mardi 10 septembre 2013
Matzneff : vous avez dit valeurs républicaines ?
Matzneff : vous avez dit valeurs républicaines ?
Sous la IVe République, nous autres, garçonnets et fillettes d'origine russe, italienne, espagnole, arménienne, avec nos noms souvent difficiles à écrire et à prononcer, nos parents qui se rendaient régulièrement à la préfecture de police pour le renouvellement de leur carte de séjour, et, pour certains d'entre nous, nos religions réputées exotiques, nous savions, sans que personne au collège, au lycée, nous en parlât, ne pas être des petits Français semblables aux autres. Cela ne nous dérangeait pas outre mesure. Et ceux d'entre nous qui n'étions pas catholiques romains jugeaient naturel le fait que les fêtes religieuses officielles fussent celles de l'Église catholique, que l'aumônier fût un prêtre catholique. Nous étions petits, mais il n'était pas nécessaire d'avoir l'âge d'étudier à Sciences-Po pour savoir que la France était un pays catholique, et que l'école fût laïque n'effaçait d'aucune façon cette prééminence historique, culturelle du catholicisme dans la société française.
Nos professeurs étaient volontiers agnostiques, parfois marxistes, mais dans le secondaire ils nous faisaient étudier Polyeucte, lire Pascal et, en classe d'histoire, celle de la France ne commençait pas en 1789. Les rois qui avaient durant 1 000 ans construit la France étaient étudiés, leurs bonnes oeuvres louangées, et,Alexandre Dumas aidant, nous étions nombreux parmi les fils d'émigrés à nous réputer mousquetaires, à nous sentir plus français que d'Artagnan lui-même, et, en cour de récréation, à galoper en criant "Vive le roi !" Il faut dire qu'à l'époque on ne nous cassait pas les oreilles avec "les valeurs de la République". Je suis même certain de n'avoir jamais entendu, lorsque j'étais enfant et adolescent, cette expression "les valeurs de la République" dans la bouche d'un proviseur ou d'un professeur. Quand ceux-ci voulaient nous donner des leçons de civisme, ils se contentaient de nous enseigner l'amour de la France.
En 2004, lors d'un "Forum de la réussite des Français venus de loin" organisé au Palais-Bourbon (il y avait là le fameux savant d'origine asiatique, la fameuse actrice d'origine maghrébine ; moi, je portais la casquette de l'écrivain d'origine russe), je fus frappé par l'insistance avec laquelle certains orateurs mettaient l'accent sur ces "valeurs de la République". C'était la première fois que j'entendais des hommes politiques de tous bords, droite et gauche confondues, faire de ces "valeurs de la République" un vrai synonyme de "patriotisme", et cela m'intriguait car, à tort ou à raison, ce mot de "République" me semblait réducteur, ne serait-ce que parce qu'il excluait implicitement de la communauté nationale ceux d'entre les citoyens français qui auraient, par exemple, des convictions monarchistes. De fait, au cours de cette journée, tous les exemples historiques donnés par les organisateurs furent des exemples postérieurs à la révolution de 1789, comme si avant celle-ci la France n'existait pas, comme si l'an zéro de la République était aussi l'an zéro de la France, comme si l'État n'avait rien d'autre à proposer aux nouvelles générations d'enfants d'immigrés que ces froides et abstraites "valeurs de la République".
Certes, pendant 70 ans, d'une manière sanglante, implacable, le pouvoir soviétique s'est employé à lobotomiser le peuple russe, à le couper de ses racines culturelles et spirituelles, à lui faire croire que cela seul qui importait, c'étaient désormais "les valeurs du marxisme-léninisme", à interdire aux enfants chrétiens de porter au cou leur petite croix de baptême. Vu la catastrophe inouïe que constitua cette hystérique tentative de décervelage (je pense que la Russie mettra au moins un demi-siècle pour panser ses blessures, réparer les dégâts, et c'est une des raisons pour lesquelles je conseille aux intellos parisiens d'être un peu plus mesurés dans les jugements sévères qu'ils se permettent de porter sur l'actuel gouvernement russe), je n'imagine pas une seconde que notre ministre de l'Éducation nationale, M. Vincent Peillon, puisse désirer quoi que ce soit de comparable pour la France.
M. Peillon m'objectera que l'époque du président Hollande n'est plus celle des présidents Auriol et Coty, qu'aujourd'hui les enfants d'immigrés ne sont plus des petits Européens, qu'espérer faire aimer Louis XIII et les mousquetaires, l'histoire de France, Alexandre Dumas, à de jeunes Maghrébins est une illusion, que ce qu'il faut à ces gens-là, ce sont des terrains de football et des lois qui interdisent aux professeurs de parler de Dieu, de l'Église, de Jeanne d'Arc, de saint Vincent de Paul, de la victoire de Rocroy.
Je suis désolé, monsieur le ministre, mais je juge cela injurieux vis-à-vis des jeunes musulmans. Une des femmes que j'ai le plus aimées était une lycéenne française d'origine marocaine, d'un milieu très simple. Elle ne jouait pas au football, mais elle lisait Baudelaire et Dostoïevski. Certes, son amant écrivain y était peut-être pour quelque chose, mais, même sans ma présence dans sa vie, cette adolescente de tradition mahométane aurait, j'en suis sûr, été capable de découvrir les beautés de la culture de l'Europe - qui est un mixte de culture gréco-latine païenne et de culture judéo-chrétienne -, de devenir, grâce à ces enrichissantes, épanouissantes beautés, pleinement française.
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