10 milliards d’euros d’économies sur l’assurance maladie
Ce qui est annoncé concrètement :
Les économies reposeront sur l’amplification des réformes structurelles engagées dans le cadre de la stratégie nationale de santé :
- mieux organiser les parcours de soins, en renforçant les soins de premier recours, en développant la chirurgie ambulatoire, en facilitant le retour à domicile après une hospitalisation, en améliorant le suivi des personnes âgées en risque de perte d’autonomie ;
- améliorer notre dépense de médicaments, grâce à une consommation plus raisonnée, à un plus grand recours aux génériques et à des prix davantage en adéquation avec l'innovation thérapeutique ;
- agir sur la pertinence médicale pour réduire le nombre d’actes et d’interventions inutiles ou évitables.
Niveau de détail : note de 1 à 5
Jacques Bichot : Il y a quelques indications concrètes, même s'il s'agit davantage de résultats à obtenir que de moyens pour les obtenir. Persévérons donc dans la mansuétude : 3/5.
Jean-Charles Simon : 2/5. C’est à peine plus précis que pour les dépenses de l’Etat. Mais le champ est plus restreint, et en rappelant la moindre augmentation de l’Ondam ces deux dernières années, on voit bien se profiler la piste des rustines habituelles, comme les déremboursements de médicaments, pour parvenir à l’objectif annoncé.
Réformes structurelles ou conjoncturelles ?
Jacques Bichot : Il y a un peu de structurel, même si l'essence même des dispositions structurelles, à savoir la mise en place de dispositifs permettant aux agents d'agir avec intelligence et efficacité dans un sens conforme au bien commun, n'est pas mieux perçue que précédemment. Par exemple, les soins de premier recours relèvent principalement de la médecine libérale : oui, mais il n'y a plus guère de jeunes médecins pour vouloir exercer en libéral. Il faudrait donc dire si l'on veut développer des structures de type dispensaire public, ou dispensaire privé avec des médecins salariés, ou débarrasser le statut de médecin libéral de toutes les stupidités bureaucratiques qui dissuadent actuellement les jeunes de l'adopter. Parler de soins de premier recours quand par exemple il faut trois mois pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmo ou un dermato, c'est de l'humour noir.
Jean-Charles Simon : Du pur conjoncturel, hélas, puisque non seulement les pistes sont assez floues et convenues, mais surtout car elles s’accompagnent d’un plaidoyer renouvelé sur la grandeur de notre système. Rien de structurel à espérer en la matière.
Potentiel de ces annonces
Jacques Bichot : Impossible à déterminer : la stratégie adoptée est clairement bureaucratique, c'est-à-dire qu'elle se propose d'ordonner aux agents de faire ceci ou cela ; or on sait que les êtres humains opposent une résistance efficace à ces stratégies de commandement – que l'on relise les analyses du fonctionnement des administrations par Michel Crozier ! Il faut un peu plus de subtilité : créer un cadre institutionnel dans lequel les agents puissent donner le meilleur d'eux-mêmes et aient envie de le faire.
Ce qu'on pourrait faire pour vraiment y parvenir durablement
Jacques Bichot : On ne peut pas réparer rapidement les bêtises faites par les gouvernements qui ont mis en place des numérus clausus absurdes pour la formation des médecins il y a un quart de siècle ; il faut donc, tout en préparant 2025 par des formations de médecins en nombre suffisant, trouver des solutions à moyen et court terme. À moyen terme, la fusion rendue possible entre la gestion de l'assurance maladie de base et la complémentaire permettrait d'économiser 4 ou 5 milliards. À court terme, responsabiliser davantage les hôpitaux (halte à la bureaucratie dominatrice des ARS, les agences régionales de santé !) ; et diminuer fortement la charge de formalités bureaucratiques imposée au personnel de santé sous statut libéral (médecins, infirmiers, kinés, etc.) permettrait d'augmenter leur productivité et donc de stabiliser le tarif de remboursement de leurs actes. Les soignants passent trop de temps à faire de l'administratif inutile : là se situe une possibilité importante de faire des économies.
Jean-Charles Simon : Pour tout le champ de la protection sociale, la première des conditions d’une vraie réforme repose sur la prise de conscience que l’existant n’est pas soutenable. Que c’est bien de ce champ que vient l’essentiel de la dérive des dépenses publiques, dont il représente près de 60 % du total aujourd’hui, en croissance régulière. Qu’il faut donc le repenser globalement sauf à se condamner à des mesures d’urgence en cascade, qui n’évitent pas pour autant une hausse des prélèvements consacrés au financement des dépenses.
>> 11 milliards d’euros d’économies sur les dépenses de protection sociale
Ce qui est annoncé concrètement :
- Pour près de 3 milliards d’euros, ces économies résulteront de réformes déjà engagées : modernisation de la politique familiale décidée en 2013 ; loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites ; accord entre partenaires sociaux sur les régimes complémentaires AGIRC-ARRCO.
- Au-delà, les caisses de sécurité sociale dégageront 1,2 milliard d’économies, en exploitant notamment les possibilités offertes par la dématérialisation, la simplification et la meilleure articulation entre les différents organismes.
- Dans un contexte de faible niveau actuel de l’inflation, les prestations sociales ne seront pas revalorisées pendant un an. Cette stabilité concernera les pensions du régime de retraite de base (1,3 milliards d’euros). Le même effort pourrait être réalisé s’agissant des retraites complémentaires qui relèvent des
partenaires sociaux (2 milliards d’euros). Cet effort temporaire épargnera les retraités dont les pensions sont les plus modestes puisque le minimum vieillesse continuera, lui, d’être revalorisé. Le niveau des autres prestations sociales (logement, famille, invalidité) sera également stable jusqu’en octobre 2015 (0,7
milliard d’euros). Cette mesure ne touchera pas les minima sociaux (RSA, ASS, AAH, minimum vieillesse), dont la revalorisation sera garantie.
- Décidés dans le plan pauvreté de janvier 2013, les engagements de revalorisation exceptionnelle pour le RSA, le complément familial et l’allocation de soutien familial sont confirmés. Mais elles seront décalées d’une année.
- Une nouvelle convention d’assurance-chômage, sur laquelle les partenaires sociaux se sont accordés, va permettre d’améliorer le fonctionnement du marché du travail, notamment en matière de sécurisation de l’emploi et de la formation professionnelle. Le régime d’assurance-chômage devra mieux contribuer au bon fonctionnement du marché du travail, et permettre de rétablir l’équilibre financier de l’UNEDIC à l’horizon 2017 (2 milliards d’euros au total).
- Enfin, la modernisation de la politique familiale engagée en 2013 sera poursuivie, en renforçant l'équité des aides aux familles, et en orientant davantage les prestations vers l'emploi des femmes (0,8 Md€).
Niveau de détail : note de 1 à 5
Jacques Bichot : Cette fois, comme il s'agit de coups de rabot assez simples, il y a des précisions : 4/5.
Jean-Charles Simon : 4/5. C’est un peu la surprise du plan d’annonces : la partie la plus détaillée était aussi la dernière annoncée, puisqu’elle n’était qu’esquissée dans le discours de politique générale.
Réformes structurelles ou conjoncturelles ?
Jacques Bichot : Conjoncturelles principalement, sauf pour la politique familiale dont la réduction et l'évolution dans un sens paternaliste est une tendance de long terme qui se trouve confirmée. Pour l'assurance chômage, il y a une prétention au structurel, mais en fait rien n'est prévu dans ce plan pour améliorer effectivement le fonctionnement du marché du travail, meilleur moyen de diminuer le coût de cette assurance.
Jean-Charles Simon : On est pour l’essentiel dans le conjoncturel à la petite semaine : du gel de prestation, des mesures de rabot, et seulement 1,2 milliard d’économies de gestion et de modernisation. Surtout, près de 5 milliards viennent de mesures déjà connues, comme les accords sur l’assurance chômage ou les retraites complémentaires déjà actés par les partenaires sociaux.
Potentiel de ces annonces
Jacques Bichot : Comme d'ordinaire, la seule chose certaine est la réduction, dénommée "modernisation", de la politique familiale, et le coup de frein aux dépenses de retraite.
