lundi 7 juillet 2014
Tout sauf le sexe : la nudité et l'érotisme dans les films soviétiques
En URSS, le sexe était officiellement banni des films. Mais « pas de sexe » ne veut pas dire « pas de nudité » , et les films avec des scènes de nu étaient très populaires, peu importe le sujet qu'ils abordaient. RBTH vous explique comment la nudité a tracé son chemin jusqu'aux écrans russes pendant l'ère soviétique.
Après la révolution d'octobre 1917, les jeunes soviétiques proclament le concept de liberté sexuelle, connue comme la « théorie du verre d'eau », selon laquelle la satisfaction des besoins sexuelles serait aussi simple que de boire un verre d'eau. Cependant, les leaders du parti d'âge mur ne s'avèrent pas particulièrement d'un grand soutien à l'égard de cette théorie.
En 1924, un livre intitulé 12 Commandements sexuels de la révolution du prolétariat est diffusé, condamnant la polygamie et les excès sexuels. Depuis, la censure soviétique a gardé à l'œil le sexe sous toute forme d'art, en particulier au cinéma.
Dans la culture soviétique, le mieux à faire est de ne jamais montrer ni mentionner le sexe, comme s'il n'existait pas. Cette notion voit son apogée avec la déclaration anecdotique mais très connue « Il n'y a pas de sexe en URSS », attribuée à tort à la Ministre de la Culture, Ekaterina Fourtseva.
Des films muets, des scènes éloquentes
La première scène de nu soviétique est finalement coupée. Elle faisait partie du film muet La Terre d'Alexandre Dovjenko. La fiancée d'un paysan socialiste, assassiné par le fils d'un riche fermier, le pleure avec ferveur en costume d'Eve pendant plus d'une minute à l'écran. Cette scène est apparemment beaucoup trop avant-gardiste pour 1930, quand le film est diffusé.
La Terre d'Alexandre Dovjenko. Source : kinopoisk.ru
Six ans plus tard, Le jeune Homme sévère, qui montre une nageuse nue et une jeune communiste vêtue d'un string, est complètement interdit. La situation change néanmoins dans les années suivantes.
La règle « pas de sexe » n'implique pas toujours « pas de nudité ». A cet égard, les films soviétiques de la fin des années 1930 jusque dans les années 1960 sont bien plus révélateurs en comparaison avec les films américains soumis à un code de production strict, excluant complètement la nudité.
La définition de l'érotisme pour la censure soviétique n'est pas synonyme de « nudité » mais de « quelque chose en lien direct avec les activités sexuelles » : les baisers langoureux, les scènes au lit, les danses érotiques.
Au contraire, les scènes de nu au bain ou en train de nager sont en général acceptables. Il semble qu'en essayant d'élargir le fossé entre nudité et sexe, la censure et les réalisateurs parviennent à un accord tacite : les scènes de nu apparaitront aux moments où l'on s'y attend le moins.
Dans les films soviétiques, les images les plus suggestives que vous pouvez trouver sont des T-shirts mouillés portés par des beautés féminines en train de se noyer (L'Homme amphibie, 1962) ou un couple près du feu, sur une île déserte, nu mais couvert le plus modestement par des couvertures (Le Quarante et unième, 1956).
L'Homme amphibie de Vladimir Tchebotarev et Guennadi Kazanski. Source : kinopoisk.ru
Mais dans les drames les plus sérieux, les poitrines et les fesses sont capturées par la caméra sans interruption. Un des premiers exemples est le drame teinté d'idéologie Tanya (titre original : Le Chemin de la lumière, de 1940) dans lequel les femmes, vues nues à travers un verre semi-transparent, se lavent dans les douches d'une usine.
L'amour dans les films de guerre et dans les comédies
Pour une raison inconnue, les films de guerre sont particulièrement fournis de ce genre de scènes : une femme se changeant laissant clairement apparaître ses seins dans le reflet du miroir (l'Horloge s'est arrêtée à Minuit,1958), une fille qui se lave à l'Etat major pendant la Seconde Guerre mondiale (Quatre Vents au paradis, 1962) et bien sûr l'épique scène du sauna du tragique drame de guerre (Les Aubes ici sont Tranquilles, 1972), mettant en scène pas loin d'une douzaine d'actrices nues.
