vendredi 18 avril 2014
Le droit et l’infamie
“Rien ne justifie que l’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme…” Dominique Baudis en fit aussi la cruelle expérience. D’où l’hommage de la République.
On se souvient des mots prononcés par François Mitterrand, le 4 mai 1993, devant la dépouille de son ami Pierre Bérégovoy : « Toutes les explications du monde ne justifieront pas que l’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme, et finalement sa vie, au prix d’un double manquement de ses accusateurs aux lois fondamentales de notre République, celles qui protègent la dignité et la liberté de chacun d’entre nous. » Il y avait dans l’hommage national rendu, par François Hollande, ce mardi, à Dominique Baudis, aux Invalides, comme une volonté de réparation à l’égard d’un homme qui, lui aussi et bien plus encore, fut blessé et meurtri dans sa dignité et sa liberté par un fiasco judiciaire et une curée médiatique, dix ans après la mort volontaire de Pierre Bérégovoy.
« La presse traite mieux les morts que les vivants », observait, samedi dernier, Ivan Levaï, au micro de France Inter, en prenant connaissance des hommages unanimes parus en mémoire de Dominique Baudis, qu’un cancer venait d’emporter. « Les mots peuvent tuer », ajoutait Levaï ; Baudis en avait fait la cruelle expérience. L’expression « curée médiatique » était parue la veille, dans un article du Monde, signé Gérard Davet, en forme d’acte de contrition sur le traitement du “piège diabolique” dont Baudis fut la victime et le Monde la référence. Parmi tant de médias.
L’affaire éclata, à la fin avril 2003, alors que Dominique Baudis avait renoncé à l’action politique ; il avait un successeur à la Mairie de Toulouse et se concentrait sur ses fonctions de président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (lire page 10). Pourquoi lui ? Le fil remontait à un tueur en série, Patrice Alègre, accusé par deux prostituées et un travesti. Ce serait resté un sordide fait divers si les prostituées n’avaient pas trouvé une oreille attentive auprès d’un adjudant de gendarmerie et d’un procureur lorsqu’elles dénoncèrent des « personnalités toulousaines » comme les complices des viols collectifs et autres sévices du tueur en question. Encore fallait-il que le dossier fût ouvert à la presse (et le secret de l’instruction ? ) pour fabriquer l’“affaire Alègre”.
« Une affaire d’État », s’empressa d’imprimer un reporter toulousain, Gilles Souillès, dans son quotidien régional, lorsque les noms de Dominique Baudis et de deux magistrats furent prononcés. Mais ce ne devint vraiment une affaire d’État que lorsque le correspondant local du Monde lui apporta le crédit de son journal. Venu d’une presse très à gauche avant de faire un tour dans les cabinets ministériels socialistes, ce correspondant, Jean-Paul Besset, devait se faire le rapporteur scrupuleux des dépositions des prostituées : « Pourquoi ces filles mentiraient-elles, écrivait-il le 3 juin 2003, elles qui ont dit vrai déjà sur plusieurs parties de l’affaire, elles qui ont fui pour oublier […], elles qui sont encore meurtries et terrorisées. […] Les témoignages, précis, sonnent fort. » Le 17 juin suivant, il alla plus loin, reconstituant « l’histoire de la maison du lac de Noé », la « maison de l’horreur », où, toujours selon les prostituées, s’étaient déroulées les soirées de tortures impliquant les « personnalités ».
Ce fut l’article de trop. Comme le reportage d’une journaliste de France 2 ou l’interpellation de Karl Zéro, sur Canal Plus, quand on sut que l’un et l’autre avaient payé les prostituées pour obtenir leurs confidences. La mystification, dénoncée par Marie-France Etchegoin (du Nouvel Observateur) et le Canard enchaîné, éclata quand les filles avouèrent qu’elles avaient tout inventé. Mais le non-lieu général ne fut prononcé qu’en juillet 2005 et la condamnation des prostituées (pour dénonciation calomnieuse) que le 26 mars 2009.
Était-ce parce qu’il avait été un élu, un maire, une personnalité de Toulouse de droite que Dominique Baudis devait forcément être coupable ? Il y eut, cet été-là, un autre fait divers : dans la nuit du 27 juillet 2003, à Vilnius, Bertrand Cantat frappa à mort sa compagne, Marie Trintignant. Or, Cantat était un « leader charismatique », celui du groupe Noir Désir ; il aimait les immigrés, les clandestins, les Palestiniens et José Bové. Son acte passa pour une « tragédie de l’amour » dans les médias qui avaient accusé Dominique Baudis.
Jean-Paul Besset était aussi un grand admirateur de José Bové. Quand il quitta le Monde, à la fin 2004, quelques mois avant Edwy Plenel, le directeur de la rédaction — et l’affaire Baudis n’y fut pas étrangère —, il alla chez les écologistes. Il se présenta comme tête de liste Europe Écologie dans la région Centre en 2009 et fut élu député européen. Il n’osa pas affronter Dominique Baudis, qui conduisait la liste UMP dans la région voisine. Celui qui, deux ans plus tard, fut appelé par Nicolas Sarkozy à devenir Défenseur des droits. Lui qui avait tant souffert de l’infamie.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire