TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

mardi 17 septembre 2013

Allemagne 2013/1 : Le style Merkel ou le pouvoir selon Angela


Notre consoeur Florence Autret publie chez Tallandier Angela Merkel - Une Allemande (presque) comme les autres - une biographie de la femme qui domine la politique allemande depuis huit ans, Angela Merkel. On y retrouve son passé de jeune fille de pasteur ayant grandi en Allemagne de l'Est. On y a apprend aussi, au fil de son ascension politique, ce qui fait la méthode Merkel. Un mélange de prudence et d'audace, de dissimulation et de stratégie. Ou comment une scientifique de l'Est a réussi à éliminer les concurrents les plus aguerris au sein de la CDU... et à faire le vide autour d'elle... .


Florence Autret.jpgQu’est-ce qui fait la force de Angela Merkel ?
Sa force, politiquement, c’est sa capacité à être centriste. A se placer au centre de la société, à sentir l’opinion, à la rassurer. Dire aux Allemands, finalement cela va bien, avec moi cela ne changera pas, cela continuera à aller bien. Et à toujours prendre des positions qui correspondent en gros au centre de gravité de l’opinion. Et c’est ce que certains lui reprochent, car elle semble totalement dépourvue d’idéologie. Et je pense que c’est à la fois une stratégie politique, que certains nomment de l’opportunisme, et le fruit de deux choses. D’abord le fait qu’elle soit assez vaccinée contre les idéologies, ce qui est compréhensible lorsqu’on a grandit en Allemagne de l’Est. Evidemment contre tout ce qui ressemble à du socialisme. Et plus largement à tout ce qui ressemble à de l’étatisme et du dirigisme.


Angela Merkel.jpgLa deuxième raison, c’est sa formation scientifique ?
Oui, cela en fait quelqu’un d’assez différent des autres, du reste de la classe politique allemande où il y a beaucoup de juristes, de gens qui ont étudié l’histoire ou la philosophie. Jusqu’à l’âge de 35 ans elle a beaucoup lu, c’est quelqu’un de cultivé, mais elle a passé sa vie à résoudre des équations. Et on a l’impression qu’en politique elle fait exactement la même chose. elle aligne les contraintes, écrit les équations, elle laisse les inconnues se résoudre au fur et à mesure et elle dégage la solution à la fin. Mais elle part sans idée préconçue sinon la défense du système institutionnel allemand. Donc, c’est quelqu’un dont on a souvent du mal à percevoir les objectifs, qui avance un pion et laisse la situation se développer. Elle prend du temps, on le lui reproche souvent, mais je crois que cela fait partie de sa manière d’agir. Elle n’abat pas ses cartes d’emblée.

A tel point qu’on a le sentiment qu’elle n’a pas vraiment de cap?
Oui, mais elle en a un qui est très clair, c’est l’intérêt de son pays. Que ce soit quand elle négocie le budget européen où elle se révèle très dure durant la négociation. Sur la question budgétaire elle a opté pour le camp britannique pour minimiser l’apport allemand et maximiser son retour sur investissement dans le budget européen. Elle l’a fait dans la crise européenne d’une façon magistrale. Elle a littéralement rapatrié le pouvoir au Bundestag quand elle s’est aperçue que les institutions européennes n’étaient pas adaptées à la gestion de la crise. Tous les Conseils européens étaient conditionnés par le mandat que lui donnait le Bundestag, avant, après… Tout le monde avait les yeux rivés sur Berlin. Donc elle défend essentiellement l’intérêt de son pays.

Donc elle laisse le jeu évoluer, n’abat pas ses cartes, mais elle est aussi capable de virages à 180° comme sur le nucléaire, de manière très surprenante ?

