédagogique, comme cette introduction génère des coûts, et que, comme toute nouveauté, elle va nécessairement modifier le comportement des enseignants et des élèves, on est en droit d’attendre avec une assurance raisonnable un bénéfice chiffrable de l’opération. Pour le moment, aucune étude ne permet d’affirmer qu’on apprend mieux sur ce genre de support qu’avec un papier et un crayon.
Pour l’aspect « utilisation des plateformes informatiques » (et non plus formation à l’informatique), l’Éducation Nationale est encore une fois complètement à la ramasse. Ce sont les fabricants de matériels et de logiciels qui ont su s’adapter aux besoins des individus en proposant des plateformes tous les jours plus simples d’emploi. Effectivement, les jeunes sont particulièrement habiles avec ces éléments, d’une part parce qu’ils les ont toujours connus et ont pu s’y adapter avec facilité, et d’autre part parce que les technologies permettent une interaction homme-machine tous les jours plus agréable (d’ailleurs, une récente enquête du Credoc de 2013 montrait que les moins de 25 ans se jugent à 86% « compétents dans l’utilisation de l’outil informatique ») Dès lors, on ne peut que pouffer à l’idée parfaitement ridicule d’un professeur enseignant à ses élèves comment utiliser un téléphone mobile, une tablette ou un ordinateur portable.
En outre, sur le plan pédagogique, on peut vraiment s’interroger sur le bénéfice apporté par ces tablettes.
Si l’interactivité et les techniques disponibles avec ces tablettes ne permettent pas d’apporter un plus sensible à l’apprentissage, alors celles-ci risquent de s’avérer à l’usage n’être qu’une autre forme d’affichage de données comme un tableau ou un rétro-projecteur. Dans cette optique, le seul bénéfice réellement palpable de ces tablettes est alors celui du poids : on remplace bêtement la douzaine d’ouvrages papiers sur lesquels travaillent les élèves par leurs versions numériques et les cartables en seront d’autant allégés. Compte-tenu du capitalisme de connivence qui règne entre les éditeurs de manuels scolaires et l’Éducation Nationale, ce bénéfice risque de poser des petits soucis politiques. Bizarrement, je sens mal le petit François H se lancer dans cette mini-révolution.
Et si ces tablettes apportent effectivement des gains pédagogiques, alors se pose immédiatement la question du rôle, à terme, de l’enseignant. On peut gloser sur l’éventuelle complémentarité de l’enseignant et de la tablette, mais ce dont il s’agit à terme, c’est du remplacement des masses enseignantes par un nombre réduit d’intervenants, et le passage massif des contenus sous forme numérique, plus précisément sous forme de MOOC. Là encore, la carrure même de notre actuel président laisse comprendre que la révolution sous-jacente n’est absolument pas dans ses plans, lui qui n’a pour le moment révolutionné que le style vestimentaire présidentiel français, et pas en bien.
Enfin, on peut aussi noter que la tablette numérique est un outil qui focalise l’attention sur des aspects accessoires. Ludiques, jolis, éventuellement bien faits, mais accessoires. Apprendre à faire une division, une multiplication ou n’importe quoi d’autre ne nécessite absolument pas une « interaction numérique ». D’ailleurs, les apprentissages fondamentaux n’ont nul besoin d’interactivité, mais, au contraire et avant tout, ont besoin de temps de réflexion, d’essai et d’apprentissage, voire de recueillement et de maturation. Je doute que l’utilisation moyenne actuelle permette cette maturation…
De façon générale, il semble évident qu’il vaille mieux savoir lire et écrire avant de manipuler un moyen numérique : on a ainsi les chemins neuronaux, les mécanismes intellectuels en place pour comprendre les interfaces qui, aussi simples soient-elles, sont réalisées par des gens qui ont, eux-mêmes, ces mécanismes bien implantés en eux. Or, pour le moment, tout porte à croire que cette évidence n’a pas encore percolé au niveau des élites éducatives, président en tête.
Non, décidément, cette histoire de Tablettes Pour Tous est peut-être amusante, vue de loin, mais ressemble de plus en plus à un énième saupoudrage clientéliste à la petite semaine du Président du Conseil Général de France. Encore une fois, François, comme à son époque corrézienne, distribue des goodies sympathiques à sa population histoire de la faire tenir tranquille et de laisser une trace, diaphane certes, mais agréable, dans la petite histoire locale. Il est sympathique, François, il distribue des iPads aux collégiens !
Sauf que ce n’est pas l’histoire locale, ce n’est pas un Conseil général, et la trace va être surtout celle de l’accélération brutale juste avant le ravin.
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