Isolé comme un con |
dimanche 7 septembre 2014
De «casse-toi pauvre con» à « sans-dents » : petite histoire des mots qui tuent
De «qu'ils mangent de la brioche !» de Marie-Antoinette à «sans-dents» de François Hollande, Vincent Trémolet revient sur ces petites phrases qui restent associées aux grandes figures politiques.
Le dictionnaire de la novlangue a une nouvelle entrée. Après les «sans domicile fixe», les «sans-papiers», les «sans-emploi», les édentés ne s'appellent plus que les «sans-dents». À en croire Valérie Trierweiler, nous devons cette formule à son compagnon d'alors. C'est un trait, précise-t-elle. Nous ne saurons jamais si ce mot est réel (et si oui, dans quel contexte il a été prononcé) ou s'il est né de l'imagination vengeresse d'une femme blessée. Cela n'importe plus. La passion des petites blagues de François Hollande lui a été fatale et l'expression s'est imposée comme une évidence en quelques minutes. Les réseaux sociaux, sorte de café du commerce sans comptoir et sans café, ont consacré la formule.Ségolène Royal peut s'époumoner, les communicants de l'Élysée promettre que c'est une calomnie: le mal est fait. Des comités de «sans-dents» existent, une manif est prévue, les bons mots - «sans dents, on peut manger un Flanby» - fleurissent comme les mazarinades sous la fronde. À croire qu'Internet, Twitter et l'information continue ne changent rien à la psychologie des peuples. Ils renforcent même cette passion pour la réduction des hommes publics à un trait de caractère, une phrase, un mot. Marie-Antoinette fut une des plus célèbres victimes de cette injustice. «S'ils n'ont pas de pain, qu'ils mangent de la brioche», lui fait-on dire au moment des journées de septembre. L'épouse de Louis XVI n'a sûrement pas prononcé ces mots en 1789. Ils sont un résumé d'une formule de Jean- Jacques Rousseau, mort onze ans plus tôt: «Je me rappelai le pis-aller d'une grande princesse à qui l'on disait que les paysans n'avaient pas de pain et qui répondit: “qu'ils mangent de la brioche”» (Confessions, livre VI). Deux cent vingt-cinq ans plus tard, Marie-Antoinette reste pourtant, dans l'imaginaire collectif, l'auteur de cette provocation. Formule qui résume à elle seule la morgue et l'aveuglement de la monarchie des derniers jours.
De «bruits et odeurs» en «pain au chocolat» et de «je vous demande de vous arrêter» en «vieilli, usé, fatigué», l'histoire politique récente appose aussi ses mots sur ceux qui les prononcent. Ceux-ci, bien réels, passent au magma médiatique pour cristalliser un sentiment diffus et créer une vérité qu'il faut des années pour faire disparaître. Nicolas Sarkozy en sait quelque chose. Le 23 février 2008, au Salon de l'agriculture, une personne refuse la poignée de main du président de la République en lâchant: «Ah non, touche-moi pas! Tu me salis.»«Casse-toi, pauvre con!» lui répond Nicolas Sarkozy. La France entière découvre la vidéo de cet épisode. Cette réplique d'automobiliste devint le concentré du Fouquet's, du yacht, de l'arrivée en jogging à l'Élysée, de Pétra et d'Eurodisney. De cérémonie militaire en discours solennel, Nicolas Sarkozy mettra des années à faire disparaître ces gros mots.
Le paradoxe, dans le cas des «sans-dents», est que ce mot n'a pas été filmé lors d'une conversation privée ou prononcé par erreur dans ce que la langue médiatique appelle un dérapage. Non, c'est une formule rapportée dans un livre de règlement de comptes. Il pourrait faire naître l'incrédulité, mais il arrive après les simagrées de Leonarda, les visites secrètes en scooter rue du Cirque, les communiqués de rupture envoyés à l'AFP. Les propos contradictoires sur la finance, les impôts, les «la reprise, elle est là». Après les mots qu'un livre récent prête à Arnaud Montebourg: «Hollande ment tout le temps, c'est pour cela qu'il est à 20 %.» Un Hollande dissimulateur, en perpétuel double jeu, trompant son monde et s'emmêlant dans ses mensonges, s'est esquissé dans les esprits. «Sans-dents»: il aura suffi d'une expression pour que l'image de François Hollande change. L'opinion publique le croyait simplement bonasse, elle le voit désormais affreusement cynique.
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