Ce qu'on pourrait faire pour vraiment y parvenir durablement
Jacques Bichot : L'assurance chômage et l'ARRCO-AGIRC sont déjà gérés par les partenaires sociaux : il suffirait que le législateur leur interdise de continuer à fonctionner avec un déficit chronique, et ils prendraient les mesures courageuses nécessaires pour y parvenir. La gestion des autres branches pourrait être elle aussi confiée aux partenaires sociaux, avec interdiction de ne pas couvrir les dépenses par des recettes. L'une des réformes structurelles à réaliser est donc la séparation du législateur et du gestionnaire, source de nos dérives à répétition depuis un quart de siècle. Bien d'autres réformes structurelles fourniraient des économies : 3 milliards, par exemple, rien que sur les frais de gestion, si l'on unifiait les retraites (de base et complémentaire) par répartition.
Jean-Charles Simon : Comme pour l’assurance maladie, le reste du champ de la protection sociale suppose une remise à plat de la prise en charge des risques par la sphère publique. S’il s’agit de rester universel et à un niveau élevé de prise en charge de tous sans considération des ressources, alors il n’y a pas de solution viable dans un pays vieillissant et à faible croissance potentielle. Il faudrait savoir resserrer notre système social sur un dispositif de solidarité et non d’assurance universelle, pour la retraite, la maladie, la famille et le chômage.
B - les trois propositions alternatives
À moins de dix jours du vote sur le plan d'économies à l'Assemblée, des députés PS ont proposé des solutions alternatives au plan de Manuel Valls. Tout en respectant le cadre des 50 milliards d'économies, ce groupe de députés a travaillé sur trois scénarios alternatifs comprenant tous un volet important sur la fiscalité des entreprises :
Appliquer le pacte de responsabilité pour les entreprises petites et moyennes dès 2015, mais reculer son application pour les grands groupes à 2017 :
Niveau de détail : note de 1 à 5
Jacques Bichot : Il n'y a pas grand-chose à préciser, si ce n'est les limites entre PME et "grands groupes" : 3/5
Jean-Charles Simon : 2/5. Rien de tout ceci n’est vraiment plus précis que le plan en lui-même, puisqu’il s’agit de le prendre comme base et de déplacer quelques milliards de baisse des prélèvements sur les entreprises vers les ménages.
Réforme structurelle ou conjoncturelle ?
Jacques Bichot : C'est purement conjoncturel, et ça n'a rien à voir avec une réforme.
Jean-Charles Simon : On est vraiment dans la politique assez politicienne, même s’il y a un peu d’habillage technocratique. Au final, il s’agit d’envoyer à une partie de l’électorat deux signaux conjoints, un peu démagogiques : faire moins de "cadeaux" aux entreprises, surtout les plus grandes, en gelant ou en diminuant certaines réductions de prélèvements existantes ou prévues ; réinvestir les sommes ainsi "économisées" en soutenant le pouvoir d’achat, par exemple des fonctionnaires ou de l’ensemble des ménages.
Potentiel de cette annonce
Jacques Bichot : Quelques milliards de réduction sur le manque à percevoir de la sécurité sociale, et un point supplémentaire de stupidité pour cette idiotie bureaucratique qu'est le pacte de stabilité.
Ce qu'on pourrait faire pour vraiment y parvenir durablement
Jacques Bichot : Question sans objet : la mesure est par définition transitoire.
Jacques Bichot : S’il s’agit de dire que le pacte de responsabilité et le plan d’économies de 50 milliards sont trop durs pour les ménages et trop favorables aux entreprises, c’est un peu un déni de réalité par rapport à des cures autrement plus drastiques mises en œuvre ailleurs.
Dans le contexte actuel, il me semble que la France a surtout l’urgence de la baisse des prélèvements sur les entreprises. A contrario, c’est l’un des pays où le pouvoir d’achat des salariés a été le plus préservé. La crise a frappé par le chômage, pas sur les revenus ou les patrimoines de ceux qui ont gardé leur emploi, contrairement à ce qui a prévalu dans beaucoup d’autres pays touchés par la crise.
Bloquer l'évolution de certaines dépenses fiscales, en plafonnant par exemple le crédit impôt à son niveau de 2014
Niveau de détail : note de 1 à 5
Jacques Bichot : 1/5 : on ne dit pas comment plafonner le crédit d'impôt.
Réforme structurelle ou conjoncturelle ?
Jacques Bichot : Ce serait plutôt structurel puisqu'il s'agirait de diminuer les niches fiscales, qui sont devenues caractéristiques de l'impôt sur le revenu.
Potentiel de cette annonce
Jacques Bichot : Il s'agit d'augmenter la pression fiscale ; on peut aller très loin en la matière, du moins jusqu'à ce que les contribuables exaspérés déclenchent un changement de majorité.
Ce qu'on pourrait faire pour vraiment y parvenir durablement
Jacques Bichot : La suppression de nombreuses niches fiscales réalisée en parallèle avec un abaissement des taux de l'impôt sur le revenu est une mesure dont on peut discuter de façon intéressante. Mais il est à craindre que la partie diminution des taux ne soit pas au programme, même à long terme…
>> Réduire la fiscalité des entreprises à 33 milliards d'euros au lieu de 38 milliards
Niveau de détail : note de 1 à 5
Jacques Bichot : 1/5 : quelle fiscalité (il existe des dizaines de taxes et impôts sur les entreprises), et comment on s'y prend ?
Réforme structurelle ou conjoncturelle ?
Jacques Bichot : Ce pourrait être structurel
Potentiel de cette annonce
Jacques Bichot : Il y a peu de chances que cela se fasse durant ce quinquennat.
Ce qu'on pourrait faire pour vraiment y parvenir durablement
Jacques Bichot : Des économies !
C - Finalement, que reste-t-il des réformes structurelles promises par François Hollande et qui visaient à réaliser des économies ?
Jacques Bichot : Il n'est pas certain que le président de la République se fasse une idée très exacte de ce qui est structurel et de ce qui ne l'est pas. Ses interventions ne donnent pas l'impression d'une pensée très structurée, d'une aptitude à utiliser des concepts ayant un sens précis. Quand il a parlé, à différentes reprises, de faire des réformes structurelles, c'est un peu comme ces entreprises dont la publicité promet des produits "naturels" : il ne s'agit pas d'un engagement précis, mais de l'usage d'un mot que les acheteurs potentiels sont censés ressentir positivement. La direction marketing de l'entreprise espère que la connotation positive accordée à ce mot va rejaillir sur le produit et faciliter le passage à l'acte d'achat. Inutile de chercher ce que cette entreprise met sous la dénomination "naturel" ; inutile de chercher ce que François Hollande entend par "structurel" : il s'agit simplement pour lui (comme pour beaucoup d'autres hommes politiques, et pas seulement de gauche !) de provoquer une réaction positive en utilisant une étiquette qui a un air de sérieux, sans que cela veuille dire quoi que ce soit de précis quant à la composition du produit électoral qu'il veut vendre à la population, et aux média, qui font l'office de distributeurs.
Jean-Charles Simon : En matière fiscale, il y aura eu un peu de créativité, par exemple avec le CICE. Mais la réforme fiscale globale semble enterrée, en particulier les projets autour du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, ou même d’un rapprochement impôt sur le revenu-CSG. Et surtout, pour l’instant, on attend toujours un quelconque ajustement structurel des dépenses publiques. Or, c’est la clé de tout. C’est ce qui pourrait permettre de dégager des marges enfin très substantielles, grâce à une réduction du périmètre de la sphère publique. C’est ce qu’a fait par exemple la Suède dans les années 90 : 2 points de PIB par an de dépense en moins en moyenne pendant 7 ans. Quasiment l’équivalent d’un plan de 50 milliards qui nous intéresse chaque année pendant 7 ans de suite ! Tant qu’on n’acceptera pas de repenser le champ de l’action publique, et d’abord celui de la protection sociale, alors il sera difficile voire impossible de réduire structurellement la dépense, et donc de pouvoir abaisser d’autant les prélèvements obligatoires.
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