mardi 10 septembre 2013
Retraites, une passion française
Combien seront-ils cette fois à battre le pavé ? Organisée mardi 10 septembre par quatre syndicats (CGT, FO, Solidaires et FSU), rejointes par des organisations de fonctionnaires, de retraités, et de jeunesse, et soutenue par l’extrême gauche, la journée d’action contre la réforme des retraites crû 2013, qui inclut aussi des mots d’ordre de défense des salaires et de l’emploi, s’annonce peu suivie. Mais elle aura lieu. Et sans doute aura-t-elle une suite, comme l’a déjà annoncé Thierry Le Paon, le numéro un de la CGT.
Car plus que tout autre, la question des retraites s’est imposée comme une arlésienne de l’agenda social. Mis à part la réforme Balladur de 1993, qui, adoptée en plein été, a peu mobilisé, toutes les autres se sont soldées par de véhémentes réactions du corps social. Tant en 1995, où l’économie fut paralysée plusieurs semaines, qu’en 2003, où les taux de grève des fonctionnaires avaient été très forts, ou en 2007, où les cheminots s’étaient fortement mobilisés contre la réforme des régimes spéciaux. Surtout, à l’automne 2010, « on a assisté à une des plus fortes mobilisations sociales du XXe siècle », rappelle Stéphane Sirot, professeur d’histoire sociale à l’université de Cergy-Pontoise.
Alors pourquoi ces traumatismes nationaux à répétition ? « D’abord,analyse Stéphane Sirot, c’est sans doute sur les retraites qu’il y a le plus de réformes depuis 1993. Surtout, à chaque fois, on amoindrit les protections, d’où un ressentiment très fort. » Ensuite, poursuit l’historien,« les retraites renvoient à un phénomène de société très profond. Alors que les régimes de retraite existent depuis cent ans, jusqu’aux Trente Glorieuses, peu de gens vivaient assez vieux pour en profiter longtemps. L’augmentation de l’espérance de vie, y compris en bonne santé, a changé les choses. Alors, quand, en 1981, l’âge légal de départ a été abaissé de 65 à 60 ans, la retraite est devenue non plus la fin de la vie, mais une période de l’existence où on pouvait enfin vivre tranquillement pendant une vingtaine d’années. C’est une conquête sociale très forte. »
Or si l’allongement de la vie n’est pas spécifique à la France, la concomitance de cette évolution avec le choix politique de baisser l’âge légal en 1981 l’a été. Enfin, estime Guy Groux, directeur de recherches au Cevipof, chez nous, « les retraites font partie du patrimoine social car elles renvoient au compromis social de 1945 », qui a donné naissance à la Sécurité sociale.
Bref, autant dire que, pour un gouvernement, le dossier est toujours miné. Du coup, « à la différence de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne,reprend Guy Groux, les autorités politiques françaises, de droite comme de gauche, se sont toujours montrées d’une grande prudence ».Notamment quand il s’agit de modifier les régimes des salariés du public, où se retrouve le gros des troupes militantes des syndicats.
Reste que, ajoute le chercheur, « depuis quelques années, la société s’est peu à peu résignée à la nécessité de réformer, c’est peut-être ce que Raymond Barre appelait la “pédagogie de la crise” ». Circonstance aggravante, rappelle Stéphane Sirot, « hormis la mobilisation de 1995 et de 2006 contre le Contrat première embauche, les mouvements sociaux se sont soldés par une succession d’échecs ». Y compris la mobilisation des cheminots en 2007 et celle contre la fin du départ à 60 ans en 2010. Enfin, la création du service minimum a légèrement atténué l’impact des grèves dans les transports.
Bref, les chercheurs ne croient guère à la réussite de la journée d’action de mardi. D’autant qu’à la différence de 2010, les syndicats sont désunis, la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC ne participant pas. Pour Guy Groux, certes, « il y a de la déception vis-à-vis du gouvernement, mais je ne vois pas ces mécontentements s’agréger alors que les gens vont s’exprimer en votant l’année prochaine ». Et « comme l’allongement de la durée de cotisation intervient après 2020, les mots d’ordre ne sont pas très fédérateurs, poursuit Stéphane Sirot. La seule inconnue, c’est la mobilisation des jeunes, toujours difficile à prévoir. Mais je ne vois pas l’Unef, très proche du PS, se mobiliser vraiment contre un gouvernement socialiste. »
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