Tout cela ne serait pas trop grave si le monde entier vivait des mêmes principes. Le génie français suppléerait aux pesanteurs étatiques et nous aurions même peut-être l’avantage comparatif du talent créateur. Mais notre monde fermé est au cœur d’une économie mondiale ouverte. Même ainsi, nous pensons encore avoir raison. Ce monde ouvert autour de nous est un monde d’injustices sociales, de concurrence effrénée, de dérégulations à outrance. S’il ne se convertit pas à nos principes, nous serons bientôt obligés de fermer nos frontières. N’est-ce pas, peu ou prou, ce que demandent deux partis politiques répartis aux extrêmes ?
Le difficile accouchement de mesures "sociales" pour un résultat mitigé
Eric Verhaeghe :
1 - L'instauration d'une consultation systématique des partenaires sociaux
En vérité, le principe d'une consultation systématique des partenaires sociaux dans le domaine du droit du travail a été posé par la fameuse loi Larcher de 2006, qui constitue l'article 1 du Code du Travail. La particularité de François Hollande est d'avoir de fait étendu cette logique à une multitude de sujets qui ne relèvent pas du Code du Travail et sur lesquels la légitimité des partenaires sociaux à intervenir est contestable. C'est évidemment le cas du pacte de responsabilité, dont on peut se demander s'il ne relève pas plutôt d'un acte de gouvernement classique. C'est surtout le cas de la réforme fiscale, sur laquelle les syndicats ont été les premiers entendus, alors qu'on peut douter de leur droit à s'exprimer sur l'impôt sur le revenu.
Dans cette mécanique de questionnement, François Hollande a organisé son propre piège. Les consultations prennent du temps et surtout elles contraignent: si les syndicats s'expriment contre l'impôt à la source, il vous est ensuite difficile d'imposer cette mesure. J'ai cru comprendre que François Hollande lui-même mesurait l'inconvénient de son système, qui lui fait payer un prix très lourd, celui de la lenteur. Rappelons par exemple que, le 31 décembre, le président avait annoncé une loi en début d'année sur le pacte de responsabilité. Trois mois après son annonce, rien n'a véritablement bougé sur ce dossier. On ne sait toujours pas quels allégements vont être pratiqués, et les contreparties ont été embourbées dans une mécanique de négociations en cascade.
2 - L'encadrement des loyers
La crise du logement est une réalité en France, et il est vrai que le gouvernement a voulu s'occuper de ses symptômes, notamment la cherté des loyers, plutôt que de traiter de façon innovante la question du manque de logements. C'est pourquoi la loi ALUR, et tout particulièrement son article 6, se focalise sur l'encadrement des loyers. Cette loi a fait l'objet d'une invalidation partielle par le Conseil Constitutionnel le 20 mars. La première chose qui saute aux yeux tient à la lenteur du processus. Alors que le taux d'effort des ménages en faveur du logement est de plus en plus lourd, et touche durement les milieux populaires, on aurait pu penser que le gouvernement se serait un peu plus empressé à mettre sa politique en place. La lenteur du processus laisse à penser qu'aucun effet sur les loyers ne se fera sentir avant 2015.
Là encore, le choix qui est fait (et qui ne déplaît d'ailleurs pas forcément aux professionnels du secteur), semble toujours rester périphérique et ne pas prendre le mal à sa racine. Il y a en France trop peu de terrains constructibles pour les logements. Cette rareté explique la cherté des logements. C'est ce sujet-là qu'il faut traiter.
3 - La création de 60 000 nouveaux postes dans l'éducation
L'Education connaît un superbe naufrage: en deux ans de présence, le ministre Peillon a patiemment détricoté ce qui marchait encore un peu, et il a lancé des initiatives dont aucune n'est véritablement achevée ni en état de marche, tout ceci avec force consultations publiques totalement creuses, et force déclarations en mode Troisième République qui montrent bien le passéisme dominant rue de Grenelle.
Les 60 000 nouveaux postes sont en réalité des reconstitutions de surnombre qu'il avait fallu des années pour résorber partiellement. Il est en effet de notoriété publique que, pendant des années, voire des décennies, les ministres de l'Education ont géré leur stress de la rentrée scolaire en recrutant des surnombres pour pouvoir "boucher les trous" en urgence en cas de loupé début septembre. Le recrutement massif de ces enseignants nouveaux par le ministre Peillon a-t-il eu le moindre impact sur l'amélioration de la performance éducative? Bien sûr que non. Je rappelle que la Cour des Comptes a produit l'an dernier un excellent rapport sur la gestion des ressources humaines à l'Education Nationale, auquel le ministre n'a pas donné la moindre suite. L'Education Nationale demeure dans la logique de l'armée rouge au milieu des années 70: du nombre, du nombre, et du nombre, sans se préoccuper de réussite.
4 - Les zones de sécurité prioritaires
En dix-huit mois, le ministère de l'Intérieur a créé 80 zones de sécurité prioritaire, sans qu'on ne sache exactement les moyens exacts que tout cela a permis de dégager. Sur le fond, la tâche de Manuel Valls n'est d'ailleurs pas simple: depuis près de 20 ans, les effectifs policiers sont patiemment déplacés des zones criminogènes, comme on dit officiellement, vers les zones à faible criminalité. Tout cela est dû à l'absurde politique consistant à ouvrir des commissariats dans des villes sans problème et de petite taille, au détriment des quartiers les plus difficiles. Avec la complicité des syndicats de policiers qui voient dans ce système un excellent moyen pour assurer des deuxième partie de carrière paisibles aux collègues les plus fatigués.
