TOUT EST DIT

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vendredi 13 septembre 2013

Petit inventaire des grandes bêteries

Petit inventaire des grandes bêteries


La philosophie est une matière qu'on n'enseignera jamais assez : elle aiguise l'esprit critique et remet sans cesse en question les vérités du jour, qui sont rarement celles du lendemain.
On dit souvent qu'il n'y a pas d'intelligence sans ironie. Il n'y a pas non plus d'intelligence sans contradiction. Émile Chartier dit Alain, un philosophe qu'on ne lit hélas plus guère, avait trouvé cette grande formule qui pourrait être la devise de notre journal : "Une idée que j'ai, il faut que je la nie : c'est ma manière de l'essayer (1) ".
Au Point, nous ne sommes pas là pour plaire aux puissants du moment, mais pour déconstruire afin de reconstruire après. Pour rappeler la complexité des problèmes et pour faire la guerre à ce qu'on appelait en vieux français les bêteries, fadaises qui prolifèrent à propos de sujets aussi différents que la mondialisation, l'économie française ou le conflit syrien.
La bêterie est un domaine où les Français excellent. Souvent enfermés dès l'école secondaire dans des clichés crypto-marxistes, il leur arrive de croire que le libéralisme aurait fait plus de morts que le communisme ou que, en vertu du dogme de la paupérisation, la mondialisation aurait augmenté la pauvreté dans le monde alors que c'est l'inverse qui s'est produit.
En vingt ans, près de 1 milliard d'humains sont sortis de l'extrême pauvreté. C'est la bonne nouvelle du nouveau siècle. Bien sûr, il reste encore, sur cette terre, 1 milliard de personnes totalement démunies et c'est beaucoup trop. Mais, même s'il est vrai que les inégalités se creusent ici ou là, globalement, notre espèce s'enrichit : en Chine, notamment, les courbes sont sidérantes. Les prophètes de malheur peuvent se tortiller dans tous les sens, c'est la réalité. Merci, la mondialisation.
L'Afrique aussi nous inspire moult bêteries. Sans doute à cause de notre passé colonial, nous n'arrivons pas à comprendre que le continent noir commence à vivre un miracle économique. Les pays qui le composent n'avancent certes pas à la même allure : tandis que certains comme les deux Soudans pansent leurs plaies, d'autres affichent des taux de croissance impressionnants : + 14,5 % au Niger, + 8,2 % au Ghana, + 8,1 % en Côte d'Ivoire ou + 7,5 % au Mozambique. La France est en train de laisser passer le train, pris d'assaut par les Américains et, surtout, les Chinois.
La bêterie dominante ou l'impensé raciste inclinent à dire que l'Afrique part de si bas qu'elle ne peut que progresser, mais qu'elle sera bientôt rattrapée par ses problèmes structurels. C'était le même argument qu'utilisaient, il y a un quart de siècle, les autruches sentencieuses qui refusaient de reconnaître la montée en puissance de la Chine ou de la Corée du Sud. De grâce, retenons la leçon.
Le "sus aux délocalisations", slogan de tant de politiciens ineptes ou démagogues, est une autre bêterie qui a la vie dure. Une étude récente de l'Insee a confirmé qu'en trois ans 4,2 % seulement des sociétés non financières avaient délocalisé leurs activités. Tout focaliser sur les entreprises qui s'exilent est un non-sens absolu : elles ne sont responsables que de la destruction de 6 000 emplois par an. Mais cette gesticulation permet de ne pas avoir à se poser les vraies raisons du chômage en France : la baisse de compétitivité, les rigidités du marché du travail ou le harcèlement par l'État des petites ou moyennes entreprises, qui seules seraient en mesure de créer des emplois.
On pourrait continuer à égrener indéfiniment le chapelet de nos bêteries, mais force est de constater qu'elles ont redoublé à l'occasion du conflit syrien alors qu'il suffit d'ouvrir les yeux pour observer qu'un peuple est massacré par un tyran aux mains sanglantes en attendant d'être martyrisé demain par des hordes de salafistes, tueurs de chiites, d'alaouites et de chrétiens, financés par l'Arabie saoudite. Si l'on veut vraiment préparer l'après-Assad, il faut donc intervenir, mais en aidant massivement les sunnites modérés (majoritaires dans le pays), qui seuls peuvent reconstruire la Syrie. Frapper ou pas n'est ou n'était pas la question.
Le nouveau "Postillon" est arrivé
Pour dénoncer les bêteries du jour, faire vivre le débat d'idées et nous déployer davantage encore dans le domaine intellectuel, nous avons décidé de lancer en fin de journal, sous la direction de Sébastien Le Fol, un supplément : Le Postillon. À l'heure où l'écrit est attaqué de toutes parts, nous prenons donc l'offensive sur un front qui nous est cher, celui de la réflexion, de la culture et de la polémique, dans un esprit de tolérance et d'indépendance à l'égard de toutes les chapelles. Bonne lecture !
1. "Histoire de mes pensées".

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