Les Aubes ici sont Tranquilles de Stanislav Rostotski. Source : kinopoisk.ru
Comme le confient les pères et grands-pères soviétiques, le contexte dramatique n'a jamais représenté un obstacle au plaisir de voir les charmes des actrices. Les films incluant des scènes de nu sont vus et revus.
Parfois, les scènes érotiques franchissent l'obstacle de la censure sous le couvert de la comédie. La scène de nu sur la plage dans le pourtant dramatique La Route du calvaire (1957) est ajoutée pour faire la satire de la classe aisée de la Russie de 1914.
Un moment burlesque du Soleil blanc du désert (1970) montre un harem de femmes musulmanes soulevant leur jupe, découvrant leurs seins pour cacher leur visage aux soldats de l'Armée Rouge.
Soleil blanc du désert de Vladimir Motyl. Source : kinopoisk.ru
Mais l'exemple le plus connu est le strip-tease de Svetlana Svetlichnaya, dans la comédie Le Bras de diamant (1969). Cette scène comparativement modeste choque la population soviétique. C'est de « l'érotisme réel », le strip-tease en question étant montré sur grand écran.
L'expert cinématographique Grégory Tarasevitch explique qu' « en général, les scènes de sexe dans les films évoquent des sentiments naturels : les spectateurs veulent eux aussi se livrer à des activités sexuelles. Malheureusement, dans le cinéma soviétique, aucun de ces sentiments n'est évoqué. Même si c'est de la nudité, cela est présenté de façon terre-à-terre, commune, ce qui exclut tout intérêt ».
Le Bras de diamant de Leonid Gaidai. Source : kinopoisk.ru
La nudité pour l'export
En dehors des films soviétiques courants, se dressent des réalisateurs de cinéma d'art et d'essai comme Andreï Tarkovski et Sergueï Paradjanov. Ils sont étiquetés comme étant des fauteurs de trouble et leurs films, contenant fréquemment des scènes de nu et des références au sexe sont soumis à une censure lourde (comme Les Ombres des ancêtres oubliés de Paradjanov sorti en 1964) ou ne sortent pas en URSS.
En même temps, les œuvres à succès de Tarkovski et Paradjanov ont représenté les pays soviétiques dans les foires internationales du film. La scène de nu la plus renommée du cinéma d'art et d'essai soviétique est un rituel païen slave tiré du film Andreï Roublev (1966) où des dizaines d'hommes et de femmes nus courent dans la forêt sous le regard du moine et peintre d'icônes Roublev.
Dans les années 1970, la censure soviétique a lâché du lest. Doucement mais sûrement, les réalisateurs repoussent les limites de l'érotisme admis. L'événement marquant de la décennie est le film a gros budget Equipage de l'air (1979) où un couple est montré au lit, nu. Cette scène a donné au film une réputation scandaleuse. Après ce film, ce n'est plus que de la poudre aux yeux.
Petite Vera de Vassili Pitchoul. Source : kinopoisk.ru
Dans les années 1980, les cinéphiles soviétiques sont libres d'apprécier tout type de scènes érotiques, à l'exception de la pornographie. Les dernières limites sont dépassées en 1988 avec Petite Vera. Dans ce drame social plutôt déprimant, une scène de sexe est finalement donnée à voir au public soviétique.
Après la chute de l'URSS, la demande populaire pour des scènes de nu et de sexe à l'écran est pleinement satisfaite grâce aux films étrangers, qui ont déjà commencé à inonder les cinémas soviétiques dans les années 1980. Dans le même temps, l'absence de censure sérieuse permet aux réalisateurs contemporains une grande liberté pour filmer des scènes érotiques.
Aujourd'hui, chaque contenu « pour adulte » dans le cinéma russe et à la télévision n'est soumis qu'à une information de restriction d'âge.
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