Comme sous Sarkozy, le ministère de l'Intérieur est parti dans une bagarre de chiffre pour montrer que, malgré les apparences les plus évidentes, la situation s'améliore. Officiellement, sur ces 80 ZSP, 530 kg de cocaïne ont été saisis. On ne nous dit pas si c'est mieux ou moins bien qu'avant. Cela fait, en dix-huit mois, une moyenne de 6 kg de cocaïne saisis par zone de sécurité prioritaire. Chacun jugera de l'intérêt de l'opération.
Des projets sociétaux qui déçoivent à gauche et inquiètent à droite
Damien Le Guay : Primo, la proposition 31 du candidat Hollande indique qu’il ouvrira « le droit au mariage aux couples homosexuels ». De ce point de vue-là, les choses étaient dites, sans détail, sans urgence, sans faire partie des engagements apparemment prioritaires. Et puis surtout l’opinion n’y était pas opposée. Rien ne devait gripper la mise en œuvre de cette proposition. Personne, à dire vrai, n’avait imaginé les manifestations qui eurent lieu, la mobilisation hétéroclite des religieux, d’une frange conservatrice plutôt provinciale, d’une nouvelle génération de jeunes et de tous ceux qui sentaient qu’il fallait protéger le mariage – une des plus vieilles institutions sociales. De réactions fragmentaires, nous sommes passés, au fur et à mesure du débat, à un mouvement de fond comme la France n’en avait pas connu depuis des lustres – avec l’apparition de questions essentielles qui n’avaient pas été prises en compte. Que faire ? Soit tenir une promesse, soit trouver un compromis (une union civile avec les mêmes droits) pour éviter, comme l’avait indiqué le candidat, « d’opposer les français les uns contre les autres » et de ne pas les « écouter » ? Mais le gouvernement tenait à cette promesse en l’état. Elle devait passer coûte que coûte. Ceci cristallisa les mécontentements, les aigreurs, un sentiment de surdité politique. Une certaine gauche médiatique s’en donna même à cœur joie dans l’invective contre les opposants, assimilés à des extrémistes, des « homophobes », voire même « des fachos ». Ce que les homosexuels ont gagnés, la paix civile l’a perdue.
Secundo, la PMA-GPA. Tout vient de cette même proposition 31. Elle ajoute que le candidat ouvrira le « droit à l’adoption aux couples homosexuels ». La question de la PMA s’est ajoutée à la question de l’adoption comme un droit inclus dans ceux permis « aux couples de même sexe». L’adoption pour tous les couples sembla délicate à mettre en œuvre considérant la pénurie d’enfants à adopter et les réticences des pays donneurs ». Alors, Ne fallait-il pas augmenter « les droits », établir «l’égalité des droits » par cette procréation médicalement assisté en passant d’une «stérilité biologique » à une « stérilité sociale » ? Tel est le raisonnement d’un grand nombre. Qu’un couple homosexuel puise ne pas bénéficier de l’aide de la médecine est considéré comme une injustice, une discrimination – et non une contrainte naturelle. Cette question est encore en suspend. Elle devrait être traitée plus tard ainsi que la question de la Gestation pour Autrui. Son principe est refusé. Mais ce qui est refusé par la porte semble toléré, pour ne pas dire encouragé, par la fenêtre. Faut-il, comme aujourd’hui, ne pas accepter des enfants conçus par GPA à l’étranger ou, au contraire, selon des directives de Madame Taubira, faciliter les procédures ? Dans les deux cas, pour des discussions à venir, une logique consensuelle s’oppose à celle jusqu’auboutisme des mêmes droits pour tous et d’une liberté individuelle sans limites jusqu’à tolérer les « locations de ventres étrangers ».
Enfin, l'euthanasie. La promesse du candidat (n°21) est assez neutre : « bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité » et aurait supposée d’aménager à la marge la loi Léonetti. Or, cette « dignité » a été entendue au sens de la dignité de l’euthanasie. Et tout est fait, depuis deux ans, pour ne pas tenir compte des rapports et avis modérés, comme le rapport Sicard, l’avis du CCNE, et mettre en avant l’euthanasie ou le suicide assistée comme les solutions les plus « dignes » pour la fin de vie. Le débat des idées est lancé depuis longtemps. L’ADMD est à la manœuvre. Les propositions des uns et des autres sont sur la table – avec en plus la mise en place de directives anticipées contraignantes. Si le ministre Marisol Touraine n’a pas caché ses idées pro-euthanasie, le vrai débat au parlement a été repoussé à juin 2014 ou plus tard. Une certitude à finie par s’imposer : tout est prêt, tout a été fait pour préparer les esprits, mais il faut encore attendre le « bon moment » - qui, espérons-le, ne viendra pas, tant le savant équilibre de la loi Léonetti, est précieux, mesuré, d’une grande intelligence. S’il faut avancer, avançons du coté des soins palliatifs et de l’adaptation de l’Hôpital à cette logique palliative qui lui es un peu étrangère – tant est forte, pour lui, la logique curative.