mercredi 2 octobre 2013
Le mystère de la plus grande éruption volcanique du dernier millénaire est résolu
C'était un défi lancé aux volcanologues, le mystère de l'éruption manquante. Au cours des trois dernières décennies, les carottages dans les calottes polaires du Groenland ou de l'Antarctique ont ouvert à ces chercheurs une fenêtre sur le volcanisme passé. Au fil des siècles et des millénaires, les régions polaires ont en effet patiemment tenu l'inventaire des aérosols projetés dans l'atmosphère par les volcans puis retombés sur les glaces qui les ont emprisonnés. Dans ce grand registre blanc, une datation revenait sans cesse, 1258-1259, accompagnée d'un dépôt de sulfates hors norme, signe qu'une colossale éruption avait eu lieu un ou deux ans auparavant. Les spécialistes estimaient qu'elle était respectivement huit et deux fois plus importante que les éruptions, déjà énormes, de deux volcans indonésiens, le Krakatoa en 1883 et le Tambora en 1815. Toute l'énigme résidait dans le fait que personne ne savait quel volcan avait bien pu produire pareil cataclysme. Aucun des candidats potentiels, El Chichón au Mexique, le Quilotoa en Equateur ou l'Okataina en Nouvelle-Zélande, ne correspondait à ses caractéristiques.
Pourtant, l'événement n'avait pas pu passer inaperçu. Ses retombées sont très présentes dans les chroniques médiévales européennes, qui ont noté que 1258 fut une année sans été (en raison de la présence des aérosols dans l'atmosphère). Voici par exemple ce qu'en dit le frère Richer, un moine bénédictin qui vivait à Senones, dans les Vosges (je me suis permis, pour une meilleure compréhension, de restituer une orthographe un peu plus moderne à cette vieille traduction du texte latin) : "Que dirai-je des fruits de cette année, vu que l'indisposition du temps était si grande qu'à peine l'ardeur du soleil pouvait rayonner sur la terre (...). Car au long de cet été les nues et brouillards pluvieux furent si fréquents qu'on l'eût plutôt estimé être un automne qu'un été. En premier lieu, le foin ne put être séché à cause des pluies incessamment tombées de l'air ; la moisson semblablement fut si abattue de pluies et d'humidité qu'elle fut retardée jusques en septembre. En sorte que dedans les épis, les grains germaient et qui pis est, comme la plus grande partie des grains fut mise aux greniers, elle se putréfia."
Le bénédictin poursuit ainsi : "Mais que pourrais-je dire de la vendange odieuse de ceste année, vu que personne n'en put tirer aucun profit ou émolument, et que telle chose ne se trouve par écrit être jamais advenue ? Quelle chose pourrait être plus misérable à dire, sinon qu'en tout cet été ne se put jamais trouver un seul grain de raisin propre à manger, même aux alentours de la Saint Rémi (1er octobre, NDLR), auquel temps naturellement mûrit le fruit de la vigne. Les raisins étaient si durs qu'il semblait qu'ils eussent imité la dureté des cailloux. (...) Encore n'ai-je assez exprimé l'infertilité de cette année ; car, pour dire brièvement, les herbes qu'on avait semées aux jardins ne crurent point. Les pommes et poires ne furent formées à leur grosseur accoutumée et n'avaient pas le même goût que les autres années. Ainsi cet an misérable, tant qu'il eut son cours, fut destitué de tous bons fruits." Si frère Richer n'évoque pas de famine, on a récemment découvert qu'une bonne partie des squelettes retrouvés dans un ossuaire londonien dataient... du milieu du XIIIe siècle :un tiers de la population de Londres est morte de faim en 1258 (ceux qui lisent l'anglais et voudraient en savoir plus trouveront ici une synthèse des conséquences climatiques et démographiques de l'éruption).
Depuis trois décennies, les volcanologues courent après le responsable et c'est une équipe internationale emmenée par des chercheurs français qui semble bien l'avoir attrapé dans une étude publiée le 30 septembre dans les Proceedings de l'Académie des sciences américaine (PNAS). Ainsi que me l'a expliqué Jean-Christophe Komorowski, professeur à l'Institut de physique du globe de Paris et co-auteur de cette étude, la résolution de l'énigme doit beaucoup à Franck Lavigne, professeur de géographie physique à l’université Paris-1 et spécialiste de l'Indonésie : "Une éruption de cette importance produit, lors de la formation d’une caldeira, de grandes quantités de pierres ponces recherchées à des fins commerciales. La présence de nombreuses carrières sur l’île de Lombok lui avait indiqué une intense exploitation de cette roche. Puis il a recherché des morceaux de bois carbonisé que la datation au carbone 14 a fait remonter au milieu du XIIIe siècle." Il n'en faut pas beaucoup plus pour que cela fasse tilt. Une équipe pluridisciplinaire est montée, qui part sur cette île volcanique dominée par le mont Rinjani. Cet immense et complexe édifice comprend, à l'est, le volcan du même nom, ainsi qu'une grande caldeira de 8 km sur 6. Cette structure, issue de l'explosion d'une chambre magmatique souterraine, intéresse les chercheurs. A-t-elle été capable de produire le cataclysme de 1257 ?
Sur place,en plus de la datation des troncs et branches carbonisés, les indices s'accumulent. Des indices physiques puisque les chercheurs ont retrouvé des retombées de ponce (2 m d'épaisseur) et de nuées ardentes (30 m d’épaisseur) à 25 km de la caldeira et ils en ont analysé les strates. De plus, ils ont vérifié que la composition des cendres volcaniques correspondait à ce qui a été retrouvé dans les carottages polaires. Mais l'équipe a aussi mis la main sur un merveilleux indice historique, un texte médiéval rédigé en vieux javanais sur des feuilles de palmier, leBabad Lombok, lequel relate une éruption phénoménale sur l'île au XIIIe siècle. Le texte relate que le phénomène a duré une semaine. Il évoque des tremblements de terre, des vagues de matériau volcanique dévalant les flancs de la montagne, emportant tout sur leur passage et tuant quantité d'habitants. Surtout, il raconte comment l'actuelle caldeira s'est formée, par l'effondrement d'un volcan nommé Samalas dans le poème.
Mis bout à bout et analysés, tous ces éléments ont permis aux chercheurs de reconstituer les événements. "On avait là, culminant à 4 200 mètres d'altitude, un énorme volcan de 8 à 9 kilomètres de diamètre, avec le Rinjani sur le côté, résume Jean-Christophe Komorowski. Le Samalas avait déjà connu au moins deux éruptions explosives violentes par le passé mais il s'était reconstruit. Dessous, 40 km3 de magma très riche en gaz s'étaient accumulés dans la chambre magmatique." La pression est telle que ladite chambre finit par exploser. C'est un peu l'histoire du Vésuve et de Pompéi qui se rejoue mais en nettement plus puissant. Une quantité tellement importante de matériel est expulsée que l'édifice s'effondre en quelques heures, formant la caldeira. "Il s'agit d'une des plus grosses éruptions volcaniques des derniers 7 000 ans, ajoute Jean-Christophe Komorowski. Nous avons calculé que le panache est monté jusqu'à 43 km d'altitude. On a eu là des avalanches incandescentes de pierre ponce et de gaz, un peu comme la mousse qui déborde d'une casserole de lait bouilli, des nuées ardentes qui se sont répandues sur 25 km, sauf au sud où elles ont été bloquées par d'anciens reliefs volcaniques, ce qui explique que des gens aient survécu. Mais sinon, l'île a été dévastée. Cela a dû être le noir complet pendant des jours, des semaines voire des mois."
Pour l'éruption du Vésuve qui a englouti Pompéi, Herculanum, Oplontis et Stabies en 79, on parle d'éruption plinienne – en hommage à Pline le Jeune qui l'a décrite. Dans le cas du Samalas, on utilise l'expression d'éruption ultraplinienne, compte tenu de sa magnitude bien supérieure. La similitude de l'événement de 1257 avec celui de 79 ne s'arrête pas là. Car sur l'île de Lombok, qui était alors un royaume, il y avait une capitale, Pamatan. Celle-ci a été ensevelie et se trouve quelque part sous les cendres du volcan. La Pompéi d'Asie attend ses découvreurs...
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