TOUT EST DIT

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jeudi 13 novembre 2014

Ségolène Royal aide discrètement le capitalisme de connivence à la française

L’État, obèse et d’appétit féroce, cherche des sous, de plus en plus de sous. ; ce n’est pas neuf, et la majorité gouvernementale précédente avait déjà compris l’intérêt qu’il pouvait y avoir à se départir d’infrastructures coûteuses et bien mieux gérées par le privé que par des services publics de toute façon exsangues. Mais c’est finalement ce gouvernement-ci qui est à l’œuvre pour la privatisation des aéroports de province, à commencer par celui de Toulouse.
Comme d’habitude, plutôt que de faire simple et radical, nos dirigeants ont finement choisi d’y aller par morceau et ne cèderont qu’un peu moins de la moitié (49.9%) de l’infrastructure aéroportuaire. L’avantage est évident : si cela tourne au vinaigre, l’État aura beau jeu d’accuser le repreneur, même partiel, de la catastrophe, et y aller du petit couplet habituel sur le mode « Vous voyez, les privatisations, ça ne marche pas ». Et si cela marche bien, et tant que cela marchera, l’État pourra rafler une grosse partie des dividendes, dicter ses conditions, et faire jouer le capitalisme de connivence maintenant habituel dans ce genre de marchés en plaçant ses larrons et ses coquins aux postes les plus juteux, ce qui fera tourner l’affaire au vinaigre, et vous voilà retourné au point précédent.
Avec l’opération Toulouse-Blagnac À La Découpe, l’État peut espérer récupérer un peu plus de 150 millions d’euros (pour rappel, l’aéroport fait un chiffre d’affaire de 117 millions d’euros environ pour un peu plus de 7 millions de passagers à l’année). Le calendrier de la vente est le suivant : démarrage le 11 juillet, dépôt des premières offres des candidats à la reprise vers le 15 septembre, avec une validation fin octobre des offres déposées. Courant novembre, l’heureux élu est désigné. Tout va bien, youpi tagada.
segolene crieOh, que vois-je arriver avec ses gros sabots au milieu d’une route qui poudroie pas mal et d’une herbe qui verdoie assez moyennement ? Mais ma parole, on dirait notre amie Ségolène Royal sur son petit baudet vert, agitant ses bras noueux dans toutes les directions. Elle est encore loin, et on n’entend donc pas trop bien ce qu’elle crie à la cantonade, mais chaque petit pas de son fier destrier la rapproche de nous et bientôt, ses propos, qu’on aurait cru décousus de loin, se font plus précis : « gnagnagna écotaxe je n’en veux pas gnagnagni ah mais on y réfléchit bliblablu je n’y crois plus blablabla mais si on le fera patatoute taxer les autoroutes patatage réduire les péages gnagnagna ça se passera pas comme ça. »
Dame Ségo s’agite, et passe son chemin. En Socialie, rien de plus banal et point n’est besoin de s’inquiéter plus que ça.
Cependant, cette agitation semble avoir eu quelques répercussions, et notamment sur les candidats à la reprise de l’aéroport. C’est ainsi qu’on apprend, de source apparemment bien informée, que les deux repreneurs étrangers potentiels, l’australien Macquarie et l’espagnol Ferrovial, ne sont plus candidats à la reprise de l’aéroport de Toulouse. Apparemment, selon un connaisseur du dossier, « ces deux acteurs ont finalement décidé de ne pas y aller, car ils ont été échaudés par les déclarations et les décisions de Ségolène Royal ».
mini ségo bofDiantre. Voilà qui est fort. On savait en effet que la dame du Poitou avait un don certain pour transformer une situation pénible en catastrophe économique complète. L’affaire Heuliez avait parfaitement illustré ce point : en 2010, alors que la société était scindée en deux, une des deux nouvelles entités recevait l’adoubement du Conseil Régional de Poitou-Charente en la personne de Ségolène Royal qui utilisait alors toute son influence pour aider le lancement de voiturettes électriques. Le verdict du marché ne se fit pas attendre : Heuliez calancha, emportant avec elle les beaux rêves zécologiques de voiturettes électriques et un bon paquet de millions d’euros du contribuable sans lesquels la fête aurait été nettement moins folle. De la même façon, on se rappellera des contre-performances assez spectaculaires de la BPI dans laquelle la brave Ségolène a mis les doigts, tant au niveau de la communication (les couacs entre elle et son président firent quelques remous dans les milieux concernés) que des résultats financiers, pour le moins peu brillants.
Pas de doute : elle a un don. Et cette fois-ci, l’impétrante n’a même pas eu besoin de prendre part directement aux tractations financières. Il aura suffit à la Dame aux Caméras d’assurer une certaine présence médiatique pour aboutir au résultat que l’on connaît : les deux étrangers se sont retirés de toute prétention à l’investissement dans l’aéroport de Toulouse-Blagnac. Sur le principe, on comprend les deux acteurs qui n’ont finalement aucune envie de voir les contrats renégociés ou dénoncés arbitrairement par l’État dès qu’il lui en prendra l’envie à l’image de ce qui est en train de se passer pour Ecomouv’. Et plus généralement, on comprend aussi que le désengagement d’acteurs internationaux pourrait devenir préoccupant compte-tenu des autres privatisations en cours.
Ceci dit, le résultat observable ne manque pas d’intérêt puisqu’ainsi ne se retrouvent en lice que deux acteurs majeurs, ADP (Aéroport De Paris) et Vinci. L’un comme l’autre sont français. L’un comme l’autre sont dirigés par des Français (de Romanet pour ADP, Huillard pour Vinci), tous les deux issus de l’habituel parcours des vainqueurs (ENA pour le premier, X pour le second) et donc fort bien introduits auprès des institutions étatiques (CDC pour le premier, ministère de l’Équipement pour le second).
mini ségoFranchement, c’est commode. Si les coïncidences n’existaient pas, on dirait presque que Ségolène, en ouvrant sa grande jatte pour hésiter à haute voix sur les taxations oui-non des autoroutes, des infrastructures, sur la façon dont les contrats se font et se défont en France, a singulièrement simplifié la passation de Toulouse-Blagnac du public au privé bien comme il faut, ce parfum délicat de grandes entreprises françaises où toute la hiérarchie connaît bien les rouages de l’état, y a ses accointances et y a fait ses armes. Si les coïncidences n’existaient pas, on pourrait dire que le capitalisme de connivence a encore réussi un coup de maître en fournissant à deux concurrents étrangers une explication simple (simpliste ?) de leur soudain retrait de la course. Rassurez-vous, avec la carte Ségolène, tout ceci n’est que pure supputation et en fait, il n’y aura eu besoin d’aucune pression sournoise sur les deux étrangers.
crony capitalism
La suite de l’histoire prendra sans doute quelques années à s’écrire, mais on la devine déjà assez bien et je vous invite à relire le second paragraphe de ce billet. Avec un peu de chance, l’aéroport enregistrera des bénéfices et l’État pensera avoir fait une bonne opération. Tant que cela durera, des petits arrangements permettront à certains, bien introduits, de se trouver des postes dorés dans les infrastructures aéroportuaires de Toulouse. L’État sera heureux, Vinci ou ADP s’en sortira content. Et puis, petit-à-petit, ces connivences alourdissant la facture, les bénéfices diminueront, les services se dégraderont et l’ambiance générale tournera à la morosité (celle qu’on retrouve dans l’air de Roissy ou Orly, entre deux petits fumets de pisse froide ou de chichon sauvage).
Enfin, ce capitalisme de connivence bien gluant permet d’éclairer d’une lumière fort intéressante les récentes déclarations de Ségolène concernant le barrage de Sivens. On ne s’étonnera plus, à l’aune de ce qui se passe, discrètement, pour l’aéroport de Toulouse-Blagnac, de trouver un discours étonnamment similaire de confusion, d’allers-retours entre le oui, le non, le mais si, le peut-être, concernant la construction de ce barrage dont on comprend que les enjeux (financiers) sont tous sauf mineurs. On attendra donc avec impatience les frétillantes déclarations de Ségolène au sujet d’un autre aéroport, celui de Notre-Dame-Des-Landes.
Ah, quelle est amusante, qu’elle est cohérente, cette République irréprochable !

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