vendredi 25 avril 2014
La dissolution et le principe de Don Quichotte
Quand on vit depuis plusieurs décennies dans la dénégation, il est difficile de retomber les pieds sur terre. C'est l'expérience que vit aujourd'hui la gauche et, au-delà, de manière récurrente, notre pays.
C'est de Gaulle qui, contre l'évidence, imagina l'un des grands dénis du XXe siècle, mythe fondateur de l'après-guerre : après la débâcle de 1940 et la collaboration qui s'ensuivit, ce ne sont pas les Alliés anglo-saxons qui auraient libéré notre pays, non, mais les Français eux-mêmes : les nazis se seraient enfuis devant eux.
Cette fable nous a permis de retrouver rapidement et à bon compte une certaine dignité sans avoir à tirer les leçons de la défaite. Elle nous a permis aussi d'oublier que c'est la Chambre du Front populaire qui, grâce notamment à une partie de la gauche socialiste, a donné les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Pardon pour ce rappel historique qui fâche encore.
Les Français n'ont jamais cessé, depuis, de se raconter des histoires. À partir des années 80, notamment, la gauche et la droite nous ont bassinés de sornettes, la principale étant qu'il suffit de vider les caisses de l'État pour faire repartir la croissance : on a vu les résultats. Sans parler de ceux, de plus en plus nombreux, qui nous disent aujourd'hui que, pour relancer l'économie, inutile de réformer notre système vermoulu, il suffit de sortir de l'euro, de l'Union européenne, de la mondialisation et de tout ce qui nous relie au reste de la planète. Cela s'appelle de la pensée magique ou de la bêtise crasse, au choix.
"Le réel n'a pas eu lieu", le nouveau livre de Michel Onfray,nous permet de mieux décrypter la situation politique dont il ne parle pourtant pas (1). Sous-titré Le principe de Don Quichotte, il est consacré au célèbre hidalgo qui "ne veut pas voir ce qui est et préfère voir ce qu'il veut". Le personnage de Cervantès privilégie toujours les idées au détriment des réalités. Un doux rêveur, à côté de la plaque, qui se prend pour un "sachant". Ne souffrant pas le monde tel qu'il est, il lui a substitué le sien, qui est plein de fantaisies et d'hallucinations. De plus, quand ça ne va pas, ce n'est jamais sa faute mais celle de celui qu'il nomme l'enchanteur et qu'on appellerait aujourd'hui l'Europe ou la globalisation.
Donquichottesque en diable, voilà que la gauche de la gauche socialiste se retrouve avec deux avatars de Sancho Pança à l'Élysée et à Matignon. Catastrophe. Nul ne peut en effet douter que MM. Hollande et Valls soient désormais des copies conformes de l'écuyer du chevalier à la Triste Figure, décrit par Michel Onfray comme un réaliste "plein de bon sens". Un petit malin à qui on ne la fait pas. Contrairement à Don Quichotte, il est trop raisonnable pour confondre des moulins à vent avec des géants à grands bras.
Combien de temps cohabiteront, à l'intérieur de la gauche, les donquichottiens et les sanchopancistes ? À l'épreuve du pouvoir, ils ne vieilliront pas ensemble, c'est une évidence. Même si le président et son Premier ministre sont prêts à les acheter en gros ou au détail, quitte à leur confier, demain, une flopée de ministères d'État, on ne voit pas comment les contradictions entre les uns et les autres ne finiraient pas par éclater. La situation économique et sociale est devenue trop préoccupante pour que le pouvoir se permette de louvoyer plus encore. MM. Hollande et Valls semblant enfin décidés à s'attaquer pour de bon aux vieilles lunes de la vieille gauche, ils ne pourront donc pas couper à l'heure de vérité.
"Retenez-moi, ou je fais un malheur !" Telle est, pour l'instant, la stratégie de la gauche du PS qui gigote, chipote ou mégote devant le plan d'économies de 50 milliards que M. Valls va présenter aux députés. Sans doute votera-t-elle le projet, de gré ou de force. Mais c'est un long bras de fer qui commence avec le gouvernement. Il peut tourner à la guerre d'usure, nourrir les pulsions suicidaires des desperados socialistes et se terminer, un jour, par la dissolution de l'Assemblée nationale sous prétexte de clarification.
Si sa gauche lui fait défaut, le chef de l'État pourrait trouver intérêt à une dissolution dans quelques mois. La victoire de la droite lui permettrait de prendre de la hauteur et d'entamer la quatrième cohabitation de la Ve République après avoir appelé à Matignon l'opposant de ses rêves, incarnation à ses yeux de la droite neuneu, celui qu'il préférerait avoir en face de lui à la prochaine présidentielle : M. Copé, "président" autoproclamé de l'UMP, aussi impopulaire qu'illégitime. Les communistes avaient bien leurs "idiots utiles". Pourquoi pas les socialistes ? M. Hollande zapperait ainsi ses adversaires les plus redoutables, à commencer par MM. Juppé et Fillon, et il ne lui serait plus interdit d'espérer que la gauche reprenne la main en 2017 par son entremise ou celle de M. Valls. À ce détail près : après la clarification imposée, il s'agirait, cela va de soi, d'une gauche 100 % sociale-démocrate.
Mais, comme l'aurait dit Sancho Pança, ce n'est pas parce qu'on en rêve que ça arrive.
. Le réel n'a pas eu lieu. Le principe de Don Quichotte, de Michel Onfray (éditions Autrement, collection "Universités populaires et Cie").
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