Oui, sur le nucléaire c’est intéressant. Il faut se souvenir qu’elle a été ministre de l’environnement. Or, en Allemagne, le ministère de l’environnement est vraiment celui qui a la main sur la politique nucléaire, et particulièrement sur la politique des déchets. Donc elle a eu à gérer entre 1994 et 1998 une crise grave sur les déchets. Il y avait eu des fuites dans les transports entre l’Allemagne et la France. Et là, alors qu’elle était plutôt en tant que physicienne favorable au nucléaire, elle a d’abord mesuré l’hostilité de l’opinion qui lui avait largement échappée, la force du mouvement antinucléaire allemand. Et puis la duplicité des industriels qui l’ont littéralement trompée sur ce dossier. Donc, elle avait l’image d’une pro-nucléaire, mais je pense qu’elle est sortie en 1998 du gouvernement avec la conviction que cela n’allait pas. Après, quand elle a fait alliance avec les Libéraux, c’était une condition nécessaire, elle a décidé effectivement de revenir en arrière sur la décision qui avait été prise par la gauche, précédemment, de sortir du nucléaire. Au bout d’un an elle a fait voter une loi, avec les Libéraux, sur le prolongement des centrales. Mais je pense qu’elle l’a fait, cette fois, moins par conviction que parce que c’était une contrainte politique de sa coalition. Quand Fukushima est arrivé, elle a saisi l’occasion pour faire un virage à 180°. En changeant complètement de politique, elle a sapé, par là-même, une des bases électorales du SPD et des Verts qui se différenciaient sur ce point.

Parlons d’Europe, elle a fortement contribué à renationaliser la politique en Europe depuis huit ans ?
Oui, surtout elle l’a germanisée en mettant l’Allemagne en position de fixer les règles. Non seulement elle a elle-même élaboré la doctrine d’intervention dans les pays du Sud, et le partage des tâches est intéressant, car elle était au Bundestag et elle inventait tout un discours sur l’aléa moral, sur la rigueur budgétaire, sur la culture de la stabilité qui est désormais inscrite dans le droit européen. Et pendant ce temps, les Français inventaient les fonds de sauvetage qui ont permis de mettre en pratique la gestion de la crise. Et dans un deuxième temps, elle a littéralement imposé le traité budgétaire. Là encore pour donner un gage à son parlement. Au début, elle était en fait partisane d’une réforme plus profonde des institutions, mais les Français sont tellement hostiles à ce type de réformes qu’elle s’est contentée d’un traité qui en gros exporte la culture de la stabilité budgétaire allemande dans le reste de l’Europe. 

Stuttmann merkel dessin.jpg
Dessin de Klaus Stuttmann : Le programme électoral de la CDU et son contenu

Pour revenir à sa personnalité, elle a un côté non pas pépère mais un peu mémère… et en même temps, c’est une tueuse politique redoutable. A commencer par la succession d’Helmut Kohl ?
Elle a pris le pouvoir d’une façon intéressante. Elle est entrée tard en politique, à 35 ans. C’était huit ans avant le départ de Kohl. Mais c’était déjà un peu la fin de cette ère avec la réunification. Elle arrive tard et il y a déjà du monde qui attend, toute une génération qui attend pour prendre la place. Elle monte assez vite parce qu’elle a la conscience de Kohl. C’est sa fille,  sa « gamine » comme on l’appelait. Elle fait son trou… Sa prise de pouvoir intervient seulement en 1999 à la faveur de la crise politique majeure au sein de la CDU, avec les affaires des caisses noires. Elle est alors nommée secrétaire général du parti, mais elle est malgré tout assez isolée, car elle reste celle qu’on a placée parce que femme et est-allemande, qui fait des envieux. Et la CDU s’enfonce alors, à cause de l’intransigeance de Kohl qui ne veut pas révéler certains soutiens… comme elle est dans une position relativement faible dans le parti, elle va prendre l’opinion publique à témoin. Et elle le fait à travers cette célèbre lettre ouverte de décembre 1999 dans laquelle elle dit qu’il faut savoir, je la cite, « quitter la maison ». En clair, elle dit qu’il faut s’affranchir de l’autorité d’Helmut Kohl qui est en train de tuer l’âme du parti, de le trahir. Et elle publie cette lettre sans avoir consulté le président du parti qui est à l’époque Wolfgang Schaüble. Cette lettre, effectivement, provoque un cataclysme qu’elle va aboutir au départ de Schauble. En avril 2000, elle est élue présidente de la CDU. Cela ne fait pas dix ans qu’elle en est membre. Là elle a joué avec une virtuosité incroyable pour prendre les rênes du parti. Comme c’est un coup, elle est encore relativement faible. Et à partir de ce moment-là elle va tout faire pour tuer ses concurrents, car son autorité est fragile. Et elle les élimine tous les uns après les autres. Sa victime la plus emblématique étant Friedrich Merz  qui est aujourd’hui avocat dans un cabinent à Düsseldorf et qui était une étoile montante de la CDU et  qui a été son concurrent. Et elle va l’évincer d’une façon violente, en l’écartant petit à petit de toutes les fonctions et tous les leviers qu’il pouvait avoir dans le parti. Elle fera la même chose avec Christian Woolf, qu’elle va faire nommer président fédéral où il va lui-même se carboniser pour des histoires d’argent. Elle a tué tous ses concurrents potentiels dans le parti. Moyennant quoi son pouvoir est moins contesté mais elle est aussi assez seule. Et quand on parle de l’après Merkel, la question qui se pose c’est : qui pour la remplacer.

Elle a fait le vide avec son style apparemment calme et sans aspérités visibles…
Oui, je crois aussi que c’est un apprentissage qu’elle a fait au début de sa vie à l’Est. C’était un Etat policier où si vous vouliez survire, sans sacrifier complètement votre intégrité morale et psychologique, il fallait apprendre à dissimuler. Ou, à tout le moins, à se taire. Quand elle était gamine à l’école, son père était pasteur ce qui était mal vu par le parti, et elle mentait sur sa profession en disant que c’était un chauffeur. Elle a appris très tôt à se taire, en fait.

Elle est sans coquetterie ?
Ce qui est frappant et ce qui la distingue des autres dirigeants politiques, c’est qu’elle semble totalement dépourvue de vanité. A tel point qu’elle a quand même longtemps négligé son image. Sa métamorphose publique ne date que de sa première campagne électorale, en 2005. C’est là qu’elle commence à s’inquiéter de ce dont elle à l’air. Quand elle était porte-parole de Lothar de Maizière, en 1986, il a raconté qu’il l’avait même obligé une fois à aller faire du shopping pour ne pas être trop mal attifée.

C’est un contrepoint notable dans notre société de l’image ?
Oui, elle ne joue pas du tout la carte people, ce qui contraste avec quelqu’un comme Schroeder. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle néglige sa communication. Elle joue quand même. Elle s’en sert pour colporter l’image de quelqu’un de presque banale.

Le dégradé de couleur sur ses habits toujours identiques c’est un peu comme les chapeaux de la reine d’Angleterre…
Voilà. Malgré tout, elle a réussi à se forger un look. Elle joue le jeu, en en subvertissant un peu les règles.

A-t-elle évolué depuis son arrivée au pouvoir ?
Il ne faudrait pas en faire un personnage complètement monolithique au moment de la chute du Mur, quand elle a 35 ans. Entre le début de sa carrière et maintenant elle a évolué. Au début elle était peut-être plus audacieuse, elle prenait plus de risques. Elle était marquée je crois beaucoup plus par la Chute du Mur et persuadée que les choses changent. Elle l’a déclaré d’ailleurs en 2007. « J’ai fait l’expérience dans ma chair que les choses ne doivent pas nécessairement rester toujours pareille ». Et aujourd’hui, c’est quelqu’un qui dit : si vous voulez que rien ne change votez pour moi. Elle est maintenant dans une posture de conservation du pouvoir. Elle est victime d’une certaine manière d’une certaine usure.


Justement, si elle est réélu c’est l’enjeu de son troisième mandat… D’où peut venir le danger ?
Je crois que la crise européenne qui reste largement irrésolue est une source de danger politique pour elle. La reprise réelle n’est pas pour demain et la situation des pays du Sud restent en difficultés. Il va falloir faire de nouveaux pas vers plus de solidarité en Europe pour surmonter vraiment la crise et donc, quand  le moment viendra pour l’Allemagne de donner des gages supplémentaires, elle va non seulement devoir faire face à des dirigeants européens plus crispés, mais aussi à une opinion allemande qui va rechigner.

0 commentaires: